Vu la procédure suivante :
L'association Le Grand barreau de France a demandé au tribunal administratif de Paris, en premier lieu, de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, conformément aux dispositions de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relativement à la conformité au droit de l'Union de certaines dispositions de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, en deuxième lieu, de reconnaître, sur le fondement de l'article L. 77-12-1 du code de justice administrative, le droit des avocats déclarant exercer hors barreau d'être inscrits, en cette qualité, sur l'annuaire national publié par le Conseil national des barreaux avec la mention " Avocat(e) exerçant non inscrit(e) au tableau d'un barreau ", ajoutée à celle des date et lieu de sa prestation de serment, ainsi que celle de sa résidence professionnelle, et en troisième lieu, de reconnaître, sur le fondement de l'article L. 77-12-1 du code de justice administrative, le droit de toute personne justifiant de la prestation du serment de l'avocat, tel que décrit à l'article 3, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et d'une résidence professionnelle sur le territoire national de demander, à l'occasion de sa déclaration d'exercice hors barreau, au Conseil national des barreaux, pour autant que cette demande intervienne dans le délai de la prescription de la créance et de la forclusion de l'action individuelle, à être inscrite sur l'annuaire national des avocats avec la mention spéciale " Avocat(e) exerçant non inscrit(e) au tableau d'un barreau ".
Par un jugement n° 1903067 du 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 20PA02787 du 1er août 2023, le président-assesseur de la première chambre de la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de l'association Le Grand barreau de France contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 septembre et 29 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Le Grand barreau de France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et du Conseil national des barreaux la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 18 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'association Le Grand barreau de France demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'ordonnance du 1er août 2023, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 822-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de l'association Le Grand barreau de France et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Megret, avocat du Conseil national des barreaux ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Les dispositions de l'article L. 822-1 du code de justice administrative instituent, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, une procédure d'admission des pourvois en cassation devant le Conseil d'Etat, en prévoyant que, si ces pourvois sont irrecevables ou ne sont fondés sur aucun moyen sérieux et sont ainsi dépourvus de toute chance de succès, l'admission est refusée par une décision juridictionnelle qui, contrairement à ce qui est allégué, est motivée. Par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les droits de la défense.
4. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 822-1 du code de justice administrative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.
Sur les autres moyens du pourvoi :
5. Pour demander l'annulation de l'ordonnance du président-assesseur de la première chambre de la cour administrative d'appel de Lyon qu'elle attaque, l'association requérante soutient qu'elle est entachée :
- d'une méconnaissance du principe d'impartialité, garanti notamment par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que cette ordonnance contient des termes désobligeants et traduisant une implication personnelle du magistrat qui en est l'auteur ;
- d'un défaut de réponse à moyen ou, à tout le moins, d'une insuffisance de motivation, en ce que le magistrat ne pouvait s'abstenir d'analyser les moyens soulevés ni procéder par adoption des motifs retenus par les premiers juges dès lors que l'association ne se bornait pas à expliciter les arguments présentés en première instance et avait soulevé des moyens nouveaux ;
- d'irrégularité et d'erreur de droit en ce que le signataire de l'ordonnance a fait un usage abusif de la faculté, prévue par l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, de mettre en demeure de produire un mémoire récapitulatif ;
- d'erreur de droit en ce que le président-assesseur de la première chambre de la cour administrative d'appel de Paris a considéré que le mémoire récapitulatif demandé en application des dispositions de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative devait nécessairement être concis et synthétique ;
- d'une méconnaissance du champ d'application du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative et d'une incompétence du magistrat pour statuer comme juge unique, la requête d'appel n'étant pas manifestement dépourvue de fondement ;
- d'une contradiction de motifs en ce que le président-assesseur de la première chambre de la cour administrative d'appel de Paris s'est fondé sur un cumul incompatible de différents dispositifs procéduraux.
6. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Le Grand barreau de France.
Article 2 : Le pourvoi de l'association Le Grand barreau de France n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Le Grand barreau de France.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au Conseil national des barreaux.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 juin 2024 où siégeaient : M. Stéphane Hoynck, assesseur, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 12 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Stéphane Hoynck
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo