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26/04/2024 | FRANCE | N°458966

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 26 avril 2024, 458966


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 29 novembre 2021, 18 octobre 2022, 31 janvier, 8 novembre et 11 décembre 2023 et 26 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Solinest et la coopérative Arla Foods demandent au Conseil d'Etat :



1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'économie, des finances et de la relance du 24 septembre 2021

relatif à la teneur en plastique maximale autorisée dans les gobelets en plastique à usa...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 29 novembre 2021, 18 octobre 2022, 31 janvier, 8 novembre et 11 décembre 2023 et 26 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Solinest et la coopérative Arla Foods demandent au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'économie, des finances et de la relance du 24 septembre 2021 relatif à la teneur en plastique maximale autorisée dans les gobelets en plastique à usage unique ;

2°) à titre subsidiaire, d'abroger ce même arrêté ;

3°) d'écarter des débats le mémoire en défense de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d'emballages ;

- la directive (UE) 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;

- le décret n° 2019-1451 du 24 décembre 2019 ;

- le décret n° 2020-1828 du 31 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Solinest et autre ;

Considérant ce qui suit :

1. En adoptant les dispositions du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, aux termes duquel " Il est mis fin à la mise à disposition des produits en plastique à usage unique suivants : / 1° A compter du 1er janvier 2020, pour les gobelets et verres ainsi que les assiettes jetables de cuisine pour la table (...) ", la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu la fin de la mise à disposition de divers produits en plastique à usage unique, au nombre desquels figurent notamment les gobelets en plastique à usage unique. Aux termes des mêmes dispositions, le législateur a prévu que " Les modalités d'application du présent III sont fixées par décret, notamment la teneur biosourcée minimale des gobelets, verres et assiettes et les conditions dans lesquelles cette teneur est progressivement augmentée " et a ainsi invité le pouvoir réglementaire à préciser les modalités de cette interdiction. L'arrêté litigieux définit la teneur maximale en plastique des gobelets en plastique à usage unique et les modalités de la réduction progressive de cette teneur.

Sur les conclusions tendant à ce que le premier mémoire en défense soit écarté des débats :

2. Si les sociétés requérantes mettent en cause la qualité du signataire du mémoire en défense présenté au nom du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires au motif que ce signataire aurait, ce faisant, méconnu les principes et bonnes pratiques qui découlent de la charte de déontologie établie sur le fondement de l'article L. 131-4 du code de justice administrative, la méconnaissance alléguée de règles d'ordre déontologique ne peut toutefois être utilement invoquée pour soutenir que devrait être écarté des débats un mémoire produit en défense dans le cadre de l'instruction contradictoire. La circonstance que le mémoire produit par le ministre ait été signé par un membre du Conseil d'Etat en détachement n'est pas, par elle-même, de nature à méconnaître l'égalité des armes entre les parties ni à mettre en cause l'impartialité des membres de la formation de jugement du Conseil d'Etat.

Sur la légalité externe de l'arrêté litigieux :

3. Aux termes de l'article D. 541-330 du code de l'environnement, dans sa version issue du décret du 31 décembre 2020 relatif à l'interdiction de certains produits en plastique à usage unique, pris pour l'application des dispositions citées au point 1 : " Pour l'application du III de l'article L. 541-15-10 et de la présente section, on entend par : (...) / 4° " Mise à disposition " : la fourniture ou la mise sur le marché d'un produit destiné à être distribué, consommé ou utilisé sur le territoire national dans le cadre d'une activité commerciale, à titre onéreux ou gratuit ; (...) / 7° " Gobelets et verres " : / a) Les gobelets et verres pour boissons composés en tout ou partie de polystyrène expansé, y compris leurs moyens de fermeture et couvercles ; / b) Les gobelets et verres pour boissons autres que ceux mentionnés au a et composés entièrement de plastique ou composés partiellement de plastique, avec une teneur supérieure à une teneur maximale fixée par un arrêté précisant la teneur maximale de plastique autorisée et les conditions dans lesquelles la teneur de plastique est progressivement diminuée pour tendre vers une valeur nulle ". Si les dispositions citées ci-dessus renvoient à un arrêté la fixation de la teneur maximale de plastique autorisée et les conditions dans lesquelles cette teneur est progressivement diminuée pour tendre vers une valeur nulle, elles définissent avec précision les types de gobelets concernés par l'interdiction énoncée par le législateur, et prévoient le principe selon lequel la teneur en plastique des gobelets qui en sont partiellement composés est progressivement réduite pour tendre vers une valeur nulle. Dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions réglementaires de l'article D. 541-330 seraient entachées de subdélégation illégale en tant qu'elles renvoient à un arrêté la définition des teneurs admises et du calendrier de réduction. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'arrêté serait, pour ce motif, entaché d'incompétence ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté litigieux :

En ce qui concerne la méconnaissance de la directive du 5 juin 2019 :

4. D'une part, aux termes de l'article 4 de la directive (UE) 2019/904 du 5 juin 2019 du Parlement européen et du Conseil relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement : " 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour parvenir à une réduction ambitieuse et soutenue de la consommation des produits en plastique à usage unique énumérés dans la partie A de l'annexe, conformément aux objectifs généraux de la politique de l'Union en matière de déchets, en particulier la prévention des déchets, de manière à induire une inversion significative des tendances à la hausse de la consommation. Ces mesures débouchent sur une réduction quantitative mesurable de la consommation des produits en plastique à usage unique énumérés dans la partie A de l'annexe sur le territoire des États membres d'ici à 2026, par rapport à 2022 (...). / Les mesures peuvent comprendre des objectifs nationaux de réduction de la consommation, des mesures garantissant que des produits réutilisables substituant les produits en plastique à usage unique énumérés dans la partie A de l'annexe sont mis à la disposition du consommateur final au point de vente, des instruments économiques tels que des instruments assurant que ces produits en plastique à usage unique ne sont pas fournis gratuitement au point de vente au consommateur final, ainsi que des accords tels que visés à l'article 17, paragraphe 3. Les États membres peuvent imposer des restrictions de commercialisation par dérogation à l'article 18 de la directive 94/62/CE afin d'empêcher que de tels produits deviennent des déchets sauvages afin de garantir qu'ils soient substitués par des alternatives qui soient réutilisables ou qui ne contiennent pas de plastique. Les mesures peuvent varier en fonction de l'impact environnemental desdits produits en plastique à usage unique au cours de leur cycle de vie, y compris lorsqu'ils deviennent des déchets sauvages. / Les mesures adoptées en vertu du présent paragraphe sont proportionnées et non discriminatoires. Les États membres notifient ces mesures à la Commission conformément à la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil lorsque ladite directive l'exige ". Les " gobelets pour boissons, y compris leurs moyens de fermeture et couvercles " sont visés dans la partie A de l'annexe mentionnée par l'article 4 précité. Il résulte clairement de ces dispositions que les Etats-membres doivent mettre en place des mesures permettant une réduction ambitieuse de la consommation de gobelets en plastique à usage unique et que ces mesures peuvent comprendre des restrictions de commercialisation de ces produits, afin de garantir qu'ils soient remplacés par des solutions alternatives qui soient réutilisables ou qui ne contiennent pas de plastique.

5. D'autre part, les articles 6 et 9 de la directive du 5 juin 2019 prévoient d'autres exigences particulières applicables à d'autres catégories de produits et notamment aux bouteilles, qui sont mentionnées aux parties C et F de l'annexe à la directive.

6. Enfin, il résulte des dispositions citées aux points 1 et 3 que le législateur et le pouvoir réglementaire ont prévu la fin de la mise à disposition des gobelets composés entièrement ou partiellement de plastique, avec une teneur supérieure à une teneur maximale fixée par un arrêté précisant également les conditions dans lesquelles la teneur de plastique est progressivement diminuée pour tendre vers une valeur nulle. Aux termes de l'article D. 541-331 du code de l'environnement : " L'interdiction de mise à disposition de produits en plastique à usage unique mentionnée aux 1° et 2° du III de l'article L. 541-15-10 s'applique également aux produits qui sont des emballages au sens de l'article R. 543-43 du code de l'environnement ". Enfin, l'article R. 541-332 du même code dispose que : " L'interdiction de mise à disposition de produits en plastique à usage unique mentionnée aux 1° et 2° du III de l'article L. 541-15-10 s'applique également aux produits en plastique qui présentent des performances de durabilité, de résistance, et de solidité comparables à celles de produits à usage unique. Les produits conçus, créés et mis sur le marché pour accomplir, pendant leur durée de vie, plusieurs trajets ou rotations en étant retourné à un producteur pour être remplis à nouveau ne sont pas concernés par cette interdiction ".

7. Les sociétés requérantes, qui commercialisent notamment des boissons lactées conditionnées dans des gobelets jetables, font valoir, d'une part, que leur clientèle est attachée au fait que la boisson en cause soit présentée dans un gobelet et, d'autre part, que les contenants qu'elles utilisent doivent présenter des propriétés hydrophobes, qui impliquent de préserver une proportion importante de plastique dans la composition du produit. Elles en déduisent qu'en l'état de la technique, aucune alternative n'existe aux gobelets plastiques qu'elles commercialisent et que, dès lors, l'arrêté attaqué méconnaît l'article 4 de la directive du 5 juin 2019 précitée.

8. Il résulte toutefois des pièces du dossier que pour adopter les mesures litigieuses, le législateur et le pouvoir réglementaire se sont fondés sur la possibilité d'introduire, pour les produits visés à l'annexe A de la directive, dont font partie les gobelets, des restrictions de commercialisation visant à empêcher que ces produits deviennent des déchets sauvages, et dans le but de garantir qu'ils seront remplacés par des alternatives réutilisables ou qui ne contiennent pas de plastique, conformément aux dispositions de l'article 4 de la directive. L'interdiction de mise à disposition des gobelets à usage unique composés d'une teneur en plastique supérieure à celle prévue par l'arrêté litigieux, qui s'applique indistinctement aux produits nationaux et importés, est en rapport direct avec l'objectif poursuivi par la directive, dont elle contribuera à permettre l'atteinte. Il résulte de ce qui précède que l'interdiction édictée par le législateur et le pouvoir réglementaire constitue une restriction de commercialisation proportionnée et non discriminatoire, compatible avec l'article 4 de la directive. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles que mentionnent les requérantes, que le moyen tiré de ce que le dispositif réglementaire issu de l'arrêté litigieux, des articles D. 541-330, D. 541-331 et D. 541-332 du code de l'environnement, pris pour l'application du III de l'article L. 541-15-10 du même code, méconnaît l'article 4 de la directive (UE) 2019/904 du Parlement européen et du Conseil doit être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

9. Les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisent les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres ainsi que toutes mesures d'effet équivalent. Aux termes de l'article 36 du même traité, ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit " justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que la notion de " mesure d'effet équivalent " inclut toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, et, d'autre part, qu'une réglementation nationale qui constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives est autorisée lorsqu'elle est indistinctement applicable aux produits nationaux et importés et qu'elle est nécessaire pour satisfaire à l'une des raisons d'intérêt général qu'elle retient ou à des exigences impératives, comme la protection de l'environnement. Les dispositions en cause doivent être propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint.

10. L'arrêté litigieux interdit, en application des articles L. 541-15-10 et D. 541-330 à D. 541-332 du code de l'environnement, la mise sur le marché des gobelets à usage unique dont la teneur en plastique excède la teneur maximale fixée à son article 2. En interdisant sur le marché français des produits ne satisfaisant pas aux minima fixés alors qu'ils peuvent être légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres Etats membres, les dispositions contestées instituent une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

11. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ressort des pièces du dossier que l'interdiction litigieuse vise à permettre une réduction de l'impact des gobelets contenant du plastique sur l'environnement et à encourager leur remplacement par des produits qui ne contiennent pas ou peu de plastique ou par des produits réutilisables. A cette fin, le législateur a prévu qu'il serait mis fin à la mise à disposition des gobelets en plastique à usage unique, et le pouvoir réglementaire a prévu, en ce sens, une trajectoire de réduction progressive de la teneur maximale en plastique. Cette interdiction, qui s'applique indistinctement aux produits nationaux et importés, est en rapport direct avec l'objectif poursuivi. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ressort des pièces du dossier que l'interdiction litigieuse permettra d'éviter que les produits qui y sont soumis deviennent des déchets sauvages et de contribuer à ce qu'ils soient remplacés par des produits réutilisables ou ne contenant pas de plastique. Si les requérantes font valoir qu'elles ne pourraient plus proposer les boissons lactées qu'elles commercialisent dans des contenants prenant la forme de gobelets mais devraient les remplacer par des bouteilles, une telle circonstance est, à la supposer établie, sans incidence à cet égard. Il résulte de ce qui précède que l'interdiction édictée constitue une mesure nécessaire au regard de l'exigence impérative de protection de l'environnement, proportionnée et justifiée au regard de l'objectif poursuivi. Il suit de là que le moyen tiré de l'inconventionnalité de l'arrêté litigieux et, par la voie de l'exception, de l'inconventionnalité des articles L. 541-15-10 et D. 541-330 à D. 541-332 du code de l'environnement, au regard de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doit être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité :

12. Il est soutenu par les sociétés requérantes que les dispositions de l'arrêté litigieux méconnaissent le principe d'égalité en établissant une différence de traitement injustifiée entre les entreprises selon qu'elles produisent ou utilisent des gobelets en plastique à usage unique, des bouteilles en plastique, ou des récipients pour aliments.

13. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

14. Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne que le principe d'égalité, consacré par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié.

15. Le principe d'égalité garanti par les stipulations des articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a une portée garantissant l'effectivité du respect du principe de valeur constitutionnelle dont la méconnaissance est alléguée par les requérantes.

16. Les dispositions de l'arrêté litigieux ont pour effet d'interdire la mise à disposition de gobelets en plastique à usage unique pour l'ensemble des entreprises qui produisent ou utilisent ces récipients. S'il est soutenu que ces dispositions établiraient ainsi une différence de traitement injustifiée entre entreprises produisant ou utilisant ces produits et celles produisant ou utilisant des bouteilles en plastique, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que si les premiers sont mentionnés à l'annexe A de la directive et ainsi soumis à son article 4, les secondes sont mentionnées dans les parties C et F de son annexe, et, par suite, soumises aux articles 6 et 9 de la directive. Les entreprises produisant ou utilisant des bouteilles en plastique ne peuvent ainsi être regardées comme placées dans une situation identique à celles produisant ou utilisant des gobelets en plastique à usage unique, lesquelles relèvent d'une réglementation distincte. Si les requérantes soutiennent, par ailleurs, que les dispositions litigieuses établissent une différence de traitement entre les entreprises produisant ou utilisant des gobelets en plastique à usage unique et celles produisant ou utilisant des récipients pour aliments, alors que ces derniers appartiennent également à la partie A de cette annexe, il ressort des pièces du dossier que l'incidence environnementale de ces deux produits diffère également, et notamment que les gobelets en plastique à usage unique sont présents de manière plus importante dans l'environnement en tant que déchets sauvages. Ces entreprises sont donc placées dans des situations différentes. Il suit de là qu'en l'absence de difficulté sérieuse justifiant de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, doit être écarté le moyen tiré de ce que l'instauration de règles différentes pour les entreprises produisant ou utilisant des gobelets en plastique à usage unique et celles produisant ou utilisant des bouteilles en plastique ou des récipients pour aliments méconnaît le principe d'égalité.

17. Par ailleurs, si les requérantes soutiennent que le législateur et le pouvoir réglementaire ont traité de manière égale la situation des entreprises vendant vides des gobelets en plastique à usage unique et celles vendant des gobelets pré-remplis, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 8, qu'il est possible de remplacer l'ensemble de ces gobelets par d'autres contenants qui ne sont pas soumis à l'interdiction, et qu'elles doivent donc être regardées comme placés dans une même situation. Si les requérantes soutiennent enfin que le législateur et le pouvoir réglementaire ont traité de manière égale la situation des entreprises produisant ou utilisant des gobelets en plastique à usage unique et celles produisant ou utilisant des gobelets en polystyrène expansé, alors que ces derniers relèvent de la partie B de l'annexe de la directive du 5 juin 2019 précitée, il résulte des dispositions de l'article D. 541-330 du code de l'environnement que l'interdiction des gobelets en polystyrène expansé, prévue par le a) du 7° de cet article, est distincte de celle des gobelets en plastique à usage unique et, notamment, qu'elle s'applique selon des modalités propres qui ne prévoient pas de trajectoire de réduction progressive de la teneur maximale en plastique. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le législateur et le pouvoir réglementaire auraient méconnu le principe d'égalité de traitement consacré par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en traitant de manière égale des situations différentes.

En ce qui concerne les autres moyens :

18. En premier lieu, le 7° de l'article D. 541-330 du code de l'environnement, dont l'arrêté litigieux fait application s'applique aux gobelets et verres pour boissons autres que ceux mentionnés au a) et composés entièrement de plastique ou composés partiellement de plastique, avec une teneur supérieure à une teneur maximale fixée par un arrêté. Il définit ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, avec suffisamment de précision le champ d'application de la mesure d'interdiction édictée. Par ailleurs, la notion de " gobelet " ne revêt pas une complexité telle qu'elle devait, à peine de méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme, être précisée par le pouvoir réglementaire. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de cet objectif peut être écarté.

19. En deuxième lieu, si les requérantes soutiennent que l'arrêté litigieux porte atteinte au principe de sécurité juridique, il résulte de ses dispositions que le pouvoir réglementaire a prévu un délai d'écoulement des stocks de six mois à compter de chacune des échéances prévues, permettant aux professionnels de mettre à disposition des gobelets à usage unique dont la teneur en plastique excède 15 % jusqu'au 1er juillet 2022 alors que l'arrêté a été publié au Journal officiel du 15 octobre 2021. En outre, le principe de l'interdiction des gobelets en plastique à usage unique avait été introduit dès le décret du 24 décembre 2019 relatif à l'interdiction de certains produits en plastique à usage unique, qui prévoyait une entrée en vigueur de l'interdiction de ces produits au 3 juillet 2021. Enfin, au demeurant, le projet d'arrêté a fait l'objet d'une concertation préalable avec les représentants des organisations professionnelles intéressées dès février 2021, d'une consultation du public en mai et juin 2021. Il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'arrêté attaqué porte atteinte au principe de sécurité juridique, faute de prévoir un délai suffisant pour permettre aux professionnels d'anticiper ses effets et de s'y conformer.

20. En troisième lieu, il résulte des dispositions citées au point 1 que le législateur a renvoyé au pouvoir réglementaire la définition des modalités d'application de l'interdiction de divers produits en plastique à usage unique et ces interdictions. En prévoyant, à l'article D. 541-331 du code de l'environnement, que cette interdiction s'applique également aux produits qui sont des emballages au sens de l'article R. 543-43 du code de l'environnement, le pouvoir réglementaire s'est borné à préciser les modalités d'application de la loi. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'arrêté litigieux est privé de base légale.

21. En dernier lieu, si les sociétés requérantes soutiennent que l'arrêté litigieux méconnaît l'article D. 541-330 du code de l'environnement et est, à tout le moins, entaché d'erreur manifeste d'appréciation, au motif que la trajectoire de réduction de la teneur maximale de plastique admise dans les gobelets à usage unique n'est pas progressive, contrairement à ce que prévoit le décret, il résulte au contraire des dispositions de l'arrêté que cette teneur est établie à 15 % au 1er janvier 2022, à 8 % au 1er janvier 2024, et, sous réserve des conclusions d'un bilan d'étape, à une valeur quasi nulle à compter du 1er janvier 2026. La circonstance que le point de départ de cette trajectoire de réduction soit fixé à une teneur maximale de plastique de 15 % ne remet pas en cause cette progressivité, alors au demeurant que le législateur a prévu le principe d'une interdiction générale des gobelets en plastique à usage unique. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaît l'article D. 541-330 dont il porte application, ni qu'il serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que les conclusions principales de la société Solinest et de la coopérative Arla Foods doivent être rejetées. Il en va de même de leurs conclusions subsidiaires faute de précisions sur les circonstances de fait et de droit intervenues depuis l'adoption de l'arrêté du 24 septembre 2021 et qui seraient susceptibles d'en affecter la légalité, ainsi que de leurs conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Solinest et de la coopérative Arla Foods est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Solinest, à la coopérative Arla Foods, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 mars 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 26 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 458966
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2024, n° 458966
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Frédéric Puigserver
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:458966.20240426
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