Vu les procédures suivantes :
La société d'encouragement à l'élevage du trotteur français (SETF) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à la société Gold Leiw SA et à M. B... A... de lui verser la somme de 330 129,90 euros, correspondant au montant des allocations et primes restant dues en exécution de la disqualification de chevaux.
Par une ordonnance n° 2320112 du 9 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à M. A... et à la société Gold Leiw SA de verser solidairement à la SETF la somme demandée, dans un délai de huit jours à compter de la notification de sa décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
1° Sous le n° 490494, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 décembre 2023 et 10 janvier et 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et la société Gold Leiw SA demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la SETF la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 491154, par une requête enregistrée le 24 janvier 2024, M. A... et la société Gold Leiw SA demandent au Conseil d'Etat d'ordonner, en application des dispositions de l'article R. 821-5 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance du 9 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux ;
- la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 ;
- le décret n° 97-456 du 5 mai 1997 ;
- le décret n° 2010-1314 du 2 novembre 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet François Pinet, avocat de la société Gold Leiw et de M. B... A... et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société d'encouragement à l'élevage du trotteur français ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que par une décision du 21 septembre 2019, les commissaires de la société d'encouragement à l'élevage du cheval français (SECF), devenue la société d'encouragement à l'élevage du trotteur français (SETF), ont délivré à la SASU Ecurie HM stables, constituée par la société de droit luxembourgeois Gold Leiw SA, en qualité de propriétaire titulaire de couleur, une autorisation de faire courir quatorze chevaux. Par une décision du 1er avril 2022, la SECF a décidé, au titre de son pouvoir disciplinaire, de disqualifier ces chevaux pour toutes les courses auxquelles ils avaient participé entre le 10 août 2020 et le 27 janvier 2022. Cette décision étant devenue définitive, la SECF a mis en demeure la société Gold Leiw SA et son administrateur unique, M. A..., de lui régler une somme correspondant aux allocations et primes qui leur avaient été versées par la SECF à raison des chevaux disqualifiés, pour un montant actualisé de 330 129,90 euros selon la dernière mise en demeure du 11 août 2023. La SETF a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à M. A... et à la société Gold Leiw SA de lui verser la somme réclamée. Par une ordonnance du 9 octobre 2023, dont M. A... et la société Gold Leiw SA demandent l'annulation et le sursis à exécution par un pourvoi et une requête qu'il y a lieu de joindre, le juge des référés a fait droit à cette demande et assorti l'injonction prononcée d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours.
Sur le pourvoi :
En ce qui concerne la compétence de la juridiction administrative :
3. Aux termes de l'article 2 de la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux, modifiée en dernier lieu par la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne : " Sont seules autorisées les courses de chevaux ayant pour but exclusif l'amélioration de la race chevaline et organisées par des sociétés dont les statuts sociaux auront été approuvés par le ministre de l'agriculture. / Ces sociétés participent, notamment au moyen de l'organisation des courses de chevaux, au service public d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage, à la formation dans le secteur des courses et de l'élevage chevalin ainsi qu'au développement rural. / Dans chacune des deux spécialités, course au galop et course au trot, une de ces sociétés de courses de chevaux est agréée comme société-mère. Chaque société-mère exerce sa responsabilité sur l'ensemble de la filière dépendant de la spécialité dont elle a la charge. Elle propose notamment à l'approbation de l'autorité administrative le code des courses de sa spécialité, délivre les autorisations qu'il prévoit, veille à la régularité des courses par le contrôle des médications, tant à l'élevage qu'à l'entraînement, et attribue des primes à l'élevage. / Les obligations de service public incombant aux sociétés-mères et les modalités de leur intervention sont définies par décret ".
4. Aux termes de l'article 1er du décret du 2 novembre 2010 relatif aux obligations de service public incombant aux sociétés de courses de chevaux et aux modalités d'intervention des sociétés mères : " Les sociétés mères de courses de chevaux sont chargées des missions de service public mentionnées dans le cahier des charges annexé au présent décret. " En vertu du point 1 du cahier des charges : " Les sociétés de courses de chevaux agréées comme sociétés mères sont chargées de réglementer les courses par l'élaboration d'un code des courses pour chaque spécialité qui encadre l'ensemble des épreuves, précise les caractéristiques des personnes et des chevaux autorisés à prendre part aux courses, les règles selon lesquelles les épreuves doivent se dérouler ainsi que les sanctions à appliquer aux contrevenants et les recours possibles. / Les codes sont soumis pour approbation au ministre chargé de l'agriculture. (...) / Les sociétés de courses de chevaux s'engagent à respecter le code régissant la spécialité des courses qu'elles organisent ". Selon l'alinéa 2 du point 4 de ce cahier des charges, les sociétés mères " assurent le contrôle de la régularité des courses en veillant au respect des prescriptions des codes et (...) disposent d'un pouvoir de sanctions disciplinaire et pécuniaire ".
5. Il résulte de l'article 2 de la loi du 2 juin 1891, dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 2010, que les sociétés-mères de courses de chevaux, personnes morales de droit privé, sont investies de missions de service public au titre du service public administratif d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage. Dès lors, la juridiction administrative est compétente pour connaître des actes procédant de l'exercice des prérogatives de puissance publique qui leur ont été conférées pour l'accomplissement de ces missions. Constituent de tels actes les sanctions prises en application du code des courses élaboré par chaque société-mère, au nombre desquelles comptent les disqualifications de chevaux prononcées par les commissaires de courses sur le fondement de l'article 92 du code des courses au trot.
6. Ainsi qu'il a été dit au point 2, par une décision du 1er avril 2022 devenue définitive, la SECF a décidé, au titre de son pouvoir disciplinaire, de disqualifier les chevaux de la SASU Ecurie HM stables pour toutes les courses auxquelles ils avaient participé entre le 10 août 2020 et le 27 janvier 2022. En conséquence de cette disqualification disciplinaire, elle a mis en demeure M. A... et la société Gold Leiw SA de restituer les allocations et primes de courses indument perçues au titre de ces chevaux. Une telle décision doit être regardée comme se rattachant à la sanction de disqualification prononcée par la société-mère, à l'exécution de laquelle elle participe. Il en résulte que la demande présentée par la SETF sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, tendant à ce que le juge des référés prenne une décision, revêtue de la formule exécutoire, ordonnant le reversement des sommes indument perçues, en exécution de la disqualification disciplinaire prononcée, n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le juge des référés du tribunal administratif de Paris était compétent pour en connaître.
En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée :
7. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes. " Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prendre les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe les parties sans délai de la date et de l'heure de l'audience publique (...) " Aux termes de l'article R. 522-4 de ce code : " Notification de la requête est faite aux défendeurs. / Les délais les plus brefs sont donnés aux parties pour fournir leurs observations. Ils doivent être rigoureusement observés, faute de quoi il est passé outre sans mise en demeure. ". Il résulte de ces dispositions que le juge, saisi sur le fondement de l'article L. 521-3, s'il n'est pas tenu de compléter l'instruction écrite par la tenue d'une audience, doit s'assurer du caractère contradictoire de la procédure, selon des modalités adaptées à l'urgence.
8. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la requête de la SETF a été communiquée à M. A..., en son nom et en sa qualité d'administrateur unique de la société Gold Leiw SA, par courrier envoyé à son adresse personnelle et par courriel à ses deux adresses professionnelles. Il ressort également des pièces de la procédure que cette requête a été notifiée à la société Gold Leiw SA à l'adresse connue de son siège social, qui est d'ailleurs celle mentionnée dans le pourvoi sommaire. Par suite, le moyen tiré de ce que les requérants n'auraient pas été mis en mesure de présenter leurs observations en défense ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
9. En premier lieu, pour juger que la condition d'urgence était remplie le juge des référés du tribunal administratif de Paris a relevé que l'absence de remboursement par M. A... et la société Gold Leiw SA des allocations et primes de courses indûment perçues privait la SETF d'une somme lui permettant de participer au service public d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage et que les requérants, qui n'avaient répondu à aucune des mises en demeure adressées par la SETF, avaient adopté un comportement dilatoire et risquaient d'organiser leur insolvabilité. En statuant ainsi, il a porté des appréciations souveraines, exemptes de dénaturation, et n'a pas commis d'erreur de droit.
10. En second lieu, alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 8, M. A... et la société Gold Leiw SA avaient été mis à même de présenter des observations en défense, le juge des référés a pu, sans erreur de droit ni dénaturation, se fonder, pour faire droit à la demande de la SETF, sur le fait qu'ils n'avaient pas produit dans l'instance et ne contestaient pas être débiteurs de la SETF à hauteur de la somme de 330 129,90 euros.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions du pourvoi de M. A... et la société Gold Leiw SA tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée doivent être rejetées.
Sur la requête aux fins de sursis à exécution :
12. La présente décision statuant sur le pourvoi tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée, la requête de M. A... et de la société Gold Leiw SA tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cette ordonnance est devenue sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la SETF, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... et de la société Gold Leiw SA le versement à la SETF d'une somme de 1 500 euros chacun à ce titre.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... et de la société Gold Leiw SA est rejeté.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de sursis à exécution présentées par la société Gold Leiw SA et par M. A....
Article 3 : M. A... et la société Gold Leiw SA verseront chacun à la SETF une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., premier requérant dénommé, et à la société d'encouragement à l'élevage du trotteur français.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 mai 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.
Rendu le 16 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard