Vu la procédure suivante :
M. B... A... et la société civile immobilière (SCI) Florence ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2017 par lequel le préfet de la Corse-du-Sud a autorisé la société Probat à déplacer des tortues d'Hermann et à détruire leur habitat dans le cadre du projet de construction d'un immeuble d'habitation au lieu-dit Sainte-Catherine sur le territoire de la commune de Porto-Vecchio, dans les conditions prévues par cet arrêté. Par un jugement no 1800042 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 19 décembre 2017 et enjoint à la préfète de la Corse-du-Sud de faire supprimer par la société Probat la clôture hermétique prescrite par cet arrêté dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Par un arrêt no 20MA00056 du 13 mai 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Probat, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. A... et de la SCI Florence.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 13 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et la SCI Florence demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Probat ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Probat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. A... et autre ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 juin 2024, présentée par M. A... et autre ;
Considérant ce qui suit :
1. En vertu du 1° de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, qui vise à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats, sont interdits la " destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ". Sont interdits en vertu du 3° du I du même article la " destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à l'absence de solution alternative satisfaisante, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 19 décembre 2017 pris sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, le préfet de la Corse-du-Sud a autorisé la société Probat à déplacer des tortues d'Hermann et à détruire leur habitat dans le cadre du projet de construction d'un immeuble d'habitation sur le territoire de la commune de Porto-Vecchio, dans les conditions prévues par cet arrêté. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté. Par un arrêt du 13 mai 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Probat, annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté la demande de M. A... et de la SCI Florence comme irrecevable, au motif que ces derniers ne justifiaient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre l'arrêté attaqué. M. A... et la SCI Florence se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que pour demander l'annulation de la décision accordant à la société Probat une dérogation à l'interdiction de perturbation d'espèces protégées et de destruction de leur habitat pour le déplacement des tortues d'Hermann présentes sur la parcelle pour laquelle cette société avait obtenu un permis de construire, pendant la durée des travaux de construction de l'immeuble d'habitation faisant l'objet de ce permis, M. A... et la SCI Florence se sont prévalus de leur qualité de voisins immédiats de cette parcelle et de la circonstance que cet arrêté mettrait un terme au passage des tortues sur leur propriété depuis le terrain d'assiette du projet, leur faisant perdre le plaisir que leur procure la venue de ces tortues.
4. En premier lieu, eu égard à l'objet et à la portée de la décision attaquée, la cour administrative d'appel, qui n'avait pas, contrairement à ce qui est soutenu, à rechercher d'office si l'intérêt pour agir des requérants ne résultait pas de ce que l'autorisation accordée par la décision attaquée aurait porté atteinte à leur droit de vivre dans un environnement sain et équilibré, n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique en jugeant que la circonstance que la décision attaquée conduirait à mettre fin au passage des tortues sur leur parcelle n'était pas de nature à leur conférer un intérêt leur donnant qualité pour former un recours pour excès de pouvoir contre cette décision.
5. En second lieu, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, au regard de son objet et de son activité, consistant en la gestion et l'exploitation par bail ou location du terrain dont elle est propriétaire et en sa mise en valeur, la SCI Florence ne justifiait pas d'un intérêt à l'annulation de la décision attaquée et qu'elle n'était pas susceptible de subir un préjudice d'agrément résultant de ce que cette décision mettrait un terme à la présence des tortues sur sa propriété.
6. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille qu'ils attaquent.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Probat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... et autre est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., premier requérant dénommé, à la société Probat et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 8 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain