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29/03/2024 | FRANCE | N°478054

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 29 mars 2024, 478054


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 7 août et 7 novembre 2023 et le 9 février 2024, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 57 500 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la durée excessive de la procédure de jugement de son affaire devant la juridiction administrative ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de

3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.







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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 7 août et 7 novembre 2023 et le 9 février 2024, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 57 500 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la durée excessive de la procédure de jugement de son affaire devant la juridiction administrative ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que M. B... a saisi le tribunal administratif de Lyon le 15 avril 2013 d'une demande tendant à la condamnation du service départemental et métropolitain d'incendie et de secours (SDMIS) du Rhône à lui verser des indemnités pour des heures supplémentaires effectuées en 2010 et 2011 ainsi qu'au titre des préjudices personnels et des troubles dans ses conditions d'existence subis. Par un jugement du 6 décembre 2016, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a partiellement fait droit à sa demande. Après avoir relevé appel de ce jugement, M. B... s'est pourvu en cassation le 6 mai 2019 contre l'arrêt du 5 mars 2019 de la cour administrative d'appel de Lyon ayant annulé ce jugement et condamné l'établissement à lui verser une somme correspondant à la rémunération de 203 heures supplémentaires effectuées en 2010 et de 149 heures supplémentaires effectuées en 2011. Par une ordonnance du 8 décembre 2021, le conseiller d'Etat désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour en tant qu'il se prononce sur les conclusions de M. B... relatives à l'indemnisation de ses préjudices personnels et troubles dans les conditions d'existence et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon, dans cette mesure. Par un arrêt du 8 juin 2022, la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur renvoi, a condamné le SDMIS du Rhône à verser à M. B... une somme de 1 300 euros au titre des troubles subis dans ses conditions d'existence. Par une réclamation préalable reçue le 31 mars 2023, M. B... a sollicité auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, le versement d'une somme de 55 700 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'un délai excessif de jugement devant la juridiction administrative. Par un courrier du 7 juin 2023, le ministre de la justice lui a indiqué que son préjudice peut, dans les circonstances de l'espèce, être évalué à 3 000 euros. M. B... a saisi le Conseil d'Etat d'une demande tendant à ce que la somme de 57 500 euros lui soit allouée en réparation des préjudices causés par le délai excessif de jugement de son affaire.

2. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale de jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive.

3. Il résulte de l'instruction que le titre II d'une délibération adoptée le 26 juin 2009 par le conseil d'administration du service départemental d'incendie du Rhône, devenu le SDMIS du Rhône, relatif au régime de travail des sapeurs-pompiers logés en casernement a été annulé par un jugement du 29 février 2012 du tribunal administratif de Lyon. Par un arrêt du 8 janvier 2013, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Lyon a confirmé l'annulation prononcée. Suite au jugement du 29 février 2012, M. B..., bénéficiaire d'une concession de logement par nécessité de service, a demandé, le 5 octobre 2012, au président du conseil d'administration du SDMIS de procéder au paiement de 1 618 heures supplémentaires et de l'indemniser des troubles subis dans ses conditions d'existence. L'absence de réponse de la part du président du conseil d'administration ayant fait naître une décision implicite de rejet, M. B... a saisi le 15 avril 2013 le tribunal administratif de Lyon. Par un jugement du 6 décembre 2016, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif en application des dispositions de l'article R. 222-13 du code de justice administrative a condamné le SDMIS à verser à M. B... la somme de 6 500 euros. Le délai de jugement de cette demande est ainsi de quatre ans et deux mois. Sur requête d'appel de M. B..., enregistrée le 5 avril 2017, la cour administrative d'appel de Lyon, par un arrêt du 5 mars 2019, a annulé pour irrégularité le jugement, condamné le SDMIS à verser au requérant une somme correspondant à la rémunération de 203 heures supplémentaires effectuées en 2010 et de 149 heures supplémentaires effectuées en 2011, le renvoyant devant ce service pour le calcul de la somme due et a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence. La cour administrative d'appel a ainsi statué dans le délai d'un an et onze mois. Par un pourvoi enregistré le 6 mai 2019, M. B... s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Par une ordonnance du 8 décembre 2021, le conseiller d'Etat désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a annulé partiellement l'arrêt en tant qu'il se prononce sur les conclusions relatives à l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence. La procédure devant le Conseil d'Etat a duré deux ans, sept mois et deux jours. L'affaire a été renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon, laquelle a par un arrêt du 8 juin 2022, condamné le SDMIS à verser à M. B... une somme supplémentaire au titre des troubles subis dans ses conditions d'existence. Cette procédure devant la Cour a ainsi duré spte mois.

4. De première part, il ressort de ce qui est dit au point 3 qu'il ne résulte pas de l'instruction que la durée de jugement de la demande de M. B..., prise globalement, ait excédé, en l'espèce, la durée raisonnable de jugement alors que l'affaire posait des questions d'une complexité certaine touchant au temps de travail et au paiement d'heures supplémentaires au regard en particulier du droit de l'Union européenne et que de nombreuses instances se sont succédées. De deuxième part, il résulte de ce qui est dit au même point que le délai de jugement de la demande de M. B... portée devant le tribunal administratif de Lyon est excessif même si l'on prend en compte la complexité de l'affaire. De troisième part, la durée de jugement de la requête de l'intéressé devant la cour administrative d'appel de Lyon n'est pas excessive. De quatrième part, s'il résulte de ce qui est dit au point 4, que la durée de la procédure devant le Conseil d'Etat est de deux ans et sept mois et deux jours, il résulte de l'instruction que, eu égard au nombre d'affaires dont les juridictions du fond étaient saisies relatives aux litiges à caractère pécuniaire opposant les SDIS à leurs agents, comme celle opposant M. B... au SDMIS du Rhône, et alors que le Conseil d'Etat avait été saisi d'une série de quatre-vingt-quatorze affaires, le Conseil d'Etat a rendu, en chambres réunies, le 13 novembre 2020 la décision n° 430378 par laquelle ont été tranchées les principales questions posées dans ces dossiers. Dans l'instance intéressant M. B..., le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a désigné un conseiller d'Etat qui, en application de l'article R. 122-12 du code de justice administrative, a statué sur le pourvoi formé par l'intéressé. L'ordonnance du 8 décembre 2021 rendue dans cette instance rappelle ainsi que cette disposition trouve à s'appliquer lorsqu'il s'agit de statuer sur les requêtes relevant d'une série qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit des questions identiques à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux. Cette même ordonnance indique, par ailleurs, que le pourvoi de M. B... fait partie de la même série et présente à juger les mêmes questions que celles sur lesquelles le Conseil d'Etat s'est prononcé en particulier par la décision précitée du 13 novembre 2020. Par suite, et alors qu'il convient de prendre en compte l'intérêt d'une bonne administration de la justice justifiant qu'il n'ait été statué sur le pourvoi de M. B... enregistré le 6 mai 2019 qu'après qu'il avait été statué sur le pourvoi enregistré à la même date et ayant donné lieu à la décision du 13 novembre 2020, la durée de la procédure au cours de laquelle a été examiné le pourvoi du requérant n'excède pas la durée raisonnable de jugement.

5. Eu égard à tout ce qui précède, M. B... est fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement de sa demande portée devant le tribunal administratif de Lyon a été méconnu.

6. Enfin, il résulte de l'instruction que M. B... a subi, du fait de la méconnaissance de son droit à un délai raisonnable de jugement, un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès. Il en sera fait une juste appréciation en lui allouant une indemnité de 2 000 euros.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. A... B... la somme de 2 000 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée pour information à la présidente de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 478054
Date de la décision : 29/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 29 mar. 2024, n° 478054
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Thalia Breton
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:478054.20240329
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