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26/04/2024 | FRANCE | N°466062

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 26 avril 2024, 466062


Vu la procédure suivante :



La société en commandite par actions (SCA) Financière SPIE Batignolles (FSB) a demandé au tribunal administratif de Montreuil, à titre principal, de prononcer le remboursement des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2015 à hauteur d'un montant de 1 659 684 euros et de fixer le montant du déficit de groupe reportable à 3 943 044 euros et, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne

d'une question préjudicielle. Par un jugement n° 1803472 du 9 mai 2019, ce tr...

Vu la procédure suivante :

La société en commandite par actions (SCA) Financière SPIE Batignolles (FSB) a demandé au tribunal administratif de Montreuil, à titre principal, de prononcer le remboursement des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2015 à hauteur d'un montant de 1 659 684 euros et de fixer le montant du déficit de groupe reportable à 3 943 044 euros et, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle. Par un jugement n° 1803472 du 9 mai 2019, ce tribunal a fait droit aux conclusions principales de la demande et rejeté le surplus de celle-ci.

Par un arrêt n° 19VE03130 du 9 juin 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre les articles 1er et 2 de ce jugement et rejeté le surplus des conclusions de la SCA FSB.

Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et mémoire en réplique, enregistrés les 25 juillet 2022, 2 janvier 2023 et 5 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention signée le 1er avril 1958 entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-650/16 du 12 juin 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-538/20 du 22 septembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Groupe SPIE Batignolles ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 mars 2024, présentée par la société Groupe SPIE Batignolles.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société en commandite par actions (SCA) Financière SPIE Batignolles (FSB), société mère d'un groupe fiscalement intégré, a sollicité, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015, l'imputation sur le résultat de l'une de ses filiales membre de ce groupe fiscal, la société SPIE Batignolles génie civil (SBGC), et par voie de conséquence sur le résultat d'ensemble du groupe, des pertes définitives subies par succursale luxembourgeoise de cette dernière. En tant que participante de l'association momentanée du tunnel de Gousselerbierg (AMTG), en charge de la construction de cet ouvrage, cette succursale avait appréhendé l'ensemble des pertes réalisées par l'association et cessé son activité le 22 avril 2015, puis avait été radiée le 11 décembre suivant du registre du commerce luxembourgeois. Par l'arrêt contre lequel se pourvoit le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a admis l'imputation, sur le résultat d'ensemble du groupe, des déficits en report constatés après imputation sur les résultats de la société SBGC des pertes définitives de sa succursale luxembourgeoise.

2. Aux termes, d'une part, des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45,53 A à 57, 108 à 117, 237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions.(...) ". Une société mère dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés en France ne peut, en outre, imputer les pertes subies par une filiale sur le résultat d'ensemble du groupe fiscal intégré auquel des deux sociétés appartiennent que dans les conditions prévues par les dispositions des articles 223 A et suivants du code général des impôts. En vertu du a) du 1 de l'article 223 I de ce code : " Les déficits subis par une société du groupe au titre d'exercices antérieurs à son entrée dans le groupe ne sont imputables que sur son bénéfice, dans les limites et conditions prévues au troisième alinéa du I de l'article 209 (...). Ces dernières dispositions prévoient que " (...) en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d'un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants. Il en est de même de la fraction de déficit non admise en déduction en application de la première phrase du présent alinéa ".

3. Aux termes, d'autre part, de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre (...) ". Aux termes de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres (...) ".

4. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt A/S Bevola, Jens W. Trock ApS contre Skatteministeriet (aff. C-650/16) du 12 juin 2018, une disposition permettant la prise en compte des pertes d'une succursale aux fins de la détermination du bénéfice imposable de la société à laquelle appartient cette succursale constitue un avantage fiscal. Le fait d'accorder un tel avantage lorsque les pertes sont encourues au titre de l'activité d'une succursale établie dans l'Etat membre de la société résidente, mais non lorsque ces pertes proviennent d'un établissement stable situé dans un autre Etat membre que celui de cette société résidente, a pour conséquence que la situation fiscale d'une société résidente qui possède un établissement stable dans un autre Etat membre est moins favorable que celle qui serait la sienne si cette même activité était exercée au travers d'une succursale établie dans le même Etat membre qu'elle. Toutefois, une différence de traitement résultant de la législation fiscale d'un Etat membre au détriment des sociétés qui exercent leur liberté d'établissement n'est pas constitutive d'une entrave à cette liberté si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnée à cet objectif.

5. Le ministre soutenait devant la cour qu'en vertu tant des stipulations conventionnelles que des dispositions de droit fiscal interne, les résultats de la succursale luxembourgeoise de la société SBGC n'étaient imposables qu'au Luxembourg et qu'à supposer que les déficits réalisés par cette succursale avant l'entrée de ladite société dans le groupe d'intégration fiscale dont la SCA FSB constitue la tête puissent être imputés en France, ils ne devaient pas pour autant être pris en compte pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe, sauf à traiter une succursale étrangère de manière plus favorable qu'une succursale française, dont les pertes réalisées antérieurement à l'intégration au groupe n'auraient pu être imputées sur le résultat d'ensemble du groupe que dans les conditions et limites prévues par les dispositions des articles 223 A et suivants du code général des impôts.

6. La cour s'est fondée, pour écarter comme inopérant le moyen ainsi soulevé et confirmer la solution retenue par les premiers juges, sur ce qu'il résulterait du principe de liberté d'établissement garanti par les stipulations citées au point 3 un droit inconditionnel à imputation en France des pertes définitives provenant d'un établissement stable établi dans un autre Etat membre. En statuant ainsi, sans avoir préalablement recherché si, dans le contexte particulier de l'intégration fiscale qui était celui du litige qui lui était soumis, la législation fiscale française instituait, s'agissant de la prise en compte des pertes d'une société membre du groupe pour la détermination du résultat d'ensemble de celui-ci, une différence de traitement au détriment des sociétés membres du groupe détenant une succursale dans un autre Etat membre, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit. Le ministre est, par suite, fondé à demander, pour ce motif et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, l'annulation de l'arrêt attaqué.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. En vertu des stipulations de l'article 4 de la convention fiscale entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958 alors en vigueur, les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable, lequel s'entend d'une installation fixe d'affaires dans laquelle l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. Il en résulte que les pertes subies par ce même établissement stable ne sont imputables que dans ce même Etat, selon les règles d'imputation qui y sont applicables.

9. Tant ces stipulations que le principe de territorialité de l'impôt mentionné au I de l'article 209 du code général des impôts faisaient donc obstacle à ce que la société SPIE Batignolles génie civil puisse déduire de son bénéfice imposable en France les pertes d'exploitation subies par sa succursale luxembourgeoise, alors que si la succursale avait été établie en France, une telle imputation aurait toujours été possible ainsi que, le cas échéant, la prise en compte de tout ou partie de ces pertes pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe fiscal auquel cette société appartient, dans les conditions et limites prévues par les dispositions des articles 223 A et suivants du code général des impôts.

10. Une telle différence de traitement ne saurait toutefois, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, constituer une atteinte à la liberté d'établissement, pour la société privée de la possibilité de prise en compte des pertes réalisées par son établissement stable non-résident pour la détermination de son résultat imposable, si elle ne se trouve pas, à l'égard des mesures prévues par la France afin de prévenir ou d'atténuer la double imposition des bénéfices d'une société résidente et, symétriquement, la double prise en compte de ses pertes, dans une situation objectivement comparable à celle d'une société détenant une succursale implantée en France. A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, notamment dans son arrêt A/S Bevola, Jens W. Trock ApS contre Skatteministeriet cité au point 4, qu'en principe, la situation d'un établissement stable non-résident et celle d'une succursale résidente ne sont pas comparables au regard d'un tel objectif, à moins que la législation fiscale nationale n'ait elle-même assimilé ces deux catégories d'établissement aux fins de la prise en compte des pertes et des bénéfices réalisés par eux.

11. En l'espèce, la convention franco-luxembourgeoise interdisant à la France d'imposer les bénéfices réalisés par une succursale luxembourgeoise d'une société établie en France, conformément au demeurant à ce que prévoit la loi fiscale, la France n'a pas assimilé à des fins fiscales les succursales résidentes et les établissements stables établis au Luxembourg. Dans ces conditions, et ainsi qu'il découle nécessairement de ce qu'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt rendu le 22 septembre 2022 dans l'affaire Finanzamt B contre W AG (C-538/20) pour le cas d'un Etat membre ayant renoncé par une convention préventive de double imposition au pouvoir d'imposer les résultats des établissements stables non-résidents normalement prévu par son droit national, une société résidente de France détenant une succursale au Luxembourg doit être regardée comme ne se trouvant pas dans une situation objectivement comparable à celle d'une société de France détenant une succursale dans ce même Etat.

12. Par suite, aucune restriction à la liberté d'établissement ne saurait être constatée à raison de l'impossibilité pour la société SPIE Batignolles Génie civil d'imputer sur ses résultats les pertes réalisées par sa succursale luxembourgeoise, pas plus qu'à raison de l'impossibilité qui en résulte de bénéficier de toute prise en compte desdites pertes pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe fiscalement intégré dont elle est membre.

13. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a accueilli la demande qui lui était présentée par la société Financière SPIE Batignolles. Il y a lieu, par suite, sans qu'il soit besoin de poser de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation des règles applicables, d'annuler les articles 1er et 2 du le jugement du tribunal administratif de Montreuil et de rejeter cette demande.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 9 juin 2022 et les articles 1er et 2 du jugement du 9 mai 2019 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par la société Financière SPIE Batignolles devant le tribunal administratif de Montreuil est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société Groupe SPIE Batignolles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SAS Groupe SPIE Batignolles, venant aux droits de la SCA Financière SPIE Batignolles.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Nathalie Escaut, Mme Sylvie Pellissier, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 26 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Marie Prévot

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466062
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - LIBERTÉS DE CIRCULATION - LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES - RÈGLES FAISANT OBSTACLE À L’IMPUTATION - EN FRANCE - DES PERTES DÉFINITIVES RÉALISÉES PAR L’ÉTABLISSEMENT STABLE LUXEMBOURGEOIS D’UNE ENTREPRISE RÉSIDENTE DE FRANCE SUR LES RÉSULTATS D’UN GROUPE FISCAL INTÉGRÉ [RJ1] – 1) DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT PAR RAPPORT À LA SITUATION OÙ LA SUCCURSALE AVAIT ÉTÉ ÉTABLIE EN FRANCE – EXISTENCE – 2) SITUATION OBJECTIVEMENT COMPARABLE À CELLE D’UNE SOCIÉTÉ DÉTENANT UN ÉTABLISSEMENT STABLE IMPLANTÉ EN FRANCE – ABSENCE.

15-05-01-01-02 Société mère française d’un groupe fiscalement intégré ayant sollicité l’imputation sur le résultat de l’une de ses filiales membres de ce groupe fiscal, et par voie de conséquence sur le résultat d’ensemble du groupe, des pertes définitives subies par une succursale luxembourgeoise de cette filiale....1) En vertu de l’article 4 de la convention fiscale conclue entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958, les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l’Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable, lequel s’entend d’une installation fixe d’affaires dans laquelle l’entreprise exerce tout ou partie de son activité. Il en résulte que les pertes subies par ce même établissement stable ne sont imputables que dans ce même Etat, selon les règles d’imputation qui y sont applicables. ...Tant ces stipulations que le principe de territorialité de l’impôt mentionné au I de l’article 209 du code général des impôts (CGI) faisaient donc obstacle à ce que la société mère puisse déduire de son bénéfice imposable en France les pertes d’exploitation subies par sa succursale luxembourgeoise, alors que si la succursale avait été établie en France, une telle imputation aurait toujours été possible ainsi que, le cas échéant, la prise en compte de tout ou partie de ces pertes pour la détermination du résultat d’ensemble du groupe fiscal auquel cette société appartient, dans les conditions et limites prévues par les articles 223 A et suivants du CGI....2) Une telle différence de traitement ne saurait toutefois, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), constituer une atteinte à la liberté d’établissement, pour la société privée de la possibilité de prise en compte des pertes réalisées par son établissement stable non-résident pour la détermination de son résultat imposable, si elle ne se trouve pas, à l’égard des mesures prévues par la France afin de prévenir ou d’atténuer la double imposition des bénéfices d’une société résidente et, symétriquement, la double prise en compte de ses pertes, dans une situation objectivement comparable à celle d’une société détenant un établissement stable implanté en France. A cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, notamment dans son arrêt A/S Bevola, Jens W. Trock ApS contre Skatteministeriet, qu’en principe, la situation d’un établissement stable non-résident et celle d’une succursale résidente ne sont pas comparables au regard d’un tel objectif, à moins que la législation fiscale nationale n’ait elle-même assimilé ces deux catégories d’établissement aux fins de la prise en compte des pertes et des bénéfices réalisés par eux. ...En l’espèce, la convention franco-luxembourgeoise interdisant à la France d’imposer les bénéfices réalisés par une succursale luxembourgeoise d’une société établie en France, conformément au demeurant à ce que prévoit la loi fiscale, la France n’a pas assimilé à des fins fiscales les succursales résidentes et les établissements stables établis au Luxembourg. Dans ces conditions, et ainsi qu’il découle nécessairement de ce qu’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt rendu le 22 septembre 2022 dans l’affaire Finanzamt B contre W AG (C-538/20) pour le cas d’un Etat membre ayant renoncé par une convention préventive de double imposition au pouvoir d’imposer les résultats des établissements stables non-résidents normalement prévu par son droit national, une société résidente de France détenant une succursale au Luxembourg doit être regardée comme ne se trouvant pas dans une situation objectivement comparable à celle d’une société de France détenant une succursale dans ce même Etat. ...Par suite, aucune restriction à la liberté d’établissement ne saurait être constatée à raison de l’impossibilité pour la société mère française d’imputer sur ses résultats les pertes réalisées par sa succursale luxembourgeoise, pas plus qu’à raison de l’impossibilité qui en résulte de bénéficier de toute prise en compte desdites pertes pour la détermination du résultat d’ensemble du groupe fiscalement intégré dont elle est membre.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - RÈGLES GÉNÉRALES - IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS ET AUTRES PERSONNES MORALES - DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE IMPOSABLE - RÈGLES FAISANT OBSTACLE À L’IMPUTATION - EN FRANCE - DES PERTES DÉFINITIVES RÉALISÉES PAR L’ÉTABLISSEMENT STABLE LUXEMBOURGEOIS D’UNE ENTREPRISE RÉSIDENTE DE FRANCE SUR LES RÉSULTATS D’UN GROUPE FISCAL INTÉGRÉ – ATTEINTE À LA LIBERTÉ D’ÉTABLISSEMENT [RJ1] – 1) DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT PAR RAPPORT À LA SITUATION OÙ LA SUCCURSALE AVAIT ÉTÉ ÉTABLIE EN FRANCE – EXISTENCE – 2) SITUATION OBJECTIVEMENT COMPARABLE À CELLE D’UNE SOCIÉTÉ DÉTENANT UN ÉTABLISSEMENT STABLE IMPLANTÉ EN FRANCE – ABSENCE.

19-04-01-04-03-01 Société mère française d’un groupe fiscalement intégré ayant sollicité l’imputation sur le résultat de l’une de ses filiales membres de ce groupe fiscal, et par voie de conséquence sur le résultat d’ensemble du groupe, des pertes définitives subies par une succursale luxembourgeoise de cette filiale....1) En vertu de l’article 4 de la convention fiscale conclue entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958, les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l’Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable, lequel s’entend d’une installation fixe d’affaires dans laquelle l’entreprise exerce tout ou partie de son activité. Il en résulte que les pertes subies par ce même établissement stable ne sont imputables que dans ce même Etat, selon les règles d’imputation qui y sont applicables. ...Tant ces stipulations que le principe de territorialité de l’impôt mentionné au I de l’article 209 du code général des impôts (CGI) faisaient donc obstacle à ce que la société mère puisse déduire de son bénéfice imposable en France les pertes d’exploitation subies par sa succursale luxembourgeoise, alors que si la succursale avait été établie en France, une telle imputation aurait toujours été possible ainsi que, le cas échéant, la prise en compte de tout ou partie de ces pertes pour la détermination du résultat d’ensemble du groupe fiscal auquel cette société appartient, dans les conditions et limites prévues par les articles 223 A et suivants du CGI....2) Une telle différence de traitement ne saurait toutefois, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), constituer une atteinte à la liberté d’établissement, pour la société privée de la possibilité de prise en compte des pertes réalisées par son établissement stable non-résident pour la détermination de son résultat imposable, si elle ne se trouve pas, à l’égard des mesures prévues par la France afin de prévenir ou d’atténuer la double imposition des bénéfices d’une société résidente et, symétriquement, la double prise en compte de ses pertes, dans une situation objectivement comparable à celle d’une société détenant un établissement stable implanté en France. A cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, notamment dans son arrêt A/S Bevola, Jens W. Trock ApS contre Skatteministeriet, qu’en principe, la situation d’un établissement stable non-résident et celle d’une succursale résidente ne sont pas comparables au regard d’un tel objectif, à moins que la législation fiscale nationale n’ait elle-même assimilé ces deux catégories d’établissement aux fins de la prise en compte des pertes et des bénéfices réalisés par eux. ...En l’espèce, la convention franco-luxembourgeoise interdisant à la France d’imposer les bénéfices réalisés par une succursale luxembourgeoise d’une société établie en France, conformément au demeurant à ce que prévoit la loi fiscale, la France n’a pas assimilé à des fins fiscales les succursales résidentes et les établissements stables établis au Luxembourg. Dans ces conditions, et ainsi qu’il découle nécessairement de ce qu’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt rendu le 22 septembre 2022 dans l’affaire Finanzamt B contre W AG (C-538/20) pour le cas d’un Etat membre ayant renoncé par une convention préventive de double imposition au pouvoir d’imposer les résultats des établissements stables non-résidents normalement prévu par son droit national, une société résidente de France détenant une succursale au Luxembourg doit être regardée comme ne se trouvant pas dans une situation objectivement comparable à celle d’une société de France détenant une succursale dans ce même Etat. ...Par suite, aucune restriction à la liberté d’établissement ne saurait être constatée à raison de l’impossibilité pour la société mère française d’imputer sur ses résultats les pertes réalisées par sa succursale luxembourgeoise, pas plus qu’à raison de l’impossibilité qui en résulte de bénéficier de toute prise en compte desdites pertes pour la détermination du résultat d’ensemble du groupe fiscalement intégré dont elle est membre.


Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2024, n° 466062
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Prévot
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:466062.20240426
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