Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011. Par un jugement n° 1702254 du 24 janvier 2019, ce tribunal, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un arrêt n° 19NC00860 du 12 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 janvier, 12 avril 2021 et 6 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Cabinet Briard, avocat de M. B... A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la vérification de comptabilité de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie Centrale, dont il était l'unique associé et le dirigeant, portant sur les exercices clos les 31 mars 2009, 2010 et 2011 et d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle au titre de l'année 2011, M. A... a été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, pour un montant, en droits et pénalités, de 120 996 euros, à raison de revenus distribués par la société. Par un jugement du 24 janvier 2019, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer en raison d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance, le tribunal administratif de Nancy a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A... tendant à la décharge de ces suppléments d'impôt. Par l'arrêt attaqué du 12 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...). " et aux termes de l'article R.*57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de manière utile. S'agissant de revenus distribués, cette motivation peut résulter, soit de la reproduction de la teneur de la proposition de rectification adressée à la société distributrice, soit de la jonction de cette proposition de rectification en annexe du document adressé au bénéficiaire des distributions, dès lors du moins que le document concernant la société est lui-même suffisamment motivé.
3. Pour juger que la proposition de rectification du 12 juillet 2013 adressée à M. A... était suffisamment motivée, la cour administrative d'appel de Nancy a relevé que celle-ci reproduisait un extrait de la proposition de rectification du 31 août 2012 adressée à la SELARL Pharmacie Centrale, elle-même suffisamment motivée, et précisé que la circonstance que M. A... n'ait pas lui-même été rendu destinataire d'une annexe numérotée 1 évoquée dans cet extrait ne l'avait pas privé de la possibilité de formuler ses observations. En statuant ainsi, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier desquelles il ressort notamment que les informations contenues dans les annexes à la proposition de rectification du 31 août 2012, non communiquées à M. A..., étaient néanmoins soit reprises pour l'essentiel dans l'annexe à la proposition du 12 juillet 2013, soit sans lien avec les rectifications notifiées au contribuable, ni méconnu les dispositions des articles L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales.
4. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 111 de ce code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les impositions demeurant en litige procèdent de l'inclusion dans les revenus taxables entre les mains de M. A..., dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement des dispositions précitées du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, de sommes correspondant à un rehaussement des bénéfices de la SELARL Pharmacie Centrale au titre de l'exercice clos en 2011, ainsi que, sur le fondement du c) de l'article 111 du même code, d'une somme correspondant à un avantage occulte, regardées dans leur ensemble comme des revenus distribués par cette société à l'intéressé.
6. D'une part, pour juger que M. A... devait être regardé comme ayant appréhendé les distributions afférentes à la réintégration dans les bénéfices imposables de la SELARL Pharmacie Centrale de loyers de crédit-bail d'un véhicule automobile et de frais de carburant constatés au 31 mars 2011, et d'une somme de 77 000 euros comptabilisée le 3 mars 2011 en charge par le débit du compte 644 sous le libellé " virement rémunération gérance 2010 ", la cour s'est fondée, respectivement, sur le fait que le véhicule Audi A5 était demeuré à la disposition de l'intéressé nécessairement pour ses besoins personnels dès lors qu'il n'exerçait plus ses fonctions et sur le fait que la somme de 77 000 euros correspondait à un versement encaissé par M. A... sur son compte bancaire personnel. S'agissant de l'appréhension des distributions correspondant à la réintégration, dans les bénéfices imposables de la société d'une charge injustifiée de 26 048,33 euros figurant également au débit du compte 644, la cour s'est fondée sur la circonstance que cette somme avait été mise à disposition de M. A..., le 31 mars 2011, par voie d'inscription à un compte de charges à payer. S'agissant de l'appréhension de la somme de 29 300 euros virée par la SELARL Pharmacie Centrale et regardée comme un avantage occulte octroyé à M. A..., la cour a relevé que celle-ci avait été encaissée par ce dernier, le 3 mars 2011, sur son compte bancaire personnel ouvert au Crédit Mutuel. Dès lors, s'agissant de ces chefs de redressement, le requérant ne peut utilement critiquer le motif surabondant par lequel la cour a également relevé sa qualité de seul maître de l'affaire.
7. D'autre part, s'agissant des distributions résultant de la réintégration, dans les bénéfices imposables de la société, de recettes en espèces perçues au cours des mois de janvier et février 2011 et non comptabilisées, ni déclarées, la cour a jugé que M. A... devait être présumé en avoir bénéficié, en sa qualité de seul maître de l'affaire, dès lors qu'il avait été l'associé unique et le dirigeant de la SELARL Pharmacie Centrale du 1er avril 2007 au 24 février 2011 et disposé à ce titre seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, et que la circonstance qu'à compter du 24 février 2011 il ait été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer ses fonctions et d'accéder à son officine, n'était pas de nature à lui ôter une telle qualité. M. A..., qui ne conteste pas que, comme l'a estimé le vérificateur, ces recettes en espèces non comptabilisées ont été distribuées le jour même de leur encaissement, soutient qu'il ne pouvait être regardé comme ayant appréhendé celles prélevées après le 22 février 2011, compte tenu de sa perte de contrôle de la société à la suite de son placement en garde à vue à cette date, de son placement sous contrôle judiciaire le 24 février suivant et de la nomination d'un administrateur provisoire.
8. La circonstance que M. A... a été placé en garde à vue le 22 février 2011 n'est, à elle-seule et en tant que telle, pas suffisante pour établir que l'intéressé n'aurait nécessairement plus été en mesure d'exercer la responsabilité qui était la sienne dans l'entreprise à compter de cette date. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, ni d'erreur de qualification juridique des faits, ni dénaturé les pièces du dossier, en jugeant que le requérant devait être regardé comme le seul maître de l'affaire du 1er avril 2007 au 24 février 2011.
9. En revanche, en statuant ainsi qu'elle l'a fait pour la période du 24 au 28 février 2011, alors qu'il lui appartenait de rechercher si l'administration justifiait d'éléments relatifs à la gestion de la société de nature à établir qu'au cours de cette période, M. A..., en dépit de son placement sous contrôle judiciaire et de la nomination d'un administrateur provisoire de la société, continuait d'en exercer seul la responsabilité effective, de sorte qu'il pouvait toujours être regardé comme ayant la qualité de seul maître de l'affaire, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit.
10. Si le ministre fait valoir, pour justifier de l'appréhension par l'intéressé des recettes prélevées et non déclarées pendant cette période, que, lors d'une perquisition menée par les services de la Police judiciaire en février 2011, un sac de sport contenant 19 280 euros en espèces a été découvert, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, statuant sur un pourvoi en cassation, de substituer un tel motif, dont l'examen supposerait une nouvelle appréciation des faits de l'espèce, au motif erroné retenu par l'arrêt attaqué.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il s'est prononcé sur son imposition à raison des distributions intervenues à compter du 24 février 2011 résultant de la réintégration, dans les bénéfices imposables de la SELARL Pharmacie Centrale, de recettes en espèces prélevées et non déclarées.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée.
13. Pour justifier de l'appréhension par M. A... de sommes, prélevées en espèces dans les caisses de la SELARL Pharmacie Centrale, le ministre, qui ne se prévaut pas d'une éventuelle maîtrise de l'affaire par l'intéressé après le 24 février 2011, se borne à faire valoir que, lors d'une perquisition menée par les services de la police judiciaire le 22 février 2011 dans les locaux de la Pharmacie, a été découvert un sac de sport contenant 19 280 euros en espèces dont 13 190 euros revendiqués par M. A... comme provenant des recettes de l'officine. Ce faisant et alors qu'il est constant que cette perquisition est antérieure au 24 février, le ministre n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'appréhension par M. A... des sommes prélevées en espèces dans les caisses de la société du 24 au 28 février 2011. Ainsi, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande dans cette mesure.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 12 novembre 2020 est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur les impositions supplémentaires mises à la charge de M. A... à raison de distributions résultant de la réintégration, dans les bénéfices imposables de la SELARL Pharmacie Centrale, des recettes en espèces prélevées et non déclarées du 24 au 28 février 2011.
Article 2 : M. A... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011, à raison des distributions mentionnées à l'article 1er.
Article 3 : Le jugement du 24 janvier 2019 du tribunal administratif de Nancy est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 juin 2024 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 10 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova