Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 472376, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mars et 22 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail (CGT), l'Union syndicale Solidaires et la Fédération syndicale unitaire (FSU) demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 472385, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 mars et 28 avril 2023 et le 22 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le n° 472393, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 mars et 26 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail Force ouvrière demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
4° Sous le n° 472437, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 mars et 26 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
5° Sous le n° 472491, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mars et 2 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 ;
- le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 ;
- la décision du 5 juillet 2023 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée sous les n° 472376, 472385, 472437 et 472491 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Confédération générale du travail, de l'Union syndicale solidaires et de la Fédération syndicale unitaire, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat de l'Union nationale des syndicats autonomes, à Me Haas, avocat de la Confédération générale du travail Force ouvrière, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de la Confédération française démocratique du travail et de la Confédération française des travailleurs chrétiens et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres ;
Considérant ce qui suit :
1. Les cinq requêtes visées ci-dessus, qui tendent à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage, présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. En vertu de l'article L. 5422-20 du code du travail, les mesures d'application des dispositions de ce code relatives au régime d'assurance chômage font l'objet d'accords conclus entre les organisations représentatives d'employeurs et de salariés et agréés dans les conditions définies aux articles L. 5422-20-1 à L. 5422-24 du code, le dernier alinéa de l'article L. 5422-20 prévoyant qu'" en l'absence d'accord ou d'agrément de celui-ci, les mesures d'application sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes du premier alinéa du I de l'article premier de la loi du 21 décembre 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi : " Par dérogation aux articles L. 5422-20 à L. 5422-24 et L. 5524-3 du code du travail, un décret en Conseil d'Etat, pris après concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, détermine, à compter du 1er novembre 2022, les mesures d'application des dispositions législatives relatives à l'assurance chômage mentionnées au premier alinéa de l'article L. 5422-20 du même code. Ces mesures sont applicables jusqu'à une date fixée par décret, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2023, et peuvent faire l'objet de dispositions d'adaptation en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon. (...) " L'article L. 5422-2-2 du code du travail, issu de la loi du 21 décembre 2022, prévoit que : " Les conditions d'activité antérieure pour l'ouverture ou le rechargement des droits et la durée des droits à l'allocation d'assurance peuvent être modulées en tenant compte d'indicateurs conjoncturels sur l'emploi et le fonctionnement du marché du travail. "
3. L'article 2 du décret en litige, pris sur le fondement des dispositions précitées du I de l'article premier de la loi du 21 décembre 2022, crée, aux article 9 et 9 bis du règlement d'assurance chômage établi par l'annexe A au décret du 26 juillet 2019 relatif au régime d'assurance chômage, en application de l'article L. 5422-2-2 du code du travail, un dispositif de modulation de la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi au titre de l'allocation d'aide au retour à l'emploi. Le 1° du paragraphe premier de l'article 9, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit que cette durée équivaut aux trois quarts du nombre de jours calendaires de la période de référence, à compter de la première période d'emploi incluse dans cette dernière. Le 2° dispose que l'allocataire dont le reliquat de droits est de trente jours ou moins peut bénéficier, quand la condition prévue au paragraphe premier de l'article 9 bis est remplie, d'un complément de fin de droits portant la durée d'indemnisation au nombre total de jours calendaires de la période de référence à compter de la première période d'emploi incluse dans cette dernière. Le paragraphe premier de l'article 9 bis dispose que le complément de fin de droits est applicable " à compter du premier jour du mois civil au cours duquel est publié l'arrêté du ministre chargé de l'emploi constatant, sur la base des estimations de l'Institut national de la statistique et des études économiques, la réalisation de l'une ou l'autre des conditions suivantes : / - une augmentation sur un trimestre de 0,8 point ou plus de l'estimation du taux de chômage pour la France, hors Mayotte, au sens du Bureau international du travail ; / - l'atteinte, pour l'estimation de ce même taux, d'un niveau égal ou excédant 9,0 %. " Le second paragraphe de l'article 9 bis prévoit que ce complément de fin de droits cesse d'être applicable " à compter du premier jour du mois civil suivant la publication de l'arrêté du ministre chargé de l'emploi constatant, sur la base des estimations de l'Institut national de la statistique et des études économiques, la réalisation des deux conditions cumulatives suivantes sur trois trimestres consécutifs : / - une hausse trimestrielle de moins de 0,8 point ou une baisse de l'estimation du taux de chômage France (hors Mayotte) au sens du Bureau international du travail constaté par l'Institut national de la statistique et des études économiques ; / - l'atteinte, pour l'estimation de ce même taux, d'un niveau inférieur à 9,0 %. "
Sur la légalité externe :
4. En premier lieu, un décret en Conseil d'Etat ne pouvait, sur le fondement des dispositions du I de l'article premier de la loi du 21 décembre 2022, déterminer, à compter du 1er novembre 2022, les mesures d'application des dispositions législatives relatives à l'assurance chômage qu'après concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel.
5. Il ressort des pièces des dossiers que le Gouvernement a présenté à ces organisations, par un courrier du 12 octobre 2022, la liste des thèmes soumis à discussion, parmi lesquels figuraient notamment l'identification des paramètres du régime d'assurance chômage qui pourraient faire l'objet d'une modulation ainsi que les critères, les modalités et l'ampleur de cette modulation. Ce courrier était accompagné d'un dossier documentaire relatif à la " concertation en vue du renforcement du caractère contracyclique du régime d'assurance chômage ", qui exposait notamment les objectifs poursuivis par le Gouvernement en la matière, identifiait des paramètres du régime auxquels le mécanisme de modulation destiné à assurer cette contracyclicité pourrait s'appliquer, dont la durée d'indemnisation, ainsi que les conditions de déclenchement de cette modulation, et présentait la situation du marché du travail entre 2019 et 2022, les effets attendus d'une modulation et des comparaisons internationales. Des discussions se sont déroulées entre le Gouvernement et les organisations de salariés et d'employeurs entre le 17 octobre et le 21 novembre 2022. Ces dernières ont consisté en une réunion d'ouverture, tenue le 17 octobre, en deux séries de réunions bilatérales avec les organisations de salariés et d'employeurs, tenues, d'une part, entre le 26 octobre et le 4 novembre et destinées notamment à recueillir l'avis de ces organisations sur les paramètres à retenir pour la modulation et, d'autre part, entre le 16 et le 18 novembre, durant lesquelles le Gouvernement a présenté ses premiers arbitrages, et enfin en une réunion conclusive tenue le 21 novembre en vue de recueillir l'avis de ces organisations sur les choix en définitive envisagés par le Gouvernement.
6. Il ressort des éléments mentionnés au point 5 que les organisations de salariés et d'employeurs représentatives ont eu la possibilité, à plusieurs reprises, de discuter tant des objectifs poursuivis par le Gouvernement s'agissant de la modulation de la durée d'indemnisation que des modalités envisagées pour cette dernière et de faire valoir leurs propres propositions. L'exigence de concertation prévue par les dispositions législatives en vigueur à la date du décret contesté a ainsi été respectée, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que ces discussions se sont tenues avant l'adoption définitive de la loi du 21 décembre 2022, la disposition dont est issu l'article L. 5422-2-2 du code du travail étant au demeurant demeurée inchangée depuis son adoption par la commission des affaires sociales du Sénat le 19 octobre 2022. Les syndicats requérants ne sont, dans ces conditions, pas fondés à soutenir que le décret en litige, qui n'avait en outre ni à être précédé d'une évaluation de la réglementation antérieure ni à être accompagné d'une étude d'impact, aurait été adopté à l'issue d'une procédure méconnaissant le principe de participation des travailleurs à l'établissement des règles d'assurance chômage tel qu'organisé par le I de l'article premier de la loi du 21 décembre 2022, faute d'une concertation préalable appropriée avec les organisations représentatives de salariés et d'employeurs.
7. En deuxième lieu, aux termes de la première phrase du II de l'article premier de la loi du 21 décembre 2022 : " A compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement engage, dans les conditions prévues à l'article L. 1 du code du travail, une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel sur la gouvernance de l'assurance chômage, suivie le cas échéant d'une négociation. "
8. Les syndicats requérants ne peuvent utilement soutenir que le décret en litige aurait été édicté selon une procédure irrégulière faute de concertation organisée dans les conditions prévues par ces dispositions dès lors que, pris sur le fondement du I du même article, il n'était pas subordonné à l'organisation d'une telle concertation.
9. En troisième lieu, la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle est chargée, en application du 2° de l'article L. 2271-1 du code du travail, " d'émettre un avis sur les projets de (...) décret relatifs aux règles générales portant sur les relations individuelles et collectives du travail (...) ainsi que dans le domaine de la politique de l'emploi, de l'orientation et de la formation professionnelle initiale et continue " et, en application du 10° de cet article, " d'émettre un avis sur : (...) b) l'agrément des accords d'assurance chômage mentionnés à l'article L. 5422-20 ". S'il résulte de ces dispositions que cette commission devait être consultée, comme elle l'a été, préalablement à l'adoption du décret en litige, ni ces dispositions ni aucune autre n'imposaient qu'elle rende son avis au vu d'une évaluation de la réforme envisagée, de ses conséquences sur la trajectoire financière de l'assurance chômage et des objectifs poursuivis par le Gouvernement. Il ne ressort des pièces des dossiers ni que la circonstance qu'elle n'aurait été saisie que du projet de décret, sans qu'il soit accompagné de tels éléments, aurait fait obstacle à ce qu'elle soit mise à même d'émettre son avis en connaissance de cause, ni que cette commission se serait réunie en méconnaissance des règles de quorum prévues par l'article R. 2272-8 du code du travail.
10. En dernier lieu, il ressort de la copie de la minute de la section sociale du Conseil d'Etat, produite dans le cadre de l'instruction par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, que le décret attaqué ne comporte pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne le choix des indicateurs :
11. D'une part, le taux de chômage est un indicateur conjoncturel permettant d'apprécier la situation de l'emploi et le fonctionnement du marché du travail. Par suite, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en se fondant sur cet indicateur pour moduler la durée des droits à l'allocation d'assurance, le pouvoir réglementaire aurait méconnu l'article L. 5422-2-2 du code du travail cité au point 2. Cet article n'impose par ailleurs pas de retenir plusieurs indicateurs. Au demeurant, le décret en litige se fonde tant sur le taux de chômage que sur son évolution trimestrielle pour déterminer si le complément de fin de droit est applicable et ainsi mettre en œuvre la modulation qu'il organise.
12. D'autre part, il ressort des pièces des dossiers que l'estimation du taux de chômage pour la France, hors Mayotte, au sens du Bureau international du travail est calculée par l'Institut national de la statistique et des études économiques sur le fondement de l'enquête Emploi, qui repose sur l'interrogation à chaque trimestre d'environ 90 000 personnes constituant un échantillon représentatif de la population et dont la méthodologie est harmonisée par Eurostat, l'office statistique européen. La précision de cette estimation est de plus ou moins 0,3 point, en moyenne, par trimestre. Cette estimation est produite par l'Institut national de la statistique et des études économiques dans un délai d'environ quarante-cinq jours à l'issue du trimestre sur lequel elle porte. Si l'estimation initiale est parfois corrigée ultérieurement, il résulte en tout état de cause des pièces des dossiers que cette rectification n'a jamais conduit à une différence supérieure à 0,1 point. Il résulte des conditions de production de cette estimation que le pouvoir réglementaire n'a pas entaché son décret d'une erreur manifeste d'appréciation en la retenant pour définir les conditions de la modulation prévue à l'article L. 5422-2-2 du code du travail.
En ce qui concerne la durée d'indemnisation :
13. En premier lieu, il résulte des dispositions rappelées au point 3 que le décret en litige retient une durée d'indemnisation de base correspondant aux trois quarts de la durée de la période de référence pour la constitution des droits, sans pouvoir être inférieure au seuil défini au § 4 de l'article 9 du règlement d'assurance chômage. Si cette durée, dont le choix ne procède d'aucune erreur manifeste d'appréciation, est inférieure d'un quart à celle qui prévalait dans l'état antérieur de la réglementation, cette modification n'est pas constitutive d'une modulation au sens de l'article L. 5422-2-2 du code du travail. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir qu'elle en méconnaîtrait les dispositions.
14. En deuxième lieu, il résulte des dispositions rappelées au point 3 que le décret en litige prévoit, pour opérer la modulation de la durée d'indemnisation qu'il institue, le versement d'un complément de fin de droits, dans les conditions prévues à l'article 9 bis, pendant une période s'ajoutant à la durée d'indemnisation de base définie comme il a été dit au point précédent et ayant pour effet de porter la durée d'indemnisation au niveau de la période de référence pour la constitution des droits. En retenant une telle modulation de la durée d'indemnisation, qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne joue pas uniquement à la baisse, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu l'article L. 5422-2-2 du code du travail, lequel n'impose au demeurant pas de prévoir une modulation tant à la hausse qu'à la baisse, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.
15. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...) ".
16. D'une part, en application de l'article 5 bis du règlement général d'assurance chômage dans sa rédaction résultant du décret en litige, le dispositif de modulation est applicable aux travailleurs privés d'emploi dont la fin de contrat de travail est intervenue à compter du 1er février 2023, à l'exception de ceux dont la date d'engagement de la procédure de licenciement, telle que définie à cet article, est antérieure à cette date. Il est donc sans incidence sur la durée d'indemnisation au titre de l'allocation d'assurance pour les demandeurs d'emploi qui en bénéficiaient antérieurement à cette date. D'autre part, ni la réduction de la durée d'indemnisation de base ni sa modulation, telles que prévues à compter de cette date par le décret en litige, ne portent atteinte à la substance du droit à l'allocation d'assurance chômage des personnes susceptibles d'en bénéficier. Par suite, ce décret ne méconnaît pas les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne le principe d'égalité :
17. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
18. En premier lieu, le principe d'égalité n'implique pas de soumettre à des régimes différents des personnes se trouvant dans des situations différentes. Par suite, le décret attaqué pouvait, sans méconnaitre ce principe, ne pas différencier les conditions de modulation de la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi pour tenir compte des disparités géographiques dans la situation de l'emploi. Les syndicats requérants ne sont davantage fondés à soutenir ni que le décret en litige méconnaîtrait, pour ce même motif, l'article L. 5422-2-2 du code du travail, qui n'impose pas de différencier territorialement la modulation de la durée d'indemnisation, ni qu'il serait à ce titre entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
19. En deuxième lieu, la modulation de la durée d'indemnisation prévue par le décret en litige résultant directement des dispositions de l'article L. 5422-2-2 du code du travail précité, les syndicats requérants ne sauraient utilement critiquer dans son principe la différence de traitement qu'elle induit entre demandeurs d'emplois selon qu'ils bénéficient ou non du complément de fin de droits. Il résulte par ailleurs de ce qui a été dit au point 14 que la modulation retenue n'est en tout état de cause pas manifestement disproportionnée.
20. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 5422-6 du même code, " lorsque, du fait des modalités particulières d'exercice d'une profession, les conditions d'activité antérieure pour l'admission à l'allocation d'assurance ne sont pas remplies, des aménagements peuvent être apportés à ces conditions d'activité ainsi qu'à la durée d'indemnisation et aux taux de l'allocation dans des conditions fixées selon le cas par l'accord prévu à l'article L. 5422-20 ou par décret en Conseil d'Etat. "
21. Sur le fondement de ces dispositions, le décret en litige ne rend pas applicable la modulation de la durée d'indemnisation au titre de l'allocation d'assurance aux marins-pêcheurs salariés, lesquels relèvent du chapitre 2 de l'annexe II à l'annexe A du décret précité du 26 juillet 2019, aux ouvriers dockers occasionnels, qui relèvent du chapitre 2 de l'annexe III, aux intermittents du spectacle, qui relèvent de l'annexe VIII, et aux salariés expatriés concernés par une adhésion facultative à l'assurance chômage, qui relèvent du chapitre 2 de l'annexe IX. Cette différence de traitement entre les salariés relevant de ces annexes et ceux qui relèvent du régime de droit commun de l'assurance chômage est en rapport direct avec l'objet de ces règles, compte tenu des caractéristiques propres à l'emploi dans ces professions, et n'est pas manifestement disproportionnée.
22. Par suite, le décret attaqué n'est pas contraire au principe d'égalité en ce qu'il ne prévoit pas pour les demandeurs d'emploi relevant des professions mentionnées au point 21 de modulation de la durée d'indemnisation analogue à celle prévue pour les autres demandeurs d'emploi.
En ce qui concerne les autres moyens :
23. En premier lieu, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret en litige devrait être annulé en conséquence de l'inconstitutionnalité de l'article L. 5422-2-2 du code du travail qui en constitue la base légale, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée n'ayant, par la décision visée ci-dessus, pas été renvoyée au Conseil constitutionnel.
24. En deuxième lieu, en soutenant que la modulation instituée par le décret en litige méconnaît le devoir de solidarité découlant du principe à valeur constitutionnelle de fraternité, ainsi que, compte tenu de l'atteinte qu'elle porte au droit à un revenu de remplacement, le droit constitutionnel à un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi dans des conditions portant atteinte au droit au respect de la dignité des demandeurs d'emploi et qu'elle n'aura pas les effets escomptés sur l'emploi, les requérants critiquent le principe même de cette modulation tel qu'il résulte de l'article L. 5422-2-2 du code du travail, ce qu'ils ne peuvent utilement faire en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution. Pour les motifs mentionnés aux points 14 et 16, ils ne sont pas non plus fondés à soutenir que les modalités de modulation des conditions d'indemnisation des demandeurs d'emploi résultant du décret en litige méconnaîtraient ces droits et principes.
25. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que, en instaurant une modulation de la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi, le Gouvernement aurait porté une appréciation manifestement erronée quant à la possibilité que cette modulation puisse avoir une influence significative sur la reprise d'emploi ne peut de même qu'être écarté, une telle modulation étant permise par l'article L. 5422-2-2 du code du travail lui-même.
26. Il résulte de tout ce qui précède que les syndicats requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret en litige.
Sur les frais d'instance :
27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la Confédération générale du travail et autres, de l'Union nationale des syndicats autonomes, de la Confédération générale du travail Force ouvrière, de la Confédération française démocratique du travail et autre et de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail, première dénommée, pour l'ensemble des requérants sous le numéro 472376, à l'Union nationale des syndicats autonomes, à la Confédération générale du travail Force ouvrière, à la Confédération française démocratique du travail, première dénommée, pour les deux requérantes sous le numéro 472437, à la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juin 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 14 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Eric Buge
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé HERBER