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30/04/2024 | FRANCE | N°470749

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 30 avril 2024, 470749


Vu la procédure suivante :



Par un arrêt n° 263-796 du 23 novembre 2022, la Cour de discipline budgétaire et financière a condamné Mme A... B..., en sa qualité de directrice générale de l'Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), à une amende de 2 500 euros, pour des irrégularités constitutives des infractions prévues aux articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières, à raison du contrat de distribution d'un vidéogramme documentaire signé le 21 février 2012 avec l'association Secours

de France, du contrat de co-production d'un vidéogramme documentaire signé le ...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 263-796 du 23 novembre 2022, la Cour de discipline budgétaire et financière a condamné Mme A... B..., en sa qualité de directrice générale de l'Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), à une amende de 2 500 euros, pour des irrégularités constitutives des infractions prévues aux articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières, à raison du contrat de distribution d'un vidéogramme documentaire signé le 21 février 2012 avec l'association Secours de France, du contrat de co-production d'un vidéogramme documentaire signé le 14 décembre 2011 avec la société Kilaohm Productions, et de l'exécution du marché de travaux relatif au système de production de chauffage de l'établissement entre 2010 et 2012.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 janvier, 24 avril et 1er décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il la concerne ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer sa relaxe ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code des juridictions financières ;

- l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 ;

- le décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Par deux réquisitoires du 30 janvier 2018 et du 5 février 2020, la Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie de faits relatifs à la gestion administrative et financière de l'établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), concernant plus particulièrement les conditions dans lesquelles ont été signés en 2011 et 2012 certains contrats de distribution ou de co-production de vidéogrammes documentaires et conclus ou exécutés certains marchés relatifs notamment au système de chauffage de l'établissement. Par un arrêt du 23 novembre 2022, la Cour de discipline budgétaire et financière a condamné Mme B..., directrice générale de l'établissement au moment des faits, à une amende de 2 500 euros et condamné deux autres agents de l'établissement à des amendes de 2 500 et 1 000 euros respectivement. Mme B... se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il la concerne.

2. En vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ". Découle de ce principe la règle selon laquelle la loi répressive nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux auteurs d'infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des décisions devenues irrévocables. Il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction, de faire application, même d'office, d'une loi répressive nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue. Il en va de même pour le juge de cassation si la loi nouvelle est entrée en vigueur postérieurement à la décision frappée de pourvoi.

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé les faits qui lui étaient soumis, relatifs à la gestion administrative et financière de l'ECPAD, imputables à Mme B... en sa qualité d'administratrice civile détachée dans les fonctions de directrice générale de cet établissement et constitutifs des infractions prévues aux articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières, alors en vigueur. Ces dispositions sanctionnaient d'une amende les actes accomplis par les fonctionnaires de l'Etat et de ses établissements publics dans l'exercice de leurs fonctions, par lesquels ceux-ci ont, respectivement, " enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat " ou de ses établissements, ou " procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé ".

4. Aux termes du I de l'article 29 de l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics : " Les dispositions de la présente ordonnance sont applicables à compter du 1er janvier 2023 dans les conditions fixées au II (...) ". Aux termes de l'article L. 131-1 du code des juridictions financières, dans sa rédaction issue de cette ordonnance : " Est justiciable de la Cour des comptes au titre des infractions mentionnées à la section 2 du présent chapitre : (...) / 2° Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l'Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics (...) ". Aux termes de l'article L. 131-9 de ce code, dans sa rédaction issue de cette même ordonnance : " Tout justiciable au sens de l'article L. 131-1 qui, par une infraction aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l'Etat, des collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article L. 131-1, commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible des sanctions prévues à la section 3. (...) ". Aux termes de l'article L. 131-12 de ce code, dans la rédaction issue de ladite ordonnance : " Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 qui, dans l'exercice de ses fonctions ou attributions, en méconnaissance de ses obligations et par intérêt personnel direct ou indirect, procure à une personne morale, à autrui, ou à lui-même, un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, est passible des sanctions prévues à la section 3 ".

5. Ces dispositions, issues de l'ordonnance du 23 mars 2022 qui a abrogé notamment les articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières, ont redéfini les conditions dans lesquelles peut être mise en cause la responsabilité financière des gestionnaires publics, en restreignant l'incrimination, s'agissant de l'exécution des recettes et des dépenses, aux cas de fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif, et en exigeant, s'agissant de la qualification des avantages injustifiés procurés à autrui, que ceux-ci procèdent de la recherche d'un intérêt personnel direct ou indirect. Eu égard aux critères de qualification des infractions ainsi redéfinis, ces dispositions, entrées en vigueur au 1er janvier 2023, doivent être regardées comme constituant une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures dont la Cour de discipline budgétaire et financière a fait application et font obstacle au maintien du dispositif de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la responsabilité financière de Mme B....

6. Il en résulte que Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur sa responsabilité financière, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière du 23 novembre 2022, ainsi que son article 4 en tant qu'il concerne Mme B..., sont annulés.

Article 2 : L'affaire est, dans cette mesure, renvoyée à la Cour des comptes.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au procureur général près la Cour des comptes.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 30 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Destais

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470749
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - APPLICATION DANS LE TEMPS - TEXTE APPLICABLE - CONTESTATION D’UNE SANCTION PRONONCÉE PAR LA CDBF – DÉFINITION NOUVELLE DES INCRIMINATIONS TENANT À UNE INFRACTION DES RÈGLES RELATIVES À L’EXÉCUTION DES RECETTES ET DES DÉPENSES DE L’ETAT ET À L’OCTROI D’UN AVANTAGE INJUSTIFIÉ (ART - L - 131-9 ET L - 131-12 DU CJF) – LOI RÉPRESSIVE NOUVELLE PLUS DOUCE – EXISTENCE – CONSÉQUENCE – APPLICATION IMMÉDIATE EN CASSATION (RÉTROACTIVITÉ « IN MITIUS ») [RJ1].

01-08-03 Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) ayant jugé des faits relatifs à la gestion administrative et financière d’un établissement public, et prononcé une amende à l’encontre d’un gestionnaire sur le fondement des articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières (CJF), alors en vigueur. ...Ces dispositions sanctionnaient d’une amende les actes accomplis par les fonctionnaires de l'Etat et de ses établissements publics dans l'exercice de leurs fonctions, par lesquels ceux-ci ont, respectivement, « enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat » ou de ses établissements, ou « procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé »....Les articles L. 131-1, L. 131-9 et L. 131-12 du code des juridictions financières (CJF), issus de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 qui a abrogé notamment les articles L. 313-4 et L. 313-6 du même code, ont redéfini les conditions dans lesquelles peut être mise en cause la responsabilité financière des gestionnaires publics, en restreignant l’incrimination, s’agissant de l'exécution des recettes et des dépenses, aux cas de fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif, et en exigeant, s’agissant de la qualification des avantages injustifiés procurés à autrui, que ceux-ci procèdent de la recherche d’un intérêt personnel direct ou indirect. Eu égard aux critères de qualification des infractions ainsi redéfinis, ces dispositions, entrées en vigueur au 1er janvier 2023, doivent être regardées comme constituant une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures dont la CDBF a fait application et font obstacle au maintien du dispositif de son arrêt en tant qu’il statue sur la responsabilité financière du gestionnaire.

COMPTABILITÉ PUBLIQUE ET BUDGET - RÉGIME JURIDIQUE DES ORDONNATEURS ET DES COMPTABLES - JUGEMENT DES ORDONNATEURS - COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE - DÉFINITION NOUVELLE DES INCRIMINATIONS TENANT À UNE INFRACTION DES RÈGLES RELATIVES À L’EXÉCUTION DES RECETTES ET DES DÉPENSES DE L’ETAT ET À L’OCTROI D’UN AVANTAGE INJUSTIFIÉ (ART - L - 131-9 ET L - 131-12 DU CJF) – LOI RÉPRESSIVE NOUVELLE PLUS DOUCE – EXISTENCE – CONSÉQUENCE – APPLICATION IMMÉDIATE EN CASSATION (RÉTROACTIVITÉ « IN MITIUS ») [RJ1].

18-01-05-01 Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) ayant jugé des faits relatifs à la gestion administrative et financière d’un établissement public, et prononcé une amende à l’encontre d’un gestionnaire sur le fondement des articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières (CJF), alors en vigueur. ...Ces dispositions sanctionnaient d’une amende les actes accomplis par les fonctionnaires de l'Etat et de ses établissements publics dans l'exercice de leurs fonctions, par lesquels ceux-ci ont, respectivement, « enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat » ou de ses établissements, ou « procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé »....Les articles L. 131-1, L. 131-9 et L. 131-12 du code des juridictions financières (CJF), issus de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 qui a abrogé notamment les articles L. 313-4 et L. 313-6 du même code, ont redéfini les conditions dans lesquelles peut être mise en cause la responsabilité financière des gestionnaires publics, en restreignant l’incrimination, s’agissant de l'exécution des recettes et des dépenses, aux cas de fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif, et en exigeant, s’agissant de la qualification des avantages injustifiés procurés à autrui, que ceux-ci procèdent de la recherche d’un intérêt personnel direct ou indirect. Eu égard aux critères de qualification des infractions ainsi redéfinis, ces dispositions, entrées en vigueur au 1er janvier 2023, doivent être regardées comme constituant une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures dont la CDBF a fait application et font obstacle au maintien du dispositif de son arrêt en tant qu’il statue sur la responsabilité financière du gestionnaire.

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - POUVOIRS DU JUGE DE CASSATION - CONTESTATION D’UNE SANCTION PRONONCÉE PAR LA CDBF – APPLICATION IMMÉDIATE DE LA LOI RÉPRESSIVE NOUVELLE PLUS DOUCE (RÉTROACTIVITÉ « IN MITIUS ») [RJ1] – ILLUSTRATION – DÉFINITION NOUVELLE DES INCRIMINATIONS TENANT À UNE INFRACTION DES RÈGLES RELATIVES À L’EXÉCUTION DES RECETTES ET DES DÉPENSES DE L’ETAT ET À L’OCTROI D’UN AVANTAGE INJUSTIFIÉ.

54-08-02-03 Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) ayant jugé des faits relatifs à la gestion administrative et financière d’un établissement public, et prononcé une amende à l’encontre d’un gestionnaire sur le fondement des articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières (CJF), alors en vigueur. ...Ces dispositions sanctionnaient d’une amende les actes accomplis par les fonctionnaires de l'Etat et de ses établissements publics dans l'exercice de leurs fonctions, par lesquels ceux-ci ont, respectivement, « enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat » ou de ses établissements, ou « procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé »....Les articles L. 131-1, L. 131-9 et L. 131-12 du code des juridictions financières (CJF), issus de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 qui a abrogé notamment les articles L. 313-4 et L. 313-6 du même code, ont redéfini les conditions dans lesquelles peut être mise en cause la responsabilité financière des gestionnaires publics, en restreignant l’incrimination, s’agissant de l'exécution des recettes et des dépenses, aux cas de fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif, et en exigeant, s’agissant de la qualification des avantages injustifiés procurés à autrui, que ceux-ci procèdent de la recherche d’un intérêt personnel direct ou indirect. Eu égard aux critères de qualification des infractions ainsi redéfinis, ces dispositions, entrées en vigueur au 1er janvier 2023, doivent être regardées comme constituant une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures dont la CDBF a fait application et font obstacle au maintien du dispositif de son arrêt en tant qu’il statue sur la responsabilité financière du gestionnaire.


Publications
Proposition de citation : CE, 30 avr. 2024, n° 470749
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nathalie Destais
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470749.20240430
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