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30/04/2024 | FRANCE | N°472487

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 30 avril 2024, 472487


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 472487, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars et 26 juin 2023 et le 12 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sud Radio demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2023-30 du 23 janvier 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir, en ce qui conce

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Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 472487, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars et 26 juin 2023 et le 12 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sud Radio demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2023-30 du 23 janvier 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir, en ce qui concerne le service de radio " Sud Radio ", aux dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi qu'aux stipulations des articles 2-4 et 2-10 de la convention du 20 janvier 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 472488, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars et 26 juin 2023 et le 12 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sud Radio demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2023-31 du 23 janvier 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir, en ce qui concerne le service de radio " Sud Radio + ", aux dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi qu'aux stipulations des articles 2-4 et 2-10 de la convention du 6 janvier 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Sud Radio.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers que la société Sud Radio a été autorisée, sur le fondement de l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à exploiter les services de radio dénommés " Sud Radio + " et " Sud Radio ", dans les conditions prévues par des conventions passées respectivement les 6 et 20 janvier 2021 avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, cette société demande l'annulation des deux décisions du 23 janvier 2023 par lesquelles l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), à la suite de la diffusion de l'émission " Bercoff dans tous ses états " du 18 mars 2022, l'a mise en demeure de respecter à l'avenir, s'agissant des services dont il s'agit, les dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 et les stipulations des articles 2-4 et 2-10 de ces conventions.

2. Aux termes de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1. " Les articles 4-2-1 des conventions des 6 et 20 janvier 2021 prévoient que l'Arcom " peut mettre en demeure le titulaire de respecter les obligations (...) figurant dans la convention (...) ".

Sur la légalité externe :

3. Il ressort du procès-verbal de la réunion du collège de l'Arcom du 23 janvier 2023 au cours de laquelle ont été décidées les mises en demeure litigieuses que la condition de quorum prévue à l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986 était remplie. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions manque en fait.

Sur la légalité interne :

4. Aux termes des sixième et septième alinéas de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, l'Arcom " s'assure enfin que les programmes mis à la disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent : / 1° Ni incitation à la haine ou à la violence fondée sur l'un des motifs visés à l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou à raison de l'identité de genre (...) ", au nombre desquels figurent la race, les origines ethniques et la nationalité . Aux termes du I des articles 2-4 des conventions des 6 et 20 janvier 2021, la société Sud Radio veille dans ses programmes " à ne pas encourager des comportements discriminatoires à l'égard des personnes en raison de leur origine, (...) de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (...) " et aux termes de l'article 2-10 de ces conventions : " Le titulaire met en œuvre les procédures nécessaires pour assurer, y compris dans le cadre des interventions des auditeurs, la maîtrise de l'antenne et le respect des principes définis aux articles 2-2 à 2-9 (...) ".

5. Il ressort des pièces des dossiers que les mises en demeure litigieuses se fondent, d'une part, sur la méconnaissance, par les services " Sud Radio + " et " Sud Radio ", des dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 et des stipulations des articles 2-4 des conventions des 6 et 20 janvier 2021 qui imposent à l'éditeur de ne pas encourager les propos incitant à la haine ou à la violence et à des comportements discriminatoires et, d'autre part, sur la méconnaissance par ces mêmes services des stipulations de l'article 2-10 de ces conventions relatives à la maîtrise de l'antenne.

6. Il ressort des pièces des dossiers que l'émission " Bercoff dans tous ses états " du 18 mars 2022 qui a fait l'objet des mises en demeure contestées a consisté en un entretien d'un peu plus d'une demi-heure entre le présentateur de l'émission, André Bercoff, et l'écrivain Renaud Camus, qui en était le seul invité. Pendant cet entretien, l'invité a développé le concept de " grand remplacement ", qui traduit selon lui, " essentiellement le changement de peuple, et donc de civilisation " en France sous l'effet de l'immigration. Il a présenté ce phénomène comme une " colonisation démographique " " Sud-Nord (...) beaucoup plus grave que la colonisation Nord-Sud jadis qui était une conquête militaire, administrative " et l'a également comparé à " ce qu'Aimé Césaire appelait le génocide par substitution " et qualifié de " nettoyage ethnique " en faisant le parallèle avec la " pratique nazie " en la matière. En recourant ainsi aux références historiques les plus extrêmes et les plus criminelles, il a longuement exposé sa vision des personnes immigrées comme animées d'une volonté de domination au service d'un projet de " colonisation de changement de peuple ". Pendant l'ensemble de l'émission, le présentateur n'a procédé à aucune mise en perspective des thèses ainsi développées par son invité, auxquelles il n'a apporté aucune contradiction, abondant au contraire dans le sens de celui qu'il avait qualifié de " grand écrivain " auteur d'un " grand livre " " frappé au coin du bon sens ". Alors que son invité concluait que le peuple français devait maintenant être regardé comme un " peuple indigène (...) chassé par une sorte de nettoyage ethnique ", l'animateur a conclu " oui en fait, c'est ça, les Français ont perdu la notion de savoir que les indigènes, ce sont eux. (...) Les indigènes, c'est nous, c'est une bonne conclusion ".

7. Pour apprécier si la diffusion des propos tenus par l'invité d'une émission a conduit un éditeur de services à manquer à ses obligations de ne pas inciter à la haine et à la violence à raison notamment de la race, des origines ethniques et de la nationalité et de ne pas encourager des comportements discriminatoires, il appartient à l'Arcom, sous le contrôle du juge, de déterminer, d'une part, si la teneur des propos tenus par l'invité était de nature à imposer une vigilance ou des diligences particulières de la part de l'éditeur de services, et, d'autre part, si, au regard de l'ensemble du contenu de l'émission, et notamment des contradictions et remises en perspective critique qu'ont pu apporter les collaborateurs de la chaîne ou d'autres invités, celui-ci a manqué aux obligations qui s'imposaient de ce fait à lui. A cet égard, compte tenu, d'une part, de la teneur exposée ci-dessus des propos longuement tenus par l'invité de l'émission, à qui une importante exposition était ainsi offerte, et, d'autre part, de l'absence tant de mise en perspective que de contradiction assurée à ceux-ci, qui ont été au contraire relayés avec une complaisance appuyée, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'Arcom aurait fait, en leur adressant les mises en demeure litigieuses, une inexacte application des pouvoirs qu'elle tient des articles 42 de la loi du 30 septembre 1986 et 4-2-1 des conventions des 6 et 20 janvier 2021.

8. En second lieu, en estimant que par la longue ouverture de son antenne à la diffusion des propos exposés au point précédent sans assurer, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, aucune remise en perspective critique ni aucune contradiction, l'éditeur des services en cause avait méconnu les prescriptions de l'article 2-10 des conventions des 6 et 20 janvier 2021 relatives à la maîtrise de l'antenne et en mettant en demeure la société requérante de se conformer à l'avenir à ces prescriptions, l'Arcom n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas non plus fait une inexacte application des pouvoirs qu'elle tient des articles 42 de la loi du 30 septembre 1986 et 4-2-1 des conventions des 6 et 20 janvier 2021.

9. Enfin, eu égard tant à sa portée qu'aux manquements analysés ci-dessus, la décision attaquée ne peut être regardée comme portant une atteinte disproportionnée à la libre communication des pensées et des opinions garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni, en tout état de cause, comme méconnaissant l'objectif de valeur constitutionnelle du pluralisme des courants de pensée et d'opinion.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sud Radio n'est pas fondée à demander l'annulation des mises en demeure qu'elle attaque. Sa requête doit par suite être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la société Sud Radio sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Sud Radio et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Copie en sera adressée à la ministre de la culture.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 mars 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 30 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Cyrille Beaufils

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 472487
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 avr. 2024, n° 472487
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472487.20240430
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