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29/05/2024 | FRANCE | N°464774

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 29 mai 2024, 464774


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance n° 2211656/12-1 du 1er juin 2022, enregistrée le 8 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 24 mai 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par Mme A... B....



Par cette requête et par un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 août 20

22, 17 janvier et 9 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A....

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2211656/12-1 du 1er juin 2022, enregistrée le 8 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 24 mai 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par Mme A... B....

Par cette requête et par un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 août 2022, 17 janvier et 9 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 janvier 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à obtenir le renouvellement de son mandat de magistrat à titre temporaire, ainsi que sa décision du 24 mars 2022 rejetant son recours gracieux contre cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes des premier et dernier alinéas de l'article 41-10 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Peuvent être nommées magistrats exerçant à titre temporaire, pour exercer des fonctions de juge des contentieux de la protection, d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux judiciaires, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, les personnes âgées d'au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions. (...) / Les magistrats exerçant à titre temporaire ne peuvent demeurer en fonctions au-delà de l'âge de soixante-quinze ans ". Aux termes du premier alinéa de l'article 41-12 de la même ordonnance : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, dans les formes prévues pour les magistrats du siège. Six mois au moins avant l'expiration de leur premier mandat, ils peuvent en demander le renouvellement. Le renouvellement est accordé de droit sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Il est de droit dans la même juridiction ".

2. D'autre part, la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature a, au VIII de son article 39 et au III de son article 50, abrogé, à compter du 1er juillet 2017, les dispositions relatives aux juges de proximité figurant au chapitre V quinquies de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Aux termes du II de l'article 50 de cette même loi organique : " Les juges de proximité dont le mandat est en cours à la date de publication de la présente loi organique peuvent être nommés, à leur demande, pour le reste de leur mandat, comme magistrats exerçant à titre temporaire dans le tribunal de grande instance du ressort dans lequel se trouve la juridiction de proximité au sein de laquelle ils ont été nommés, dans les formes prévues à l'article 41-12 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée, dans sa rédaction résultant de la présente loi organique. Leur demande doit intervenir dans le mois suivant la publication de la présente loi organique. Les dispositions relatives à la formation probatoire prévues au même article 41-12 ne leur sont pas applicables. Les dispositions du premier alinéa dudit article 41-12, concernant la nomination pour un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire, leur sont applicables ".

3. Il ressort des pièces du dossier que, par un décret du Président de la République du 30 novembre 2004, Mme B... a été nommée au tribunal de police de la juridiction de proximité de Paris, à compter du 6 janvier 2005, pour y exercer les fonctions de juge de proximité pour un mandat de sept ans non renouvelable, en vertu des dispositions alors applicables de l'article 41-19 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Par un décret du Président de la République du 29 mars 2012, Mme B... a été placée, sur sa demande, en position de disponibilité pour convenances personnelles à compter du 1er décembre 2011, pour une durée de six mois. Elle a ensuite été maintenue, sur sa demande, en position de disponibilité pour convenances personnelles, par trois décrets successifs du Président de la République des 16 juin 2012, 25 mars 2013 et 10 juin 2015, pour la période du 1er juin 2012 au 15 septembre 2017. Par un décret du Président de la République du 9 juin 2017, Mme B... a été nommée en qualité de magistrat exerçant à titre temporaire au tribunal de grande instance de Créteil, à compter du 1er juillet 2017, pour le reste de son mandat, puis pour y exercer un nouveau mandat, pour une période de cinq ans. A l'approche du terme de ce mandat, Mme B... a, par un courrier du 17 décembre 2021, demandé au garde des sceaux, ministre de la justice de la renouveler dans ses fonctions de magistrat à titre temporaire pour une nouvelle période de cinq ans à compter du terme de son mandat actuel. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 27 janvier 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a opposé un refus à sa demande, ainsi que de la décision du 24 mars 2022 rejetant son recours gracieux du 15 février 2022 dirigé contre cette même décision.

4. En premier lieu, si Mme B... a fait valoir, dans sa requête introductive d'instance, que les décisions attaquées seraient irrégulières faute pour leur signataire d'avoir reçu une délégation régulière du garde des sceaux, ministre de la justice, elle s'est abstenue de reprendre ce moyen dans son mémoire complémentaire. Ce moyen doit, par suite, être regardé comme ayant été abandonné.

5. En deuxième lieu, d'une part, en vertu des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 rappelées au point 2, les juges de proximité dont le statut a été abrogé au cours de leur mandat de sept ans non renouvelable et qui ont été, à leur demande, nommés, pour le reste de leur mandat, magistrats à titre temporaire, doivent être regardés comme l'ayant été au titre d'un premier mandat exercé en cette nouvelle qualité, et ce quelle que soit la durée restant à courir de leur mandat initial. Ces mêmes dispositions prévoient que, s'ils la sollicitent, leur nomination au titre d'un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire est soumise aux dispositions du premier alinéa de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rappelées au point 1, lesquelles précisent notamment que le mandat de magistrat à titre temporaire n'est renouvelable qu'une fois. La possibilité pour un magistrat exerçant à titre temporaire ayant déjà accompli deux mandats de faire l'objet d'un nouveau recrutement en cette qualité, qui n'est prévue par aucun texte, aurait pour effet de priver de leur portée ces dispositions.

6. D'autre part, aux termes de l'article 41-20 de l'ordonnance précitée du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction en vigueur à la date des décrets plaçant la requérante en position de disponibilité pour convenances personnelles : " Les juges de proximité sont soumis au présent statut (...) ". En vertu de l'article 67 de la même ordonnance : " Tout magistrat est placé dans l'une des positions suivantes : / 1° En activité ; / 2° En service détaché ; / 3° En disponibilité (...) ". Aux termes de l'article 72 de cette ordonnance : " La mise en position (...) de disponibilité (...) est prononcée par décret du Président de la République, sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice et après avis de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente (...). (...) La réintégration des magistrats est prononcée conformément aux dispositions des articles 28, 37, 38 et 72-2 de la présente ordonnance ".

7. Il ressort des pièces du dossier que, le 16 août 2016, soit dans le délai d'un mois à compter de la date de publication de la loi organique du 8 août 2016, Mme B... a demandé à bénéficier des dispositions transitoires du II de l'article 50 rappelées au point 2, applicables aux juges de proximité dont le mandat était en cours. Il ressort de ces mêmes pièces que le 4 janvier 2017, Mme B... a sollicité, en application des dispositions de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rappelées au point 1, le renouvellement de son mandat en se prévalant de ce qu'il s'était écoulé moins de six mois entre son installation en qualité de magistrat exerçant à titre temporaire et la fin de son mandat. Il est constant que, sur la base de ces demandes, Mme B... a été nommée magistrate à titre temporaire par décret du Président de la République du 9 juin 2017, avec la précision selon laquelle cette nomination était prononcée " à compter du 1er juillet 2017, pour le reste de la durée de [son] mandat et pour un nouveau mandat " de cinq ans.

8. Si la requérante entend faire valoir que son mandat de juge de proximité avait expiré au terme du délai de sept ans initialement fixé, les placements en position de disponibilité successifs dont elle a bénéficié, à sa demande, pour la période du 1er décembre 2011 au 15 septembre 2017, ont eu pour effet de maintenir ce mandat, de sorte que ce dernier était en cours à la date à laquelle elle a demandé à bénéficier des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 en vue d'être nommée magistrat à titre temporaire. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que sa demande de nomination dans un nouveau mandat de magistrat à titre temporaire, rejetée par la décision litigieuse du 27 janvier 2022, ne pouvait être légalement satisfaite. Par suite, c'est par une exacte application des articles 41-10 et 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 que le garde des sceaux, ministre de la justice lui a opposé un refus au motif qu'elle avait déjà exercé deux mandats, et ne pouvait donc prétendre à un nouveau mandat.

9. En troisième lieu, les juges de proximité en position de disponibilité à la date de l'entrée en vigueur de la loi organique du 8 août 2016 ne sont pas placés dans la même situation que les juges de proximité dont le mandat était terminé à cette date, soit du fait de l'arrivée du terme normal de ce mandat, soit du fait de leur démission. Par suite, et en tout état de cause, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées méconnaîtraient les principes d'égalité ou de non-discrimination garantis par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, la directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, ou l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'elle attaque. Sa requête ne peut donc qu'être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 avril 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M.Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 29 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Cédric Fraisseix

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464774
Date de la décision : 29/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 mai. 2024, n° 464774
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cédric Fraisseix
Rapporteur public ?: M. Frédéric Puigserver
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:464774.20240529
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