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06/06/2024 | FRANCE | N°474948

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 06 juin 2024, 474948


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 9 juin et 7 septembre 2023 et les 2 janvier et 13 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 14 décembre 2022 l'ayant déchu de sa nationalité française ;



2°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui restituer son passeport français et la carte nationale d'iden

tité française ;



3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 à verser à l...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 9 juin et 7 septembre 2023 et les 2 janvier et 13 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 14 décembre 2022 l'ayant déchu de sa nationalité française ;

2°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui restituer son passeport français et la carte nationale d'identité française ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 à verser à la SCP Guérin - Gougeon, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code pénal ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin-Gougeon, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition.

2. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal.

3. M. B... a été déchu de la nationalité française par un décret du 14 décembre 2022 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, après avoir été condamné par un jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 19 avril 2017 pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, jugement confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 5 juin 2018, devenu définitif.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Lorsque le Gouvernement décide de faire application des articles 25 et 25-1 du code civil, il notifie les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de la nationalité française, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...). L'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification ou de la publication de l'avis au Journal officiel pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. A l'expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé est déchu de la nationalité française ".

5. Après avoir cité les textes applicables, le décret énonce que M. B..., qui a acquis la nationalité française en 2004, a été condamné par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 19 avril 2017 à une peine de cinq ans d'emprisonnement, dont trois ans avec sursis et mise à l'épreuve, pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme de janvier 2013 à janvier 2014 et que, par un arrêt du 5 juin 2018 devenu définitif, la cour d'appel de Paris a confirmé ce jugement, tout en considérant qu'il n'y avait pas lieu d'assortir la peine d'emprisonnement d'un sursis avec mise à l'épreuve et en y ajoutant une peine d'interdiction des droits civiques et civils pour une durée de cinq années. Le décret indique ensuite que les conditions légales permettant de prononcer la déchéance de la nationalité française doivent être regardées comme réunies, sans qu'aucun élément relatif à la situation personnelle du requérant et aux circonstances de l'espèce justifie qu'il y soit fait obstacle. Dans ces conditions, le décret attaqué satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été condamné aux peines mentionnées au point précédent pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal que M. B... a conçu, organisé puis réalisé un projet de départ en Syrie dans le but de rejoindre l'organisation terroriste " Etat islamique en Irak et au Levant " auprès de laquelle il a été enregistré en tant que combattant. Eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale, la sanction de déchéance de la nationalité française, qui a notamment pour effet de priver l'intéressé de ses droits civils et politiques en France, est légalement justifiée sans que le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits permette de remettre en cause cette appréciation.

7. En troisième lieu, la seule circonstance que la déchéance de la nationalité française prononcée à l'encontre du requérant a rendu possible l'engagement d'une procédure visant à son expulsion du territoire français n'est pas de nature à caractériser un détournement de procédure.

8. En dernier lieu, un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. Ainsi, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent être utilement invoquées à l'appui des conclusions dirigées contre le décret attaqué. M. B... ne peut non plus se prévaloir utilement des stipulations de l'article 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui créent seulement des obligations entre Etats.

9. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. Au cas présent, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le décret attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 mai 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 6 juin 2024.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. Hadrien Tissandier

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 474948
Date de la décision : 06/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 jui. 2024, n° 474948
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hadrien Tissandier
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474948.20240606
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