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11/06/2024 | FRANCE | N°471132

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 11 juin 2024, 471132


Vu les procédures suivantes :



I. Sous le n° 471132, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 6 février et 5 mai 2023 et les 15 février et

29 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 1er décembre 2022 par lequel le Président de la République l'a radié des cadres, en tant que ce décret le soumet à l'obligation de remboursement des frais supportés

par l'Etat lors de sa scolarité à l'Ecole polytechnique ;



2°) de mettre à la char...

Vu les procédures suivantes :

I. Sous le n° 471132, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 6 février et 5 mai 2023 et les 15 février et

29 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 1er décembre 2022 par lequel le Président de la République l'a radié des cadres, en tant que ce décret le soumet à l'obligation de remboursement des frais supportés par l'Etat lors de sa scolarité à l'Ecole polytechnique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. Sous le n° 476257, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 24 juillet 2023 et le 27 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat,

M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, en premier lieu, la décision du

23 mai 2023 par laquelle le président du conseil d'administration de l'École polytechnique l'a déclaré redevable de la somme de 48 463,54 euros au titre du remboursement de ses frais de scolarité, en deuxième lieu, l'avis de remboursement de ses frais de scolarité du 15 mai 2023 et, en dernier lieu, le titre exécutoire formant avis des sommes à payer émis et rendu exécutoire le 22 mai 2023 ;

2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 48 463,54 euros mise à sa charge par ces décisions ;

3°) de mettre à la charge de l'École polytechnique la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le décret n° 70-323 du 13 avril 1970 ;

- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bardoul, avocat de

M. A... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Ecole polytechnique ;

Considérant ce qui suit :

1. Les deux requêtes visées ci-dessus présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces des dossiers que M. B... A... a été titularisé le

1er septembre 2002, à l'issue de sa scolarité à l'École polytechnique, dans le corps de contrôle des assurances, dont les membres ont ensuite été intégrés dans le corps des ingénieurs des mines. A partir du 4 octobre 2004, il a été placé en disponibilité et a exercé des fonctions dans le secteur privé, d'abord pour convenances personnelles jusqu'au 3 octobre 2012 puis au titre de la création d'une entreprise jusqu'au 3 octobre 2016. Par décret du 1er décembre 2022, le Président de la République, d'une part, l'a réintégré pour ordre et radié des cadres à compter du 4 octobre 2016, et, d'autre part, l'a soumis à l'obligation de remboursement des frais supportés par l'Etat lors de sa scolarité à l'Ecole polytechnique. Par un avis de remboursement du 15 mai 2023 qui lui a été notifié par courrier du 23 mai 2023, le président du conseil d'administration de l'Ecole polytechnique l'a déclaré redevable de la somme de 48 463,54 euros au titre du remboursement de ses frais de scolarité, dont le paiement lui a été demandé par un titre exécutoire formant avis des sommes à payer émis par l'agent comptable de l'Ecole polytechnique et rendu exécutoire le 22 mai 2023. Eu égard à la teneur des actes en cause et à celle de ses conclusions et moyens, M. A... doit être regardé comme demandant, sous le n° 471332, l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 1er décembre 2022 en tant que cet acte le soumet à l'obligation de remboursement des frais supportés par l'Etat lors de sa scolarité à l'Ecole polytechnique, et, sous le n° 476257, celle de l'avis de remboursement du 15 mai 2023, notifié par courrier du

23 mai 2023, et du titre exécutoire émis le 22 mai 2023.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sous le n° 471132 :

3. Si le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que M. A... n'est pas recevable à demander l'annulation du décret qu'il attaque en tant que celui-ci le soumet à l'obligation de rembourser les frais exposés par l'Etat durant sa scolarité à l'Ecole polytechnique, l'obligation ainsi mise à la charge de M. A... est, contrairement à ce que soutient le ministre, divisible des autres dispositions du décret et susceptible d'un recours pour excès de pouvoir.

Sur les conclusions à fin d'annulation de M. A... :

4. D'une part, aux termes de l'article 44 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions de fonctionnaires de l'Etat et à certaines modalités de cessation définitive des fonctions, dans sa rédaction applicable au litige : " La mise en disponibilité sur demande de l'intéressé peut être accordée, sous réserve des nécessités du service, dans les cas suivants : (...) b) Pour convenances personnelles : la durée de la disponibilité ne peut, dans ce cas, excéder trois années ; elle est renouvelable mais la durée de la disponibilité ne peut excéder au total dix années pour l'ensemble de la carrière ". En vertu de l'article 46 du même décret : " La mise en disponibilité peut être également prononcée sur la demande du fonctionnaire, pour créer ou reprendre une entreprise au sens de l'article L. 351-24 du code du travail. / La mise en disponibilité prévue au présent article ne peut excéder deux années ". Le troisième alinéa de l'article 49 du même décret dispose que : " Trois mois au moins avant l'expiration de la disponibilité, le fonctionnaire fait connaître à son administration d'origine sa décision de solliciter le renouvellement de la disponibilité ou de réintégrer son corps d'origine. Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa du présent article et du respect par l'intéressé, pendant la période de mise en disponibilité, des obligations qui s'imposent à un fonctionnaire même en dehors du service, la réintégration est de droit ". L'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable, prévoit que la non-réintégration à l'issue d'une période de disponibilité entraîne la radiation des cadres et la perte de la qualité de fonctionnaire.

5. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article 3 du décret du

13 avril 1970 relatif au remboursement des frais de scolarité par certains élèves de l'Ecole polytechnique, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sont tenus à remboursement : / (...) / 2° Les anciens élèves qui, ayant été désignés sur leur demande, compte tenu de leur classement, pour l'un des services publics civils ou militaires recrutés par la voie de l'école polytechnique ou admis, dans les mêmes conditions, à l'école nationale d'administration, ne resteraient pas, sauf le cas de réforme pour raison de santé, au moins dix ans dans leur corps ou au service de l'Etat après leur sortie de l'école ".

6. Enfin, aux termes de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... avait épuisé ses droits à disponibilité à la date du 4 octobre 2016, à laquelle le décret attaqué du 1er décembre 2022 l'a d'ailleurs radié des cadres. Par suite, c'est à compter de cette date, que l'administration se devait de connaître et à laquelle elle pouvait constater que l'intéressé n'ayant pas demandé dans le délai prévu sa réintégration dans son corps d'origine, il pouvait être soumis à l'obligation de remboursement de ses frais de scolarité. En vertu de l'article 2224 du code civil cité au point 6, l'administration disposait alors d'un délai de cinq ans pour le soumettre à l'obligation de remboursement de ses frais de scolarité. Le décret du 1er décembre 2022, ainsi que l'avis de remboursement du 15 mai 2023 et le titre exécutoire du 22 mai 2023, ayant été pris après l'expiration de ce délai, la prescription quinquennale fait obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A... la somme correspondante. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que cette créance est prescrite.

8. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 1er décembre 2022 en tant qu'il le soumet à l'obligation de remboursement des frais supportés par l'Etat lors de sa scolarité à l'Ecole polytechnique, ainsi que celle de l'avis de remboursement et du titre exécutoire émis, respectivement, par l'Ecole polytechnique les 15 et 22 mai 2023.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... sur le même fondement.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le décret du 1er décembre 2022 est annulé en tant qu'il soumet M. A... à l'obligation de remboursement des frais supportés par l'Etat lors de sa scolarité à l'Ecole polytechnique.

Article 2 : L'avis de remboursement des frais de scolarité et le titre exécutoire formant avis des sommes à payer émis par l'Ecole polytechnique, respectivement, les 15 et 22 mai 2023 sont annulés.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. A... est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'Ecole polytechnique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au président du conseil d'administration de l'Ecole polytechnique.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre des armées.

Délibéré à l'issue de la séance du 2 mai 2024 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Olivier Pau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 11 juin 2024.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Pau

Le secrétaire :

Signé : M. Brian Bouquet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre des armées chacun en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 471132
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2024, n° 471132
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Pau
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : BARDOUL ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:471132.20240611
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