Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 juillet et 13 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 24 février 2023 rapportant le décret du 12 août 2020 lui ayant accordé la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Eche, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., ressortissant ivoirien, a déposé le 23 juillet 2018 une demande de naturalisation auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique dans laquelle il a indiqué être célibataire. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 12 août 2020, publié au Journal officiel du 14 août 2020. Toutefois, par bordereau reçu le 1er mars 2021, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que M. C... avait épousé à Treichville (Côte d'Ivoire), le 4 août 2018, Mme D... E... B..., ressortissante ivoirienne résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 24 février 2023, publié au Journal officiel du 26 février 2023, la Première ministre a rapporté le décret de naturalisation de M. C... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation maritale. M. C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, le décret attaqué comporte l'indication des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde et est ainsi suffisamment motivé.
4. En deuxième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie l'engagement de la procédure de retrait à l'intéressé " qui dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification (...) pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. Après l'expiration de ce délai, le gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé a perdu la qualité de français ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'intéressé a présenté des observations en défense, dans les conditions énoncées ci-dessus, elles doivent être portées par le ministre à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci ne se prononce.
5. Il ressort des visas du décret attaqué que les observations en défense de M. C..., produites le 9 février 2022, ont été portées à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci rende son avis conforme, le 14 février 2023. Dès lors, le moyen tiré de ce que le décret du 24 février 2023 a été pris au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.
6. En troisième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a épousé à Treichville (Côte d'Ivoire), le 4 août 2018, Mme B..., ressortissante ivoirienne résidant habituellement à l'étranger. Ce mariage a constitué un changement de sa situation personnelle et familiale qu'il aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. Si l'intéressé fait valoir qu'il a transmis à la préfecture, le 11 septembre 2018, un extrait d'acte de naissance portant sans autre précision la mention " en vue de mariage ", il ressort des pièces du dossier que cette pièce a été produite à l'appui d'une demande de titre de séjour présentée dans une autre préfecture que celle en charge de l'instruction de sa demande de naturalisation. Par ailleurs, il n'établit pas avoir, par un courriel du 22 décembre 2018, informé la direction générale des étrangers en France de son mariage. Enfin, il n'a pas davantage informé les services chargés de sa demande de la réalité de sa situation familiale notamment lors de son entretien d'assimilation et à l'occasion de l'information des services compétents de son changement d'adresse.
8. L'intéressé, qui maîtrise la langue française ainsi qu'il ressort du compte-rendu de l'entretien d'assimilation du 17 septembre 2019, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. La circonstance qu'il a adressé au service central d'état civil, au début de l'année 2021 et donc postérieurement à sa naturalisation, une demande d'établissement de son acte de mariage est sans incidence sur le caractère frauduleux des déclarations au vu desquelles la nationalité française lui avait été accordée. Dans ces conditions, M. C... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, sans qu'ait d'incidence la circonstance alléguée qu'il remplirait les conditions légales de la naturalisation, la Première ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.
9. En quatrième lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. L'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union européenne, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle est intervenu le décret attaqué et aux motifs qui le fondent, à la Première ministre de rapporter légalement le décret accordant à M. C... la nationalité française, dont il n'est ni soutenu, ni a fortiori établi qu'il aurait perdu la nationalité ivoirienne.
10. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, si M. C... soutient que la décision attaquée affecte sa nomination dans le corps des contrôleurs des services techniques du ministère de l'intérieur et qu'elle entraînera le retrait du titre de séjour de son épouse, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. C....
11. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 24 février 2023 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 12 août 2020. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 juin 2024 où siégeaient : M. Jean-Yves Ollier, assesseur, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Julien Eche, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 5 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Yves Ollier
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Eche
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy