Vu la procédure suivante :
Mme C... B... née A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 7 février 2024 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a déclarée démissionnaire d'office de son mandat de conseillère municipale de Toulouse ainsi que de tout mandat ou fonction liés au mandat de conseiller municipal. Par une ordonnance n° 2400891 du 16 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er et 15 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code électoral ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boutet, Hourdeaux, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse que, par un jugement du 29 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Paris a condamné Mme B... à trois ans d'emprisonnement avec sursis, à une amende délictuelle de 10 000 euros et à la peine complémentaire de privation de ses droits électoraux et de son droit d'éligibilité pour une durée de cinq ans avec exécution provisoire. Par un arrêté du 7 février 2024, le préfet de la Haute-Garonne a, sur le fondement de l'article L. 236 du code électoral, déclaré l'intéressée démissionnaire d'office de son mandat de conseillère municipale de Toulouse ainsi que de tout mandat ou fonction liés au mandat de conseiller municipal. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 16 février 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de cet arrêté.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 742-2 du code de justice administrative : " Les ordonnances mentionnent le nom des parties, l'analyse des conclusions ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application ". Il appartient au juge des référés qui rejette une demande tendant à la suspension de l'exécution d'une décision administrative au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, d'analyser soit dans les visas de son ordonnance, soit dans les motifs de celle-ci, les moyens développés au soutien de la demande de suspension, afin, notamment, de mettre le juge de cassation en mesure d'exercer son contrôle.
4. A cet égard, il résulte des visas de l'ordonnance attaquée que le juge des référés du tribunal administratif a visé et analysé les moyens présentés à l'appui de la demande de Mme B... et en particulier le moyen tiré de ce que le préfet de la Haute-Garonne aurait ajouté, en prenant l'arrêté en litige, une condition à celles fixées par l'article L. 236 du code électoral. Le moyen, présenté à l'appui du pourvoi en cassation, tiré de ce que l'ordonnance serait insuffisamment motivée faute de s'être prononcée sur ce moyen ne peut, par suite, qu'être écarté.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 230 du code électoral : " Ne peuvent être conseillers municipaux : / 1° Les individus privés du droit électoral (...) ". Aux termes de l'article L. 236 du même code : " Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d'inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d'État, conformément aux articles L. 249 et L. 250. Lorsqu'un conseiller municipal est déclaré démissionnaire d'office à la suite d'une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l'acte de notification du préfet n'est pas suspensif ".
6. D'autre part, aux termes du quatrième alinéa de l'article 471 du code de procédure pénale : " Les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision ". En vertu des articles 131-10 et 131-26 du code pénal, l'interdiction de tout ou partie des droits civiques, parmi lesquels l'éligibilité, peut être prononcée à titre de peine complémentaire lorsque la loi le prévoit.
7. Il résulte de ces dispositions que, dès lors qu'un conseiller municipal ou un membre de l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive ou d'une condamnation dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d'office.
S'agissant de la question prioritaire de constitutionnalité :
8. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
9. A l'appui de son pourvoi, Mme B... soutient que l'article L. 236 du code électoral, tel qu'interprété par le Conseil d'Etat, et base légale de l'arrêté du 7 février 2024, est contraire au droit au respect de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et au droit à un recours juridictionnel effectif résultant de son article 16.
10. En premier lieu, si, en vertu de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et citoyen : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ", les dispositions contestées de l'article L. 236 du code électoral n'ont pas pour effet de présumer coupable d'une infraction le conseiller municipal déclaré démissionnaire d'office par le préfet par suite de sa privation du droit électoral, dès lors que, lorsque son inéligibilité résulte d'une condamnation, celle-ci a déjà été prononcée par le juge répressif, y compris lorsqu'une telle condamnation n'est pas définitive et a été déclarée exécutoire par provision. Par suite, le grief tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne présente, en tout état de cause, pas de caractère sérieux.
11. En second lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Sont notamment garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition. Le caractère non suspensif d'une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif.
12. Les dispositions de l'article 236 du code électoral, y compris lorsqu'il en est fait application à la suite d'une condamnation déclarée exécutoire par provision, sont par elles-mêmes sans incidence sur la faculté, pour le conseiller municipal ainsi déclaré démissionnaire d'office, de porter devant le juge administratif toute contestation dirigé contre l'arrêté par lequel il a été déclaré démissionnaire d'office ainsi que, en tout état de cause, devant le juge judiciaire pour contester la décision le condamnant à une peine complémentaire de privation de son éligibilité. Par suite, ces dispositions ne peuvent être regardées comme méconnaissant le droit à un recours juridictionnel effectif garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
13. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 236 du code électoral porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.
S'agissant de l'autre moyen soulevé :
14. Ainsi qu'il a été dit précédemment, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que le tribunal judiciaire de Paris a décidé l'exécution par provision de la peine complémentaire de privation des droits électoraux et d'éligibilité à laquelle il a condamné Mme B.... Par suite, en jugeant que le préfet de la Haute-Garonne était tenu, après avoir constaté que Mme B... était privée du droit électoral, de la déclarer immédiatement démissionnaire de son mandat de conseillère municipale de Toulouse ainsi que de tout mandat ou fonction lié au mandat de conseiller municipal, le juge des référés du tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 236 du code électoral.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du 16 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B....
Article 2 : Le pourvoi de Mme B... est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B... née A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 29 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Redondo
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber