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18/06/2024 | FRANCE | N°464193

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 18 juin 2024, 464193


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 4 avril 2016 par laquelle le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a refusé de lui délivrer une autorisation européenne de pêche (AEP) " canne ligne exclusif " pour la pêche professionnelle du thon rouge par les petits métiers artisanaux en mer Méditerranée pour l'année 2016 en sa qualité d'armateur du navire " Mistigri II ", ainsi que la décision du 27 mai 2016 rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 1700193 du 4 novem

bre 2019, le tribunal administratif de Toulon a annulé ces décisions.



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Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 4 avril 2016 par laquelle le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a refusé de lui délivrer une autorisation européenne de pêche (AEP) " canne ligne exclusif " pour la pêche professionnelle du thon rouge par les petits métiers artisanaux en mer Méditerranée pour l'année 2016 en sa qualité d'armateur du navire " Mistigri II ", ainsi que la décision du 27 mai 2016 rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 1700193 du 4 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulon a annulé ces décisions.

Par un arrêt n° 20MA00093 du 17 mars 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulon ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction présentées devant elle.

Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 19 mai et 21 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre et de faire droit à ses conclusions aux fins d'injonction présentées en appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SARL Cabinet Briard, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 22 mars 2013 portant création d'une autorisation européenne de pêche pour la pêche professionnelle du thon rouge (Thunnus thynnus) dans l'océan Atlantique à l'est de la longitude 45° Ouest et en mer Méditerranée ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Cabinet Briard, avocat de M. A... B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., propriétaire et armateur du navire de pêche professionnelle " Mistigri II ", a demandé la délivrance pour l'année 2016 d'une autorisation européenne de pêche (AEP) " canne ligne exclusif " pour la pêche professionnelle du thon rouge par les petits métiers artisanaux en mer Méditerranée. Par une décision du 4 avril 2016, prise après avis de la commission consultative pour la gestion des ressources halieutiques, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a rejeté cette demande puis il a, par une décision du 27 mai 2016, rejeté le recours gracieux formé par M. B... contre cette décision. Par un jugement du 4 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulon a, sur demande de M. B..., annulé les deux décisions du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Sur appel du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt du 17 mars 2022, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulon ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction présentées devant elle. M. B... se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur le cadre juridique applicable :

2. D'une part, aux termes de l'article 7 du règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime de l'Union de contrôle afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche : " 1. Un navire de pêche de l'Union opérant dans les eaux de l'Union n'est autorisé à exercer des activités de pêche spécifiques que si celles-ci sont indiquées dans une autorisation de pêche valable lorsque les pêcheries ou zones de pêche où ces activités sont autorisées : / a) font l'objet d'un régime de gestion de l'effort de pêche ; / b) font l'objet d'un plan pluriannuel ; / c) relèvent d'une zone de pêche restreinte ; (...) ". Aux termes de l'article L. 921-1 du code rural et de la pêche maritime : " (...) l'exercice de la pêche maritime embarquée à titre professionnel (...) peu[t] être soumis à la délivrance d'autorisations. / Ces autorisations ont pour objet de permettre à une personne physique (...) pour un navire déterminé, d'exercer ces activités pendant des périodes, dans des zones, pour des espèces ou groupe d'espèces et, le cas échéant, avec des engins et pour des volumes déterminés. Elles couvrent une période maximale de douze mois (...) ". Aux termes de l'article L. 921-2 du même code : " Les autorisations mentionnées à l'article L. 921-1 sont délivrées par l'autorité administrative ou sous son contrôle, pour une durée déterminée, en tenant compte des trois critères suivants : / - l'antériorité des producteurs ; / - les orientations du marché ; / - les équilibres économiques. / Les autorisations de pêche des espèces soumises à un total autorisé de captures ou à des quotas de captures en application de la réglementation européenne sont délivrées par l'autorité administrative ou, sous son contrôle, par des organisations de producteurs ou leurs unions. (...) / Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'exercice des activités mentionnées à l'article L. 921-1, les modalités de délivrance des autorisations ainsi que les modalités d'application des critères ". Selon l'article D. 921-1 du même code, " Pour l'application du présent livre, on entend par : / (...) 14° " Antériorité " : une référence historique se rapportant à l'activité de pêche maritime ou procédant d'échanges réalisés par une organisation de producteurs à une date donnée. (...) ". L'article R. 921-21 du même code dispose que : " L'autorité ou l'organisation professionnelle mentionnée à l'article R. 921-20 fixe s'il y a lieu, pour chaque régime d'autorisations de pêche, le plafond, exprimé en nombre, puissance ou tonnage, des autorisations susceptibles d'être délivrées, en tenant compte notamment des capacités biologiques de la pêcherie concernée, de l'antériorité des producteurs, des orientations du marché et des équilibres socio-économiques définis conformément au présent titre. / Les autorisations de pêche résultant d'un régime d'autorisation de pêche arrêté par les autorités administratives définies à l'article R. 911-3 sont délivrées (...) par priorité aux demandeurs qui répondent aux critères utilisés pour la fixation du plafond du régime mentionné à l'alinéa précédent ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 921-4 du même code : " L'autorité administrative procède à la répartition de quotas de captures et d'efforts de pêche, institués en vertu de la réglementation de l'Union européenne ou nationale, en sous-quotas affectés soit à des organisations de producteurs ou à leurs unions qui en assurent la gestion, soit à des navires ou à des groupements de navires lorsque ces derniers n'adhèrent pas à une organisation de producteurs. Cette répartition est valable pour une période maximale de douze mois. Les droits résultant de ces sous-quotas ne sont pas cessibles ". L'article R. 921-35 du même code dispose que : " I.- Les quotas de captures et les quotas d'effort de pêche peuvent être répartis annuellement par le ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine en sous-quotas, entre les organisations de producteurs, les groupements de navires ou les navires n'appartenant ni à un groupement de navires, ni à une organisation de producteurs. / (...) III. -Le calcul de chaque sous-quota est effectué en tenant compte de trois composantes : / 1° L'antériorité des producteurs, calculée selon les modalités définies aux articles R. 921-38 et R. 921-39 ; / 2° L'orientation du marché, déterminée selon les modalités définies à l'article R. 921-40 ; / 3° Les équilibres socio-économiques appréciés selon les modalités définies à l'article R. 921-50 ".

4. Enfin, l'arrêté du 22 mars 2013 portant création d'une autorisation européenne de pêche pour la pêche professionnelle du thon rouge (Thunnus thynnus) dans l'océan Atlantique à l'est de la longitude 45° Ouest et en mer Méditerranée, dans sa version applicable au litige, dispose à son article 1er que : " (...) La pêche professionnelle du thon rouge (Thunnus thynnus) dans l'océan Atlantique à l'est de la longitude 45° Ouest et dans la mer Méditerranée est soumise à la détention d'une autorisation européenne de pêche (AEP), ci-après dénommée " AEP thon rouge ". L'AEP thon rouge a valeur d'autorisation de pêche au sens de l'article 7 du règlement (CE) n° 1224/2009 (...) ", à son article 2 que : " (...) La pêche professionnelle du thon rouge, visée au paragraphe 1 de l'article 1er du présent arrêté, est contingentée en nombre d'autorisations, conformément au règlement du Conseil établissant, pour l'année de gestion en cours, les possibilités de pêche dans les eaux de l'UE et, pour les navires de l'UE, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'UE en ce qui concerne certains stocks ou groupes de stocks halieutiques faisant l'objet de négociations ou d'accords internationaux. / Les plafonds sont fixés pour chacune des AEP détaillées à l'article 3. / La liste des navires éligibles est établie conformément à l'article 6 du présent arrêté ", à son article 3 que : " (...) l'AEP thon rouge se décline en : / (...) b) Une AEP pour la pêche du thon rouge par les métiers artisanaux en Méditerranée, portant la mention : / - "canneur, ligneur exclusif" pour les navires de moins de 17,90 mètres de longueur, ayant déposé une demande d'autorisation européenne de pêche du thon rouge à partir de l'année de gestion 2014 et utilisant la canne et la ligne comme engins exclusifs ; (...) ", à son article 4 que : " (...) L'AEP thon rouge est délivrée à un couple armateur-navire par le préfet de région compétent ou, par délégation, par le directeur interrégional de la mer (...) ", à son article 6 que : " (...) la liste initiale des navires éligibles est constituée des navires ayant été éligibles ou titulaires de l'AEP au cours de l'année précédant l'année de gestion pour laquelle la demande d'AEP est formée. / Si le nombre des couples navire-armateur éligibles est inférieur aux plafonds visés à l'article 2 du présent arrêté, les places disponibles sont attribuées conformément à la procédure visée à l'article 9 du présent arrêté. / Les places rendues disponibles par la perte de l'éligibilité de certains couples navire-armateur sont attribuées conformément à la procédure visée à l'article 9 du présent arrêté. (...) ", à son article 7 que : " (...) Une AEP thon rouge est délivrée à tout producteur qui en fait la demande conformément à l'article 5 si le navire figure sur la liste des navires éligibles à l'autorisation de pêche pour l'année en cours, visée à l'article 6 du présent arrêté. / Les demandes présentées pour des navires non-inscrits sur la liste visée à l'article 6 sont instruites suivant les modalités prévues par l'article 9 du présent arrêté " et enfin à son article 9 que : " (...) 1. Les droits des couples navire-armateur éligibles à une AEP thon rouge et les droits disponibles selon les modalités fixées à l'article 7 du présent arrêté peuvent être transférés en faveur de couples navire-armateur non éligibles (...) 3. Les demandes présentées pour des navires non-inscrits sur la liste visée à l'article 6 sont transmises par la délégation à la mer et au littoral, sous couvert des directions inter-régionale de la mer après avis, à la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture. Les demandes sont instruites conformément à l'article 8 de l'arrêté du 18 décembre 2006 établissant les modalités de gestion des différents régimes d'autorisations de pêche définis par la réglementation communautaire et applicables aux navires français immatriculés dans la Communauté européenne (...) ". L'arrêté du 18 décembre 2006 ayant été abrogé par le décret du 26 décembre 2014 relatif à la codification de la partie règlementaire du livre IX du code rural et de la pêche maritime, la dernière phrase de l'article 9 doit être entendue comme renvoyant aux dispositions correspondantes résultant de cette codification, notamment, en ce qui concerne la priorité pour la délivrance des autorisations de pêche, à l'article R. 921-21 de ce code.

5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que si l'autorité compétente est tenue, lorsqu'elle procède à la répartition de quotas de captures ou d'effort de pêche, de prendre en compte l'antériorité des producteurs selon les modalités de calcul fixées aux articles R. 921-38 et R. 921-39 du code rural et de la pêche maritime, il n'en va pas de même lorsqu'il lui revient de prendre en compte cette antériorité en vue de la délivrance des autorisations de pêche, telles que les autorisations pour la pêche professionnelle du thon rouge régies par l'arrêté du 22 mars 2013. Les textes applicables laissent en ce cas à l'autorité compétente une large marge d'appréciation pour déterminer, en vue de la délivrance de ces autorisations, les modalités de mise en œuvre des critères mentionnés à l'article R. 921-21 du même code et de leur combinaison, lui permettant notamment, pour le critère de l'antériorité des producteurs, de se référer aussi bien au volume de leurs captures qu'à la durée de leur activité de pêche.

Sur le pourvoi :

6. En premier lieu, si l'arrêt attaqué relève que l'arrêté du 18 décembre 2006 a été abrogé et qu'il convient d'interpréter le renvoi à ce texte figurant à l'article 9 de l'arrêté du 22 mars 2013 comme indiqué au point 4 ci-dessus, il n'énonce en aucune manière, contrairement à ce que soutient M. B..., que l'arrêté du 22 mars 2013 lui-même aurait été abrogé. Le moyen tiré de ce que la cour aurait ainsi commis une erreur de droit ne peut, dès lors, qu'être écarté.

7. En second lieu, si M. B... soutient que le critère de l'antériorité des producteurs ne peut s'apprécier qu'au regard des quantités capturées et sur une période de référence de trois ans, comme le prescrit l'article R. 921-38 du code rural et de la pêche maritime, il résulte de ce qui a été dit au point 5 ci-dessus que, pour la délivrance des autorisations pour la pêche professionnelle du thon rouge régies par l'arrêté du 22 mars 2013, l'autorité compétente n'est pas tenue d'apprécier l'antériorité selon ces modalités et peut légalement se référer à une durée d'activité de pêche. Par suite, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur avait légalement pu se fonder, pour refuser à M. B..., qui ne figurait pas sur la liste, mentionnée à l'article 6 de l'arrêté du 22 mars 2013, des navires titulaires d'une AEP au cours de l'année précédant celle pour laquelle la demande d'AEP en litige a été formée, la délivrance d'une telle autorisation dans les conditions définies à l'article 9 du même arrêté, sur ce qu'il ne satisfaisait pas, parmi les critères retenus par l'administration, à celui tenant à l'antériorité des producteurs, apprécié au regard de sa durée d'activité de pêche au cours de la plus récente période de référence annuelle.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, lequel est suffisamment motivé. En conséquence, son pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 mai 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 18 juin 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Autret

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464193
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2024, n° 464193
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Autret
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:464193.20240618
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