Vu la procédure suivante :
Par une décision n° 466953 du 14 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Aequatio dirigées contre l'arrêt nos 20NT01346, 20NT01347 du 24 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes en tant qu'il s'est prononcé sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents au paiement des prestations rendues par la société Aequatio à la société OAA au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Aequatio ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Aequatio a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2012 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un arrêt du 24 juin 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, fait droit à l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique contre le jugement du 12 février 2020 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il avait prononcé en faveur de la société Aequatio une décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, à concurrence de 63 987 euros, ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, rejeté l'appel de la société contre le même jugement en tant qu'il avait rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par une décision du 14 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a admis les conclusions du pourvoi en cassation de la société Aequatio dirigées contre cet arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents au paiement des prestations qu'elle a rendues à la société OAA au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012.
2. D'une part, aux termes de l'article 1289 du code civil, alors en vigueur : " Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas ci-après exprimés ". Selon l'article 1290 du même code, alors en vigueur : " La compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de l'article 1291 du même code, alors en vigueur : " La compensation n'a lieu qu'entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d'argent (...) et qui sont également liquides et exigibles ". Il résulte de ces dispositions que la compensation s'opère de plein droit dès lors qu'elle est invoquée par une des deux personnes débitrices l'une envers l'autre, lorsque les dettes réciproques sont certaines, liquides et exigibles.
3. D'autre part, aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (...) les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Selon le a du 1 de l'article 269 du code général des impôts, le fait générateur de la taxe se produit au moment où la prestation de services est effectuée et, aux termes du c du 2 de ce même article, la taxe devient exigible " pour les prestations de services (...) lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits ".
4. Alors même qu'elle constaterait l'existence de dettes réciproques certaines, liquides et exigibles entre deux contribuables, l'administration fiscale ne saurait d'elle-même procéder à la compensation légale prévue par les dispositions citées au point 2. En l'absence d'invocation de la compensation légale par l'un des débiteurs réciproques, l'administration fiscale n'est pas davantage fondée, lorsque des prestations de services soumises à la taxe sur la valeur ajoutée demeurent impayées, à regarder la circonstance que les autres conditions pour opérer cette compensation sont réunies entre le prestataire et son client comme assimilable à un encaissement au sens du c du 2 de l'article 269 du code général des impôts cité au point 3.
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Nantes a relevé, d'une part, qu'au cours des années correspondant à la période d'imposition en litige, la société Aequatio ne s'était pas acquittée de l'intégralité des factures émises à son encontre par la société OAA, de sorte que le compte fournisseur de la société OAA dans les écritures de la société Aequatio présentait un solde créditeur, d'autre part, que la société Aequatio avait en outre bénéficié d'avances de trésorerie de la part de la société OAA, par le biais d'inscriptions au crédit du compte courant d'associé de la société OAA ouvert dans les écritures de la société Aequatio. En jugeant que les sommes inscrites au crédit du compte fournisseur et du compte courant d'associé de la société OAA dans les écritures comptables de la société Aequatio avaient pu à bon droit être regardées par l'administration fiscale comme des encaissements au sens du c du 2 de l'article 269 du code général des impôts, à due concurrence des sommes dues par la société OAA en contrepartie des prestations de services réalisées par la société Aequatio et demeurées jusqu'alors impayées, alors que ces écritures matérialisaient seulement l'existence de dettes de cette dernière envers la société OAA, la cour, qui a ainsi implicitement mais nécessairement admis d'assimiler, en l'absence d'invocation de la compensation légale par l'un des débiteurs réciproques, la réunion des autres conditions auxquelles celle-ci est subordonnée à un encaissement au sens de ces dispositions, a commis une erreur de droit au regard de ce qui a été dit au point 4.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Aequatio est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents au paiement des prestations rendues à la société OAA au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Aequatio au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 24 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il statue sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents au paiement des prestations rendues par la société Aequatio à la société OAA au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat versera à la société Aequatio la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Aequatio et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 mai 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat, et M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 11 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Matias de Sainte Lorette
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :