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05/07/2024 | FRANCE | N°476139

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 05 juillet 2024, 476139


Vu la procédure suivante :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest à lui verser une provision de 36 749,64 euros à valoir sur l'indemnisation définitive des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa prise en charge par cet établissement. Par une ordonnance n° 2104689 du 18 août 2022, le président du tribunal administratif a mis à la charge du CHU de Brest une provision de 28 600 euros

à verser à Mme A... et a rejeté les conclusions d'appel en garantie pr...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest à lui verser une provision de 36 749,64 euros à valoir sur l'indemnisation définitive des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa prise en charge par cet établissement. Par une ordonnance n° 2104689 du 18 août 2022, le président du tribunal administratif a mis à la charge du CHU de Brest une provision de 28 600 euros à verser à Mme A... et a rejeté les conclusions d'appel en garantie présentées par le CHU de Brest à l'encontre de la société Alcon Pharmaceuticals Ltd.

Par un arrêt n° 22NT02878 du 5 mai 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du CHU de Brest, d'une part, annulé cette ordonnance en tant qu'elle rejetait l'appel en garantie et, d'autre part, condamné la société Alcon Pharmaceuticals Ltd à garantir le CHU à hauteur des sommes mises à sa charge.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 juillet et 3 août 2023 et le 26 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Alcon Pharmaceuticals Ltd demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au titre de l'instance de référé-provision, de rejeter l'appel du CHU de Brest ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Brest la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Alcon Pharmaceuticals Ltd et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier universitaire de Brest.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du référé-provision que Mme A... a été opérée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest les 18 et 24 mars 2004 afin de corriger une hypermétropie et une presbytie par la pose d'implants oculaires. Des douleurs et complications médicales survenues à la suite de ces interventions ont nécessité le retrait des deux implants, de nouvelles interventions ainsi qu'une greffe cornéenne qui s'est accompagnée de plusieurs épisodes de rejet.

2. Saisi par Mme A..., le tribunal administratif de Rennes a, le 21 octobre 2011, prescrit une expertise médicale. Par une ordonnance du 17 novembre 2016, il a prescrit une expertise complémentaire en présence de la société Carl Zeiss Meditec, alors supposée être le fournisseur des implants litigieux, et mis à la charge du CHU de Brest une provision de 5 000 euros à verser à Mme A.... Par une ordonnance du 11 septembre 2017, il a étendu l'expertise à la société Alcon Pharmaceuticals Ltd, en sa qualité de productrice des produits. Le rapport définitif d'expertise a été déposé le 25 mai 2018. Mme A... a, par un courrier du 28 février 2020, saisi le CHU de Brest d'une demande indemnitaire préalable en vue d'obtenir la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite des interventions chirurgicales de mars 2004. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé sur cette demande. L'intéressée a alors saisi le tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, aux fins de versement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices. Par une ordonnance du 18 août 2022, le président du tribunal administratif de Rennes a, d'une part, partiellement fait droit à sa demande en condamnant le CHU de Brest à lui verser une provision complémentaire de 28 600 euros et, d'autre part, rejeté l'appel en garantie du CHU à l'encontre de la société Alcon Pharmaceuticals Ltd. Par un arrêt du 5 mai 2023, contre lequel cette société se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du CHU de Brest, annulé cette ordonnance en tant qu'elle rejetait l'appel en garantie et condamné la société Alcon Pharmaceuticals Ltd à garantir le centre hospitalier à hauteur des sommes mises à sa charge.

Sur le pourvoi principal :

3. D'une part, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient.

4. D'autre part, aux termes de l'article 1245-15 du code civil, issu de la transposition de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux : " Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice ". Aux termes de l'article 1245-17 du même code, également issu de cette transposition : " Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. / Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond ".

5. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un établissement de santé a, en raison de ce que sa responsabilité était engagée, en vertu de la règle rappelée au point 3, indemnisé un patient des dommages ayant résulté de l'utilisation, lors de soins pratiqués dans l'établissement, d'un produit de santé défectueux, il a la possibilité de rechercher, à titre récursoire, la responsabilité du producteur de ce produit sur le fondement particulier des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil. Il est par ailleurs loisible à l'établissement de santé, s'il s'y croit fondé, d'engager une action récursoire contre le producteur de ce produit en invoquant la responsabilité pour faute de ce dernier.

6. Dans le premier cas, c'est-à-dire lorsqu'elle se fonde sur les articles 1245 à 1245-17 du code civil instaurant le régime spécifique de responsabilité du fait des défauts du produit, il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article 1245-15 du même code que l'action récursoire du centre hospitalier ne peut être exercée contre le producteur du produit que dans un délai de dix ans à compter de la mise en circulation de celui-ci, sauf si la victime a elle-même engagé, dans ce délai, une action visant à la réparation des dommages ayant résulté de l'utilisation de ce même produit.

7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour estimer que l'action en garantie introduite par le CHU de Brest contre la société Alcon Pharmaceuticals Ltd n'était pas prescrite, la cour s'est fondée sur la circonstance que le délai de dix ans prévu à l'article 1245-15 du code civil avait été interrompu par la saisine du juge des référés par Mme A... le 30 septembre 2011. En statuant ainsi, alors que, pour interrompre le délai de prescription cité au point précédent, l'action de la victime doit être dirigée contre le producteur des produits défectueux et que l'action engagée par Mme A... était dirigée contre le centre hospitalier, la cour a commis une erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que la société Alcon Pharmaceuticals Ltd est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il fait droit à l'appel en garantie du CHU de Brest.

Sur le pourvoi provoqué :

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en jugeant que l'absence de faute du CHU de Rennes ne faisait pas obstacle à l'engagement de sa responsabilité sans faute du fait de l'utilisation des implants défectueux, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité, le pourvoi provoqué du CHU de Rennes doit être rejeté.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Alcon Pharmaceuticals Ltd, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Brest la somme de 3 000 euros à verser à cette société, au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 5 mai 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il annule l'ordonnance du 18 août 2022 dans la mesure où elle a rejeté les conclusions d'appel en garantie du CHU de Brest dirigées contre la société Alcon Pharmaceuticals Ltd. et en tant qu'il fait lui-même droit à cet appel en garantie.

Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : Le pourvoi provoqué du CHU de Brest est rejeté.

Article 4 : Le CHU de Brest versera à la société Alcon Pharmaceuticals Ltd une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Alcon Pharmaceuticals Ltd et au centre hospitalier universitaire de Brest.

Copie en sera adressée à Mme B... A....

Délibéré à l'issue de la séance du 30 mai 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 5 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

La rapporteure :

Signé : Mme Hortense Naudascher

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 476139
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2024, n° 476139
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE ; SARL LE PRADO – GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:476139.20240705
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