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09/07/2024 | FRANCE | N°492007

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 09 juillet 2024, 492007


Vu la procédure suivante :



La société MG Transports a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2006 au 30 novembre 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2006 à 2012, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de l'année 2010 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jug

ement n° 1901151 du 8 juillet 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

La société MG Transports a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2006 au 30 novembre 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2006 à 2012, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de l'année 2010 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1901151 du 8 juillet 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21NC02294 du 21 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société MG Transports contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 février et 21 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société MG Transports demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 21 mai 2024 et présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société MG Transports demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-104 QPC du 17 mars 2011 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Corlay, avocat de la société MG Transports ;

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du

7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 60 de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, applicable au litige : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / (...) / c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte ".

3. À l'appui de son pourvoi, la société MG Transports demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts citées au point 2. Elle soutient que ces dispositions méconnaissent le principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

4. En premier lieu, il appartient au législateur d'assurer la conciliation de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, qui découle nécessairement de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, avec le principe énoncé par son article 8, aux termes duquel : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Il résulte notamment de ces dernières dispositions, qui s'appliquent à toute sanction ayant le caractère de punition, qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés les principes de légalité des délits et des peines, de nécessité des peines et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère, ainsi que les droits de la défense.

5. En deuxième lieu, la pénalité instituée au c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts ne peut s'appliquer qu'à la double condition, dont il appartient à l'administration d'apporter la preuve, prévue à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige, que " le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire " et " soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ".

6. En outre, il résulte des dispositions du dernier alinéa du 1 de l'article 1728 du code général des impôts citées au point 2, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi dont elles sont issues, que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un État autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d'imposition dans cet autre État que des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux États.

7. Enfin, cette pénalité ne peut être infligée cumulativement avec les majorations prévues à défaut de déclaration après mise en demeure prévues au même 1 de l'article 1728 du code général des impôts.

8. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ne peut qu'être écarté.

9. Par suite, la question de constitutionnalité soulevée par la société MG Transports, qui n'est pas nouvelle, ne présente, en tout état de cause, pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

9. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

10. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société MG Transports soutient que la cour administrative d'appel de Nancy :

- l'a insuffisamment motivé et a commis une erreur de droit en se bornant à relever, pour juger que l'administration fiscale pouvait exercer son droit de reprise au titre des exercices clos de 2006 à 2010 eu égard à l'activité occulte, au sens de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, qu'elle avait exercée, qu'elle ne justifiait pas, en l'absence de toute démonstration financière précisément chiffrée, que la charge fiscale au Luxembourg aurait été équivalente à celle qu'elle aurait supportée en France, alors que le niveau d'imposition s'apprécie objectivement eu égard notamment aux modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales ;

- l'a insuffisamment motivé en jugeant que l'administration fiscale pouvait exercer son droit de reprise au titre des exercices clos de 2006 à 2010, sans prendre en compte l'ensemble des pièces qu'elle avait produites justifiant que des déclarations fiscales avaient été régulièrement souscrites au Luxembourg et que les niveaux d'imposition entre la France et le Luxembourg étaient comparables ;

- a dénaturé les pièces du dossier en estimant que les déclarations fiscales qu'elle avait produites au Luxembourg ne faisaient état que de l'existence d'un crédit d'impôt dénommé " bonification d'impôt pour investissement " alors que ces pièces établissaient le dépôt de déclarations au regard de taxe sur la valeur ajoutée et de l'impôt sur les sociétés dans cet Etat ;

- a commis une erreur de droit en jugeant que les impositions supplémentaires en litige pouvaient être assorties de la majoration de 80 % en cas de découverte d'une activité occulte sur le fondement du c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts alors que, d'une part, elle avait apporté la preuve de l'erreur qu'elle avait commise et, d'autre part, le montant total de ces majorations était excessif au regard de ses facultés contributives et de la gravité du manquement sanctionné, en méconnaissance tant de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que de l'article 1er de son premier protocole additionnel ainsi que de l'article 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et du principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

11. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société MG Transports.

Article 2 : Le pourvoi de la société MG Transports n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société MG Transports.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 juin 2024 où siégeaient :

Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Bastien Lignereux, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 9 juillet 2024.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

Le rapporteur :

Signé : M. Bastien Lignereux

Le secrétaire :

Signé : M. Brian Bouquet

La République mande et ordonne au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 492007
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 jui. 2024, n° 492007
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Lignereux
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : CORLAY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492007.20240709
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