Vu la procédure suivante :
Les sociétés Sun West, JB Solar et Azimut 56 ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite de rejet opposée par le Premier ministre à leur demande de notification à la Commission européenne, au titre des aides d'Etat, du régime de rachat de l'électricité produite par des installations utilisant l'énergie radiative du soleil aux conditions prévues par l'arrêté du 12 janvier 2010 et d'enjoindre à l'Etat, sous astreinte, de notifier à la Commission européenne ce régime d'aide. Par une ordonnance n° 211894 du
8 février 2023, la présidente de la 4ème section de ce tribunal a rejeté leur demande comme étant entachée d'irrecevabilité manifeste.
Par un arrêt n° 23PA01446 du 7 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur leur appel, annulé cette ordonnance et renvoyé leur requête au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative.
Par cette requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 juillet 2023, les sociétés Sun West, JB Solar et Azimut 56 demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet opposée par le Premier ministre à leur demande du 27 octobre 2020 de notifier à la Commission européenne, au titre des aides d'Etat, le régime de rachat de l'électricité produite par des installations utilisant l'énergie radiative du soleil aux conditions prévues par l'arrêté du 12 janvier 2010 ;
2°) d'enjoindre à l'Etat de notifier à Commission européenne ce régime d'aide, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
- le décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;
- le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ;
- l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;
- l'arrêté du 31 août 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat des sociétés Sun West, JB Solar et Azimut 56 ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 juin 2024, présentée par les sociétés Sun West, JB Solar et Azimut 56 ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que les sociétés requérantes ont entendu, en 2010, développer des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil et bénéficier, pour le rachat de leur production par Electricité de France en application de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, des tarifs prévus par l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000. Toutefois, elles n'ont pas été en mesure de notifier au gestionnaire de réseau leur acceptation de sa proposition technique et financière de raccordement au réseau avant la date limite du
2 décembre 2010 fixée par le décret du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil. Il s'est ensuivi qu'elles n'ont pas bénéficié des tarifs prévus par l'arrêté du 12 janvier 2010, abrogé par l'arrêté du 31 août 2010. La juridiction judiciaire a rejeté leur demande d'indemnisation du préjudice consistant en une perte de marge qu'elles imputaient à un retard fautif du gestionnaire de réseau dans l'instruction de leur demande et la formulation de sa proposition de raccordement. Elles ont demandé au Premier ministre, le 27 octobre 2020, de notifier à la Commission européenne, au titre des aides d'Etat, le régime d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil dans les conditions prévues par l'arrêté du
12 janvier 2010 et contestent, par la voie du recours pour excès de pouvoir, le refus implicite qui a été opposé à cette demande.
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". Aux termes de l'article 108 du même traité : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché intérieur (...), elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine (...). / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, (...) elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ".
3. Il appartient au Gouvernement, pour l'application de ces stipulations, de notifier à la Commission européenne les projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Le Gouvernement doit aussi, notamment quand il est saisi d'une demande en ce sens, notifier à la Commission les textes relatifs à des aides qui n'auraient pas fait l'objet d'une notification avant leur adoption, alors que le droit de l'Union impose cette notification.
4. Il résulte également de ces stipulations, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que la décision finale de la Commission constatant, le cas échéant, la compatibilité d'une aide avec le marché intérieur n'a pas pour conséquence de régulariser a posteriori les actes d'exécution qui étaient invalides du fait qu'ils avaient été pris en méconnaissance de l'interdiction posée par la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 108. Il en résulte aussi que, lorsque la Commission a adopté une décision devenue définitive constatant l'incompatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la sanction d'un tel défaut de notification implique la récupération de l'aide mise à exécution en méconnaissance de cette obligation. Enfin, lorsque la Commission a adopté une décision devenue définitive constatant la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la sanction de ce défaut de notification n'implique pas la récupération de l'aide mise à exécution, mais les autorités et juridictions nationales sont tenues de veiller à ce que soit mis à la charge des bénéficiaires de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité.
5. La décision par laquelle le Premier ministre ou un ministre refuse de notifier à la Commission européenne un texte au titre des aides d'Etat, qui se rattache à l'exercice par le Gouvernement d'un pouvoir qu'il détient seul aux fins d'assurer l'application du droit de l'Union et le respect des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, est, y compris lorsque le texte en cause est de nature législative, susceptible d'être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir.
6. Si le bénéficiaire actuel ou potentiel d'une aide qui n'a pas été notifiée justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander au juge de l'excès de pouvoir l'annulation du refus de notifier cette aide afin, si la Commission constate la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur, qu'il n'ait le cas échéant à acquitter que le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité, celui qui n'en a pas bénéficié et ne peut à l'avenir en bénéficier est dépourvu d'un tel intérêt.
7. En l'espèce, si l'obligation d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à sa valeur de marché constitue, à hauteur de la différence entre le tarif de rachat par les acheteurs obligés et le coût évité à ces acheteurs, lié à l'acquisition de l'électricité, une aide d'Etat et si le régime d'aide issu de l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a pas été notifié à la Commission, il est constant que les sociétés requérantes n'ont pas bénéficié de cette aide et ne pourront en bénéficier du fait de l'abrogation dès 2010 de cet arrêté. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'elles ne justifient à ce titre d'aucun intérêt leur donnant qualité pour contester le refus de notification qui a été implicitement opposé à leur demande.
8. Si les sociétés requérantes font en outre valoir que la juridiction civile a déduit de l'absence de notification de l'aide en cause l'illégalité de celle-ci et s'est fondée sur ce motif pour rejeter leurs demandes tendant à la condamnation du gestionnaire de réseau à les indemniser du préjudice correspondant à la privation de cette aide, il résulte des stipulations de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'elle sont interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que même dans le cas où la Commission déclarerait cette aide compatible avec le marché intérieur, une telle déclaration serait dépourvue d'effet rétroactif et serait, par suite et en tout état de cause, sans incidence sur le motif qui leur a été opposé par le juge civil.
9. Enfin, la seule qualité de contribuable de l'Etat ne saurait conférer un intérêt suffisant pour attaquer une décision dont l'annulation serait susceptible d'entraîner une augmentation des recettes du budget de l'Etat.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne justifient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'elles attaquent. Par suite, leurs conclusions tant à fin d'annulation que d'injonction doivent être rejetées comme irrecevables, de mêmes que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête des sociétés Sun West et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Sun West, première requérante dénommée, pour l'ensemble des sociétés requérantes, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 25 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :