Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 novembre 2020 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a refusé de renouveler sa carte de séjour portant la mention " étudiant " et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant mention " vie privée et familiale " ou " étudiant " ou, à défaut, de lui enjoindre de réexaminer sa demande et de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler.
Par un jugement n° 2004516 du 16 septembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 22VE0972 du 29 mars 2023, prise en application du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté, comme manifestement irrecevable au motif de sa tardiveté, l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 28 août et 28 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à la SARL Delvolvé-Trichet, son avocat, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 29 mars 2023 par laquelle le président de la 6ème chambre de la cour administrative de Versailles a rejeté, comme manifestement irrecevable au motif de sa tardiveté, l'appel qu'elle a formé contre le jugement du 16 septembre 2021 du tribunal administratif d'Orléans ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 16 novembre 2020 par laquelle la préfète d'Indre-et-Loire a refusé de renouveler sa carte de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français.
2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; (...) ". Aux termes de l'article R. 776-9 de ce même code, s'agissant des appels dirigés contre les jugements relatifs aux décisions portant obligation de quitter le territoire français et aux décisions relatives au séjour qu'elles accompagnent : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 32 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, dans sa version applicable au litige : " Le bureau d'aide juridictionnelle territorialement compétent pour statuer sur la demande d'aide juridictionnelle est : / " 4° Pour les affaires portées devant une cour administrative d'appel (...), le bureau établi au siège du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège la cour administrative d'appel devant laquelle l'affaire est ou doit être portée, ou, à défaut, le bureau établi au siège du tribunal judiciaire dans le ressort duquel a son siège la cour administrative d'appel devant laquelle l'affaire est ou doit être portée ; (...) ". Aux termes de l'article 35 du même décret : " Le bureau ou la section de bureau qui se déclare incompétent renvoie la demande par décision motivée devant le bureau ou la section de bureau qu'il désigne ". Enfin, aux termes de l'article 44 de ce décret : " I. - En matière civile, lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir devant la Cour de cassation (...) est déposée ou adressée au bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation avant l'expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi, (...) ce délai est interrompu. Un nouveau délai de recours court à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné. (...) / II. - Les délais de recours sont interrompus dans les conditions prévues au I lorsque l'aide juridictionnelle est sollicitée à l'occasion d'une instance devant (...) une cour administrative d'appel (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les demandes d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir devant une juridiction administrative interrompent le délai de recours contentieux à compter de la date à laquelle elles sont adressées à un bureau d'aide juridictionnelle, même lorsque ce bureau n'est pas compétent pour y statuer.
4. Par l'ordonnance attaquée, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la requête de Mme A... comme tardive, en retenant que sa demande d'aide juridictionnelle avait été enregistrée au bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Versailles le 22 novembre 2021, soit après l'expiration du délai d'appel prévu par l'article R. 776-9 du code de justice administrative.
5. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la requérante, en vue de contester le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 16 septembre 2021 qui lui avait été notifié le 18 septembre a, le 12 octobre 2021, présenté une demande d'aide juridictionnelle au bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire d'Orléans qui, par une décision du 19 novembre 2021, s'est déclaré incompétent et a renvoyé cette demande au bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles. La demande d'aide juridictionnelle ayant été formée avant l'expiration du délai de recours contre le jugement contesté, elle a par conséquent interrompu ce délai. Par ailleurs la requête d'appel de Mme A... a été formée devant la cour le 21 avril 2022, dans le nouveau délai de recours qui courait à compter de la notification, intervenue le 23 mars, de la décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles du 8 mars 2022 lui accordant l'aide juridictionnelle.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque, qui a rejeté à tort sa requête d'appel comme tardive.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Delvolvé et Trichet, avocat de Mme A..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du président de la sixième chambre de la cour administrative d'appel de Versailles du 29 mars 2023 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL Delvolvé-Trichet une somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 mai 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 21 juin 2024.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot
La secrétaire :
Signé : Mme Laïla Kouas