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28/05/2024 | FRANCE | N°472007

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28 mai 2024, 472007


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler la décision du 12 avril 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle sud-ouest de l'unité départementale de la Gironde de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine a retiré la décision implicite de rejet de la demande d'autorisation formée par la société Perguilhem en vue de son licenciement et a autorisé cette société à le

licencier et, d'autre part, d'enjoindre à son employeur de le réintégrer.


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Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler la décision du 12 avril 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle sud-ouest de l'unité départementale de la Gironde de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine a retiré la décision implicite de rejet de la demande d'autorisation formée par la société Perguilhem en vue de son licenciement et a autorisé cette société à le licencier et, d'autre part, d'enjoindre à son employeur de le réintégrer.

Par un jugement n° 1802504 du 5 mars 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20BX01598 du 19 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 9 mars et 9 juin 2023, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Perguilhem la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Le Bret-Desaché, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive CE n° 89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail ;

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Perguilhem a demandé à l'autorité administrative l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. B..., salarié protégé, employé en qualité de chauffeur livreur au sein de cette société depuis le mois de janvier 2008. Par une décision du 12 avril 2018, l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Gironde a autorisé ce licenciement en retenant, comme constituant ensemble des faits d'une gravité suffisante justifiant le licenciement, l'exercice abusif par le salarié à deux reprises, les 4 et 8 janvier 2018, du droit de retrait et son refus injustifié de venir travailler le 12 janvier 2018. Par un jugement du 5 mars 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de cette décision. Par un arrêt du 19 octobre 2022, contre lequel M. B... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

2. Le moyen d'appel tiré de ce que la décision attaquée a été prise le 12 avril 2018 alors que le courrier de l'inspecteur du travail procédant à sa notification date du 16 avril 2018 étant inopérant, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêt serait entaché d'irrégularité faute de se prononcer sur ce moyen.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

En ce qui concerne la régularité de la procédure suivie par l'employeur :

3. En vertu de l'article R. 2421-14 du code du travail, l'employeur peut, en cas de faute grave du salarié, prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail, la consultation du comité d'entreprise, désormais le comité social et économique, ayant lieu dans un délai de dix jours à compter de la mise à pied et la demande d'autorisation de licenciement étant présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération de ce comité. Ces délais ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement. Ils doivent cependant être aussi courts que possible eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied.

4. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que pour juger que la procédure de licenciement n'était pas entachée d'irrégularité, la cour a relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, d'une part, que si le comité d'établissement le 1er février 2018 n'avait été consulté que quinze jours après la date du 17 janvier 2018 à laquelle M. B... avait été mis à pied, c'est en raison des contraintes d'emploi du temps des élus auxquels la convocation avait été adressée dès le 19 janvier 2018, d'autre part, que si la demande d'autorisation de licenciement de M. B... avait été présentée quatre jours après la délibération de ce comité, ce délai ne présentait pas un caractère excessif. En statuant ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

En ce qui concerne la décision de l'inspecteur du travail :

5. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Il doit aussi vérifier qu'il n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec son appartenance syndicale.

S'agissant de l'exercice du droit de retrait :

6. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, dont la rédaction est, pour l'essentiel, issue de celle résultant de la loi du 31 décembre 1991 modifiant le code du travail et le code de la santé publique en vue de favoriser la prévention des risques professionnels et portant transposition de directives européennes relatives à la santé et à la sécurité du travail, en l'espèce, la directive CE n° 89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...) ". Aux termes de l'article L. 4131-1 du même code : " Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. / Il peut se retirer d'une telle situation. / L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection. " Aux termes de l'article L. 4131-3 du même code : " Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux ".

7. Il résulte des dispositions citées au point 6 que dans le cas où l'autorité administrative est saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour faute d'un salarié protégé au motif de l'exercice irrégulier du droit de retrait par le salarié, il lui appartient de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si le salarié justifiait d'un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé. Lorsque tel est le cas, l'autorité administrative ne peut pas autoriser ce licenciement. Si tel n'est pas le cas, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de rechercher, conformément à ce qui est dit au point 5, si le comportement du salarié est constitutif d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier que son licenciement soit autorisé.

8. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. B... a exercé, le 4 janvier 2018, son droit de retrait alors qu'il n'était qu'observateur des procédures de chargement et de déchargement en cours, au motif que l'employeur n'avait pas mis à sa disposition un " pull " et un " tee-shirt " en complément de sa veste et de son pantalon de protection, alors qu'il ressort de la notice des équipements de protection qu'il est seulement " souhaitable de porter sous (la) tenue EPI des matières qui ne risquent pas de fondre en cas d'élévation de température " et " déconseillé de porter la tenue à même la peau ", et qu'il a fait usage du même droit de retrait le 8 janvier 2018 alors qu'il était à nouveau simple observateur des procédures, au motif que la tenue de protection mise à sa disposition, qu'il n'avait portée qu'une fois, était sale, alors que la notice du fabricant préconise seulement un nettoyage régulier de la tenue et qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qu'elle aurait été souillée par des liquides chimiques ou inflammables. La cour a jugé, au vu des circonstances de fait de l'espèce qu'elle a souverainement appréciées, que l'inspecteur du travail avait pu retenir que les conditions prévues pour l'exercice du droit de retrait n'étaient pas satisfaites, de sorte que les agissements de M. B... présentaient un caractère fautif. En statuant ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ou d'erreur de qualification juridique.

S'agissant de l'autre faute reprochée à M. B... :

9. La cour administrative d'appel, par une appréciation souveraine des faits de l'espèce non arguée de dénaturation, a relevé que M. B... avait annoncé le 11 janvier 2018 à 20h44, sans motif légitime, son refus de venir travailler le lendemain alors qu'il avait été mis à même par l'employeur de connaître son horaire de fin de journée dès le 29 décembre 2017, de sorte qu'il n'était, en tout état de cause, pas fondé à soutenir qu'en l'absence de précision sur son horaire de fin de journée, il n'avait pu organiser ses rendez-vous médicaux et avait dû refuser de venir travailler pour les honorer. La cour en a déduit, sans erreur de qualification juridique, que l'inspecteur du travail avait pu retenir qu'il avait, ce faisant, manqué à ses obligations et commis une faute.

S'agissant de l'autorisation du licenciement :

10. D'une part, en estimant que l'inspecteur du travail avait à bon droit considéré que les trois manquements reprochés à M. B..., qui s'étaient succédés sur une courte période de temps, étaient constitutifs d'un ensemble de fautes d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, la cour administrative d'appel n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

11. D'autre part, en jugeant que la demande d'autorisation de licenciement était dépourvue de lien avec le mandat de M. B..., la cour a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Son pourvoi doit donc être rejeté, y compris en ce qu'il comporte des conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la société Perguilhem et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire, et Mme Camille Belloc, auditrice-rapporteure.

Rendu le 28 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Camille Belloc

Le secrétaire :

Signé : M. Christophe Bouba


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 472007
Date de la décision : 28/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - CONTRÔLE DU JUGE DE L'EXCÈS DE POUVOIR - APPRÉCIATIONS SOUMISES À UN CONTRÔLE NORMAL - EXISTENCE D’UN MOTIF RAISONNABLE DE PENSER QUE LA SITUATION DE TRAVAIL D’UN SALARIÉ PROTÉGÉ PRÉSENTE UN DANGER GRAVE ET IMMINENT POUR SA VIE OU POUR SA SANTÉ - JUSTIFIANT L’EXERCICE DU DROIT DE RETRAIT.

54-07-02-03 Le juge de l’excès de pouvoir exerce un entier contrôle sur le point de savoir si le salarié protégé dont l’employeur a demandé à l’autorité administrative l’autorisation de le licencier pour faute au motif de son exercice irrégulier du droit de retrait justifiait d’un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé.

TRAVAIL ET EMPLOI - LICENCIEMENTS - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION - LICENCIEMENT POUR FAUTE - AUTORISATION D’UN LICENCIEMENT POUR FAUTE AU MOTIF DE L’EXERCICE IRRÉGULIER DU DROIT DE RETRAIT PAR LE SALARIÉ – 1) CONDITIONS D’OCTROI – A) ABSENCE DE MOTIF RAISONNABLE DE PENSER QUE LA SITUATION DE TRAVAIL PRÉSENTE UN DANGER GRAVE ET IMMINENT POUR SA VIE OU POUR SA SANTÉ – B) GRAVITÉ SUFFISANTE DE LA FAUTE – 2) CONTRÔLE DU JUGE – CONTRÔLE ENTIER.

66-07-01-04-02 1) Il résulte des articles L. 4121-1 et L. 4131-1 du code du travail que, dans le cas où l’autorité administrative est saisie d’une demande d’autorisation de licenciement pour faute d’un salarié protégé au motif de l’exercice irrégulier du droit de retrait par le salarié, a) il lui appartient de rechercher si le salarié justifiait d’un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé. Lorsque tel est le cas, l’autorité administrative ne peut pas autoriser ce licenciement. ...b) Si tel n’est pas le cas, il appartient à l’administration de rechercher si le comportement du salarié est constitutif d’une faute d’une gravité suffisante pour justifier que son licenciement soit autorisé....2) Le juge de l’excès de pouvoir exerce un entier contrôle sur l’appréciation portée par l’administration sur le respect de ces conditions.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 mai. 2024, n° 472007
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Belloc
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP LE BRET-DESACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472007.20240528
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