Vu la procédure suivante :
La société Scierie BMNS a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 janvier 2020 du maire de Farino règlementant la circulation des poids lourds sur la voie urbaine n°1, dite " route de Tendéa ". Par un jugement n° 2000102 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA00223 du 4 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société Scierie BMNS, annulé ce jugement ainsi que l'arrêté du 30 janvier 2020 du maire de Farino.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 janvier 2023 et 23 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Farino demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Scierie BMNS ;
3°) de mettre à la charge de la société Scierie BMNS la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 ;
- le code des communes de la Nouvelle-Calédonie ;
- le code des relations du public avec l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la commune de Farino et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la scierie BMNS ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 30 janvier 2020, le maire de Farino (Nouvelle-Calédonie) a réglementé la circulation sur la voie urbaine n°1 dite " route de Tendéa ". La société Scierie BMNS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie annulant cet arrêté pour excès de pouvoir.
2. En vertu de l'article L. 131-1 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie, le maire " est chargé, sous le contrôle administratif du haut-commissaire, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". Aux termes de l'article L. 131-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (...) ". L'article L. 131-3 du même code dispose que : " Le maire a la police de la circulation sur les routes territoriales, les routes provinciales et les voies de communication à l'intérieur des agglomérations ". Selon l'article L. 131-4 du même code : " Le maire peut, par arrêté motivé, eu égard aux nécessités de la circulation : 1° Interdire à certaines heures l'accès de certaines voies de l'agglomération ou de certaines portions de voie ou réserver cet accès, à certaines heures, à diverses catégories d'usagers ou de véhicules (...) ". L'article L. 131-13 dispose que : " Les pouvoirs qui appartiennent au maire, en vertu de l'article L. 131-2 (...), ne font pas obstacle au droit du haut-commissaire de prendre, pour toutes les communes de la Nouvelle-Calédonie ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques./ Ce droit ne peut être exercé par le haut-commissaire à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat ".
3. Il résulte des dispositions des articles L. 131-1, L. 131-2, L. 131-3 et L. 131-4 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie, citées au point 2, que le maire est compétent, sous le contrôle administratif du haut-commissaire, pour assurer la police de la circulation sur les routes territoriales, les routes provinciales et l'ensemble des voies publiques ou privées ouvertes à la circulation publique à l'intérieur des agglomérations. A l'extérieur des agglomérations, le maire exerce également la police de la circulation sur les voies du domaine public routier communal, sous réserve le cas échéant des pouvoirs dévolus aux autorités territoriales et provinciales. A ce titre, il peut notamment interdire à certaines heures l'accès de certaines voies de l'agglomération ou de certaines portions de voie ou réserver cet accès, à certaines heures, à diverses catégories d'usagers ou de véhicules.
4. Lorsqu'une voie sur laquelle s'exercent les pouvoirs conférés au maire en matière de police de la circulation traverse successivement le territoire de différentes communes, chaque maire est compétent, au titre de la police municipale, pour réglementer la circulation sur cette voie sur le territoire de sa commune, quand bien même la réglementation qu'il adopte aurait des conséquences sur les conditions de circulation sur le territoire d'une autre commune. Il appartient au maire, dans l'exercice de sa compétence, de prendre en considération les incidences de cette réglementation pour les communes voisines. Ce n'est, par exception à ce qui vient d'être dit, que lorsque l'axe d'une voie communale délimite les territoires de deux communes que la police de la circulation doit être exercée en commun par les maires de ces communes.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 qu'en retenant qu'une décision réglementant la circulation dans une commune, sur le fondement de l'article L. 131-2 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie, doit, lorsqu'elle a des conséquences sur les conditions de circulation d'une voie située sur le territoire d'une commune voisine, être nécessairement prise en commun par les maires de ces communes, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Farino est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Scierie BMNS la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Farino au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Farino qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 4 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La société Scierie BMNS versera à la commune de Farino la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Scierie BMNS tendant à l'application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Farino et à la société Scierie BMNS.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 17 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana