Vu la procédure suivante :
La société Corsica Ferries a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 17 janvier 2018 du préfet de Corse portant modification du règlement local de la station de pilotage des ports de Corse-du-Sud, en tant qu'il définit les tarifs du pilotage maritime. Par un jugement n° 1800318 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20MA02723 du 28 novembre 2022, la cour administrative de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Corsica Ferries contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 janvier 2023, le 26 avril 2023 et le 18 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Corsica Ferries demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Eche, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Corsica ferries et à la SCP Foussard-Froger, avocat de la fédération française des pilotes maritimes et du syndicat professionnel des pilotes maritimes de la Corse-du-Sud ;
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 17 janvier 2018, le préfet de Corse a modifié le règlement local de la station de pilotage des ports de Corse-du-Sud, en tant qu'il définit les tarifs du pilotage maritime qui avaient été approuvés par un arrêté du 19 septembre 2016. La société Corsica Ferries se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 novembre 2022 par lequel la cour administrative de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 9 juin 2020 du tribunal administratif de Bastia rejetant sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 5341-1 du code des transports : " Le pilotage consiste dans l'assistance donnée aux capitaines, par un personnel commissionné par l'Etat, pour la conduite des navires à l'entrée et à la sortie des ports (...) ". Le premier alinéa de l'article L. 5341-3 de ce code dispose que : " Le capitaine d'un navire soumis à l'obligation du pilotage est tenu de payer le pilote, même s'il n'utilise pas ses services, quand celui-ci justifie qu'il a fait la manœuvre pour se rendre au-devant du navire ". L'article L. 5341-4 du même code précise que " La rémunération du pilotage n'est pas due si le pilote ne s'est pas présenté ".
3. Aux termes des dispositions de l'article R. 5341-1 du code des transports : " Le pilotage défini par l'article L. 5341-1 est obligatoire pour tous les navires, y compris les navires de guerre, dans la zone dont les limites sont déterminées pour chaque port par le règlement local de la station de pilotage de ce port (...) ". Aux termes des dispositions de l'article R. 5341-2 de ce code : " Par dérogation aux dispositions de l'article R. 5341-1, sont dispensés de l'obligation de pilotage : (...) 4° Les navires d'une longueur hors tout inférieure à un certain seuil fixé pour chaque station, en considération des conditions locales d'exécution de l'opération de pilotage ". L'article R. 5341-2-2 du même code dispose en outre que : " L'obligation de pilotage prévue à l'article R. 5341 1 comporte une obligation de prendre un pilote. Toutefois, ne sont pas soumis à l'obligation de prendre un pilote les navires dont le capitaine est titulaire d'une licence de capitaine pilote applicable dans le port ou la partie du port considérée et délivrée selon les modalités fixées par l'article R. 5341-3 ". Aux termes des dispositions de l'article R. 5341-32 de ce code : " Les tarifs du pilotage sont composés : 1° D'un tarif général applicable à tous les navires ; 2° Des majorations au tarif général, telles qu'elles sont prévues aux articles R. 5341-34 et R. 5341-35 ; 3° Des réductions au tarif général (...). Ces tarifs sont fixés par le règlement local de la station. Le tarif général de pilotage a pour assiette le volume résultant du produit de la longueur hors tout du navire, de sa largeur maximale et de son tirant d'eau maximal d'été. Les modalités de calcul de l'assiette sont fixées par arrêté du ministre chargé de la marine marchande ". Aux termes des dispositions de l'article R. 5341-36 de ce code : " Les navires dont le capitaine est titulaire d'une licence de capitaine pilote ne peuvent être soumis qu'à un tarif réduit. Toutefois, ceux d'entre eux qui font appel aux services du pilote sont, à l'occasion de l'opération considérée, soumis au tarif général ". En outre, aux termes des dispositions de l'article R. 5341-47 de ce code : " Dans chaque station, (...) les tarifs et les indemnités de pilotage sont déterminés par le règlement local. Celui-ci est établi par le préfet de région, après avoir recueilli l'avis de l'assemblée commerciale (...) ".
4. Une redevance pour service rendu peut être légalement établie à la condition, d'une part, que les opérations qu'elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l'Etat et, d'autre part, qu'elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d'usagers déterminés.
5. Une redevance pour service rendu doit essentiellement trouver une contrepartie directe dans la prestation fournie par le service et, par conséquent, correspondre à la valeur de la prestation ou du service.
Sur le pourvoi :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la redevance en litige finance la prestation d'assistance fournie par les pilotes de port aux capitaines pour la conduite des navires à l'entrée et à la sortie des ports. Il résulte des dispositions de l'article R. 5341-2 du code des transports, citées au point 3, qu'il est loisible aux navires dont le capitaine est titulaire d'une licence de capitaine pilote d'assurer eux-mêmes cette conduite. S'ils peuvent dans ce cas être redevables en application de l'article R. 5341-36 d'une redevance à taux réduit, celle-ci constitue la contrepartie de la disponibilité du service de pilotage, auquel ils peuvent faire appel à tout moment. Dans ces conditions, la redevance litigieuse doit être regardée comme finançant des opérations qui ne relèvent pas des missions qui incombent par nature à l'Etat et comme trouvant sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice des exploitants des navires. Dès lors, la société Corsica Ferries n'est pas fondée à soutenir que la cour a inexactement qualifié les faits en retenant que les tarifs du pilotage avaient la nature d'une redevance pour service rendu.
7. En second lieu, pour écarter l'argumentation de la société requérante relative au montant des tarifs, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que les éléments invoqués devant elle, tirés notamment de la diminution du nombre d'opérations et du montant du revenu des pilotes, ne permettaient pas d'établir qu'ainsi qu'il était soutenu, le montant de la redevance était manifestement disproportionné par rapport à la valeur du service. En statuant ainsi, la cour, qui a porté sur les éléments qui lui étaient soumis une appréciation souveraine non entachée de dénaturation et qui pouvait statuer sans être tenue de déterminer, au moyen de ses pouvoirs d'instruction, le détail de la " masse partageable ", comprenant les retenues opérées sur les recettes de la station pour l'alimentation des caisses de retraite complémentaire et la rémunération des six pilotes de la station, incluse dans les charges de personnel telles qu'elles figuraient dans le dossier soumis à l'assemblée commerciale de la station de pilotage des ports de Corse du Sud le 30 novembre 2017, n'a pas commis d'erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Les conclusions présentées au même titre par la fédération française des pilotes maritimes et par le syndicat professionnel des pilotes maritimes de la Corse-du-Sud, qui ne sont pas parties au litige, ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Corsica Ferries est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la fédération française des pilotes maritimes et du syndicat professionnel des pilotes maritimes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Corsica Ferries, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la fédération française des pilotes maritimes et au syndicat professionnel des pilotes maritimes de la Corse-du-Sud.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 mai 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et M. Julien Eche, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 13 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Eche
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard