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31/05/2024 | FRANCE | N°474242

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 31 mai 2024, 474242


Vu la procédure suivante :



Par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés les 16 mai, 28 août, 26 septembre et 29 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs des Landes demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la circulaire CNO n° 01620221108 du 8 novembre 2022 du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes relative au remplacement des masseurs-kinésithérapeutes, et, d'autre part, l

a décision implicite rejetant son recours administratif contre cette circulaire ;



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Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés les 16 mai, 28 août, 26 septembre et 29 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs des Landes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la circulaire CNO n° 01620221108 du 8 novembre 2022 du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes relative au remplacement des masseurs-kinésithérapeutes, et, d'autre part, la décision implicite rejetant son recours administratif contre cette circulaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat du syndicat des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs des Landes.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 mai 2024, présentée par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 mai 2024, présentée par le syndicat des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs des Landes.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat départemental des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs des Landes demande l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 8 novembre 2022 du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes relative au remplacement des masseurs-kinésithérapeutes, ainsi que de la décision implicite par laquelle le Conseil national de l'ordre a rejeté son recours administratif, réputé lui avoir été transmis, conformément à l'article L. 114-3 du code des relations entre le public et l'administration, par le ministre délégué auprès du ministre chargé de la santé, qui en avait été saisi sans être compétent pour y statuer.

Sur les fins de non-recevoir soulevées par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes :

2. En premier lieu, les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif, peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

3. La circulaire contestée vise à diffuser auprès des conseils départementaux de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, chargés de donner un avis sur les contrats de remplacement qui leur sont obligatoirement soumis conformément à l'article R. 4321-107 du code de la santé publique, une interprétation des dispositions de cet article en vue d'assurer " une application harmonisée de la réglementation sur l'ensemble du territoire ". Eu égard aux effets notables qu'elle est susceptible d'emporter sur la situation des masseurs-kinésithérapeutes souhaitant se faire temporairement remplacer ou exercer en remplacement d'un confrère, cette circulaire est au nombre des actes susceptibles d'être déférés à la juridiction administrative par la voie du recours pour excès de pouvoir.

4. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la circulaire attaquée, dont il est constant qu'elle n'a été diffusée qu'aux instances de l'ordre et sur l'" intranet " de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, dont il n'est pas établi qu'il est accessible aux professionnels n'appartenant pas aux instances de l'ordre, a été publiée dans des conditions propres à la rendre aisément accessible à toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision. Par suite, la requête ne peut être regardée comme tardive.

5. En troisième lieu, si le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes soutient que la circulaire contestée est purement confirmative d'une précédente circulaire du 27 janvier 2022, il n'est, en tout état de cause, pas établi que celle-ci a elle-même été publiée dans des conditions de nature à la rendre opposable aux tiers et à faire courir le délai de recours contentieux.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 5 ci-dessus que les fins de non-recevoir doivent être écartées.

Sur la légalité de la circulaire attaquée :

7. Aux termes de l'article R. 4321-107 du code de la santé publique : " Un masseur-kinésithérapeute ne peut se faire remplacer dans son exercice que temporairement et par un confrère inscrit au tableau de l'ordre. Le remplacement est personnel. / Le masseur-kinésithérapeute qui se fait remplacer doit en informer préalablement le conseil départemental de l'ordre dont il relève en indiquant les noms et qualité du remplaçant, les dates et la durée du remplacement. Il communique le contrat de remplacement conformément à l'article L. 4113-9. / Le masseur-kinésithérapeute libéral remplacé doit cesser toute activité de soin pendant la durée du remplacement. Des dérogations à cette règle peuvent être accordées par le conseil départemental en raison de circonstances exceptionnelles. " Aux termes de l'article R. 4321-132 du même code : " Il est interdit au masseur-kinésithérapeute de mettre en gérance son cabinet. / Toutefois, le conseil départemental de l'ordre peut autoriser, pendant une période de six mois, éventuellement renouvelable une fois, la tenue par un masseur-kinésithérapeute du cabinet d'un confrère décédé ou en incapacité définitive totale définitive d'exercer. Des dérogations exceptionnelles de délai peuvent être accordées par le conseil départemental. "

8. En premier lieu, si les dispositions précitées prévoient qu'un masseur-kinésithérapeute ne peut se faire remplacer dans son exercice que " temporairement " et " à condition de cesser toute activité de soin pendant la durée du remplacement ", elles ne fixent pas de durée maximale à ce remplacement. S'il appartient aux conseils départementaux de l'ordre de s'assurer que les contrats, qui doivent obligatoirement leur être transmis avant le début du remplacement, ne conduisent pas à une méconnaissance des règles déontologiques, notamment celles tenant au caractère temporaire et personnel du remplacement ou à l'interdiction de mettre le cabinet en gérance, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire, et notamment pas de celles du deuxième alinéa de l'article R. 4321-132 du code de la santé publique cité au point précédent, qui sont relatives à une tout autre situation, que le caractère temporaire d'un remplacement implique que sa durée soit " limitée à six mois ", ni que le souhait de conclure ou de renouveler un contrat de remplacement pour une durée plus longue soit subordonné à une " demande justifiée et motivée " au conseil départemental de l'ordre, ni, enfin, que la durée totale de remplacement ne puisse être " supérieure à un an ". En énonçant de telles règles, la circulaire contestée qui, eu égard aux termes dans lesquels elle est rédigée, ne peut être regardée comme se bornant à adresser aux conseils départementaux de l'ordre de simples directives auxquelles il leur serait loisible de déroger, mais présente un caractère impératif, ne s'est pas bornée à expliciter les dispositions applicables du code de la santé publique mais a incompétemment posé des règles nouvelles, non prévues par le pouvoir réglementaire, alors qu'aucun texte ne donne compétence au Conseil national de l'ordre pour ce faire. En conséquence, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête dirigés contre cette partie de la circulaire, le syndicat requérant est fondé à demander l'annulation des troisième à huitième paragraphes de la sous-partie intitulée " Caractère temporaire du remplacement " du I de la circulaire du 8 novembre 2022 et, dans le paragraphe encadré intitulé " à retenir " qui suit, des mots " ce qui exclut en principe une durée de plus de six mois ".

9. En deuxième lieu, la circulaire contestée n'interdit pas, contrairement à ce qui est soutenu, le remplacement réitéré sur des plages de courte durée, qui est au contraire expressément prévu par le neuvième paragraphe de la sous-partie de son I intitulée " Caractère temporaire du remplacement ". Dès lors, les moyens pris de ce qu'une telle interdiction serait entachée d'incompétence et d'une rupture d'égalité entre professions de santé doivent être écartés comme manquant en fait.

10. En troisième lieu, en énonçant que le remplacement " ne peut avoir pour autre finalité que celle de pallier à (sic) l'absence d'un masseur kinésithérapeute ", la circulaire n'a pas ajouté aux dispositions applicables. Si elle en déduit que le remplacement " n'est pas destiné à maintenir l'activité mais à assurer la continuité de soins en cours " et " n'a pas vocation à accroitre ou à développer l'activité d'un cabinet ", ces mentions dépourvues de portée normative ne méconnaissent pas la portée des dispositions réglementaires qu'elles entendent expliciter. Les moyens tirés de ce qu'elles porteraient illégalement atteinte à la liberté d'établissement des masseurs-kinésithérapeutes et à la liberté de prestation de services consacrée par le droit de l'Union ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.

11. Enfin, le III de la circulaire est relatif à des " dérogations à l'obligation de cesser toute activité de soins " qu'il appartient aux conseils départementaux de l'ordre d'accorder en vertu des dispositions du troisième alinéa de l'article R. 4321-107 du code de la santé publique. Le moyen tiré de ce que ces énonciations portent atteinte au droit de libre établissement des jeunes diplômés et instituent une discrimination non justifiée envers ces derniers n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et ne peut, dès lors, qu'être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que le syndicat requérant est seulement fondé à demander l'annulation de la circulaire qu'il attaque en tant qu'elle comporte les dispositions, mentionnées au point 8, relatives au plafonnement de la durée du remplacement. Par suite, il convient également d'annuler, en tant qu'elle refuse de rapporter ces mêmes dispositions, la décision implicite rejetant le recours administratif du syndicat requérant contre cette circulaire.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du syndicat requérant, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Ses conclusions tendant ce qu'une somme soit mise, au titre des mêmes dispositions, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante au principal, doivent également être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Au I de la circulaire du 8 novembre 2022 du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, sont annulés les troisième à huitième paragraphes de la sous-partie intitulée " caractère temporaire du remplacement " ainsi que, dans le paragraphe encadré intitulé " à retenir " qui suit, les mots " ce qui exclut en principe une durée de plus de six mois ".

Article 2 : La décision implicite par laquelle le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a rejeté le recours gracieux du syndicat des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs des Landes dirigé contre la circulaire du 8 novembre 2022 est annulée en tant qu'elle refuse de rapporter les dispositions de cette circulaire mentionnées à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs des Landes, au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 31 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Coralie Albumazard

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 474242
Date de la décision : 31/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mai. 2024, n° 474242
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP LE BRET-DESACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474242.20240531
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