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03/04/2024 | FRANCE | N°468768

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 03 avril 2024, 468768


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521 1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 25 juillet 2022 du jury de fin d'études du programme " Grande école - Master in management " de l'établissement Neoma Business School en ce qu'elle ne l'autorise pas à redoubler, ainsi que de la décision du 4 août 2022 par laquelle la direction de cet établissement a rejeté son recours gracieux tenda

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Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521 1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 25 juillet 2022 du jury de fin d'études du programme " Grande école - Master in management " de l'établissement Neoma Business School en ce qu'elle ne l'autorise pas à redoubler, ainsi que de la décision du 4 août 2022 par laquelle la direction de cet établissement a rejeté son recours gracieux tendant à ce qu'il soit autorisé à redoubler, et d'enjoindre à l'établissement Neoma Business School de réunir à nouveau le jury de fin d'études ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation. Par une ordonnance n° 2203977 du 24 octobre 2022, la juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 23 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement Neoma Business School la somme de 6 160 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan Sarano et Goulet, avocat de M. B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 février 2024, présentée par M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés du tribunal administratif de Rouen que M. A... B... a été admis au titre de la rentrée universitaire 2020-2021 au sein du programme " Grande école - Master in management " de l'établissement Neoma Business School. L'intéressé n'a cependant validé que dix crédits du système européen d'unités d'enseignement capitalisables et transférables (" crédits-ECTS ") au cours de l'année universitaire 2020-2021 et vingt-six au cours de l'année universitaire 2021-2022, soit un total de trente-six crédits-ECTS sur les cent-vingt nécessaires à l'obtention du diplôme. Par une décision du 25 juillet 2022, le jury de fin d'études a déclaré M. B... définitivement non diplômé du programme. Par une décision du 4 août 2022, en réponse au recours qu'il avait formé contre cette décision, la direction de l'établissement l'a informé qu'au regard du nombre de crédits-ECTS manquants pour valider son master à l'issue des deux années de scolarité, soit quatre-vingt-quatre crédits manquants sur les cent-vingt nécessaires à cette validation, il n'était pas possible de l'autoriser à redoubler. M. B... doit être regardé comme ayant demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de ces décisions en tant qu'elles lui dénient la possibilité de redoubler et d'enjoindre à l'établissement Neoma Business School de réunir à nouveau le jury de fin d'études ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation. Par une ordonnance du 24 octobre 2022, contre laquelle M. B... se pourvoit en cassation, la juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 443-1 du code de l'éducation : " Les écoles, ainsi que les filiales de ces écoles qui exercent des activités d'enseignement en vue de la délivrance de diplômes reconnus par l'Etat, créées et administrées par les chambres de commerce et d'industrie territoriales en vertu de l'article L. 711-4 du code de commerce ou par les chambres de commerce et d'industrie de région en vertu de l'article L. 711-9 du même code, sont soumises au régime des établissements mentionnés à l'article L. 443-2 du présent code [les établissements d'enseignement technique privés] ". Aux termes de l'article L. 641-5 du code de l'éducation : " Des certificats d'études et des diplômes peuvent être délivrés, dans les conditions déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil supérieur de l'éducation, par les écoles techniques privées reconnues par l'Etat. " A ce titre, l'arrêté du 8 mars 2001 relatif aux diplômes délivrés par les établissements d'enseignement supérieur technique privés et consulaires reconnus par l'Etat prévoit à son article 1er que ces établissements peuvent être autorisés à délivrer à leurs étudiants des diplômes revêtus du visa de l'Etat, que cette autorisation est accordée, après évaluation des formations, par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur pour une durée maximale de six ans, renouvelable, après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, que le ministre chargé de l'enseignement supérieur arrête les conditions d'admission dans ces établissements et publie annuellement le nombre de places mises aux concours. Son article 5 prévoit en outre que " Le recteur de région académique, chancelier des universités, nomme les jurys d'admission et de fin d'études, après consultation des établissements intéressés. / Il désigne le président du jury, appartenant à un corps d'enseignants-chercheurs, ainsi que le vice-président, qui le supplée en cas d'empêchement. Nul ne peut exercer la fonction de président du jury plus de cinq années consécutives au sein d'un même jury. / Le recteur de région académique ou son représentant participe au jury lors des délibérations avec voix consultative. " Les articles 6 et 7 du même arrêté disposent respectivement qu'" à la clôture des opérations, le président du jury adresse au recteur de région académique, chancelier des universités, le procès-verbal signé par les membres du jury et la liste des étudiants proposés à l'admission et à l'obtention du diplôme " et que " Les diplômes sont signés par le président du jury et le directeur de l'école ainsi que par le recteur de région académique qui y appose le visa de l'Etat. "

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'éducation : " L'Etat a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires. / Les diplômes nationaux délivrés par les établissements sont ceux qui confèrent l'un des grades ou titres universitaires dont la liste est établie par décret. (...) ". Aux termes de l'article D. 612-34 du code de l'éducation : " (...) En outre, le grade de master est également conféré de plein droit aux titulaires des diplômes délivrés au nom de l'Etat, de niveau analogue, figurant sur une liste établie après une évaluation nationale périodique de ces diplômes, par arrêté du ministre chargée de l'enseignement supérieur après avis conforme du ou des ministères dont relèvent les établissements concernés et après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche ".

5. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés du tribunal administratif de Rouen que l'établissement Neoma Business School, constitué sous forme de société anonyme, est un établissement d'enseignement supérieur privé, relevant du statut des écoles techniques privées mentionnées à l'article L. 443-2 du code de l'éducation. Le diplôme afférent au programme " Grande école - Master in management ", dispensé par cet établissement du 1er septembre 2018 au 31 août 2023, peut, en application de l'arrêté du 25 juin 2021 établissant la liste des établissements d'enseignement supérieur technique privés et consulaires autorisés à délivrer un diplôme visé par le ministre chargé de l'enseignement supérieur et pouvant conférer le grade de licence ou de master à leurs titulaires, être revêtu du visa de l'Etat dans les conditions définies par l'arrêté du 8 mars 2001 relatif aux diplômes délivrés par les établissements d'enseignement supérieur technique privés et consulaires reconnus par l'Etat et confère le grade de master. Un tel diplôme étant ainsi délivré au nom de l'Etat, les litiges relatifs à sa délivrance ressortissent à la compétence du juge administratif.

6. Tel n'est pas le cas, en revanche des contentieux relatifs aux décisions, distinctes, refusant d'autoriser un étudiant à redoubler une année du programme " Grande école - Master in management " de l'établissement Neoma Business School, qu'elles soient prises par le jury de fin d'études en application du règlement de certification de ce programme qui prévoit, au point 1.3 de son titre 5, que " Le jury de diplôme et de certification examine la liste qui lui est soumise par le jury de passage. / Au vu des résultats, il prend l'une des décisions suivantes : / - l'attribution du diplôme pour les étudiants qui réunissent toutes les conditions requises ; / - l'attribution du diplôme avec indulgence ; / - l'attribution du diplôme sous réserve de la réalisation des obligations non-satisfaites ou à l'obtention des crédits manquants ; / - le redoublement total ou partiel de l'année de M2 en vue de la réalisation des obligations non-satisfaites ou à l'obtention des crédits manquants ; / - la non-délivrance du diplôme avec fin de cursus. / (...) ", ou par la direction de l'établissement.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que les contestations de M. B..., dirigées contre les décisions qui lui refusent la possibilité de redoubler, ne ressortissent pas à la compétence de la juridiction administrative. Ainsi, les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de ces décisions, dès lors qu'elles étaient portées devant un ordre de juridiction manifestement incompétent pour en connaître, ne pouvaient qu'être rejetées. Ce motif, d'ordre public et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l'ordonnance attaquée, dont il justifie, sur ce point, le dispositif.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Rouen qu'il attaque.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'établissement Neoma Business School, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à l'établissement Neoma Business School.

Copie en sera adressée à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 février 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, Mme Célia Verot, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat, Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 3 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Fradel

Le secrétaire :

Signé : M. Christophe Bouba


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 468768
Date de la décision : 03/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - ECOLES TECHNIQUES PRIVÉES (ART - L - 443-2 DU CODE DE L’ÉDUCATION) – 1) LITIGE RELATIF À LA DÉLIVRANCE D’UN DIPLÔME CONFÉRANT UN GRADE UNIVERSITAIRE - DÉLIVRÉ AU NOM DE L’ETAT – COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF [RJ1] – 2) LITIGE RELATIF AU REFUS D’AUTORISER UN ÉTUDIANT À REDOUBLER – COMPÉTENCE DU JUGE JUDICIAIRE.

17-03-02 1) Un diplôme délivré par un établissement d’enseignement supérieur privé relevant du statut des écoles techniques privées mentionnées à l’article L. 443-2 du code de l’éducation et conférant un grade universitaire étant délivré au nom de l’Etat, les litiges relatifs à sa délivrance ressortissent de la compétence du juge administratif....2) Tel n’est pas le cas, en revanche des contentieux relatifs aux décisions, distinctes, refusant d’autoriser un étudiant à redoubler une année du programme de cet établissement conduisant à la délivrance de ce diplôme, qu’elles soient prises par le jury de fin d’étude, en application du règlement de certification de ce programme, ou par la direction de l’établissement.

ENSEIGNEMENT ET RECHERCHE - QUESTIONS PROPRES AUX DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ENSEIGNEMENT - ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET GRANDES ÉCOLES - ECOLES TECHNIQUES PRIVÉES (ART - L - 443-2 DU CODE DE L’ÉDUCATION) – 1) LITIGE RELATIF À LA DÉLIVRANCE D’UN DIPLÔME CONFÉRANT UN GRADE UNIVERSITAIRE - DÉLIVRÉ AU NOM DE L’ETAT – COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF [RJ1] – 2) LITIGE RELATIF AU REFUS D’AUTORISER UN ÉTUDIANT À REDOUBLER – COMPÉTENCE DU JUGE JUDICIAIRE.

30-02-05 1) Un diplôme délivré par un établissement d’enseignement supérieur privé relevant du statut des écoles techniques privées mentionnées à l’article L. 443-2 du code de l’éducation et conférant un grade universitaire étant délivré au nom de l’Etat, les litiges relatifs à sa délivrance ressortissent de la compétence du juge administratif....2) Tel n’est pas le cas, en revanche des contentieux relatifs aux décisions, distinctes, refusant d’autoriser un étudiant à redoubler une année du programme de cet établissement conduisant à la délivrance de ce diplôme, qu’elles soient prises par le jury de fin d’étude, en application du règlement de certification de ce programme, ou par la direction de l’établissement.


Publications
Proposition de citation : CE, 03 avr. 2024, n° 468768
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Fradel
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:468768.20240403
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