Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée Monniot a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer, d'une part, la réduction des impositions primitives à la taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 à 2020 ainsi qu'à la cotisation foncière des entreprises au titre des années 2014 à 2020, d'autre part, la décharge des cotisations supplémentaires à ces mêmes impositions auxquelles elle a été assujettie au titre, respectivement, des années 2016 et 2017 et 2014 à 2017, à raison d'un établissement industriel situé à Brienne-le-Château (Aube).
Par un jugement nos 2000951, 2001132, 2101104 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements intervenus en cours d'instance, a réduit les bases de la taxe foncière sur les propriétés bâties à hauteur de 1 363 996,53 euros pour les années 2016 à 2020 ainsi que celles de la cotisation foncière des entreprises à hauteur de 1 361 409,03 euros pour les années 2014 à 2016 et de 1 363 996,53 euros pour les années 2017 à 2020, a déchargé la société Monniot des impositions correspondantes, et a rejeté le surplus de ses demandes.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juillet 2022 et 12 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2, 4 et 5 de ce jugement ;
2°) de rejeter le pourvoi incident de la société Monniot.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Monniot ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société Monniot, qui a une activité de scierie spécialisée dans le bois de chêne, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé que la valeur locative de son établissement situé à Brienne-le-Château (Aube), acquis le 11 juillet 2013, devait être déterminée intégralement en application de l'article 1499 du code général des impôts. La société Monniot a en conséquence été assujettie à des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2016 et 2017 ainsi que de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2014 à 2017. Elle en a sollicité la décharge devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, ainsi que la réduction des cotisations primitives de ces mêmes impôts auxquelles elle a été assujettie au titre ces mêmes années ainsi que des années 2018, 2019 et 2020. Par un jugement du 28 avril 2022, ce tribunal, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de dégrèvements intervenus en cours d'instance, a, d'une part, réduit partiellement les bases d'imposition et en conséquence accordé à la société la décharge des droits correspondant à cette réduction, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre les articles 2, 4 et 5 de ce jugement faisant partiellement droit aux demandes de la société Monniot en tant qu'elles concernent la taxe foncière sur les propriétés bâties. La société Monniot demande, par la voie du pourvoi incident, l'annulation de l'article 6 de ce même jugement rejetant le surplus de ses conclusions.
Sur la compétence du Conseil d'Etat pour connaître des conclusions relatives à la taxe foncière sur les propriétés bâties dues au titre des années 2016 à 2018 :
2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " (...) le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : / (...) / 4° Sur les litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l'audiovisuel public, à l'exception des litiges relatifs à la contribution économique territoriale ; / (...) / Par dérogation aux dispositions qui précèdent, en cas de connexité avec un litige susceptible d'appel, les décisions portant sur les actions mentionnées au 8° peuvent elles-mêmes faire l'objet d'un appel. Il en va de même pour les décisions statuant sur les recours en matière de taxe foncière lorsqu'elles statuent également sur des conclusions relatives à cotisation foncière des entreprises, à la demande du même contribuable, et que les deux impositions reposent, en tout ou partie, sur la valeur des mêmes biens appréciée la même année ".
3. Il résulte des dispositions de l'article R. 811-1 du code de justice administrative que les litiges concernant la contribution économique territoriale sont susceptibles d'un appel devant la cour administrative d'appel. Il en va de même des litiges concernant la cotisation foncière des entreprises, qui est une partie de la contribution économique territoriale. Il résulte encore de ces dispositions que si le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges concernant la taxe foncière, les jugements relatifs à cette taxe peuvent toutefois faire l'objet d'un appel devant la cour administrative d'appel lorsque le premier juge a statué par un seul jugement, d'une part, sur des conclusions relatives à la taxe foncière, d'autre part, sur des conclusions relatives à la cotisation foncière des entreprises à la demande du même contribuable, et que ces impositions reposent, en tout ou partie, sur la valeur des mêmes biens appréciée la même année.
4. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, par son jugement du 28 avril 2022, statué sur les conclusions de la société Monniot relatives, d'une part, à la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les années 2016 à 2020 pour son établissement situé à Brienne-le-Château et, d'autre part, à la cotisation foncière des entreprises, pour les années 2014 à 2020 et pour le même établissement. Les cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la société Monniot a été assujettie au titre des années 2016, 2017 et 2018 reposent, en application de l'article 1415 du code général des impôts, sur la valeur locative des biens en cause appréciée au cours de ces mêmes années, qui sont également, en application des articles 1467 et 1467 A du même code, celles retenues pour apprécier la valeur locative des mêmes biens sur laquelle reposent les cotisations supplémentaires de cotisation foncière des entreprises mises à la charge de la société Monniot au titre des années 2018, 2019 et 2020. Par suite, en tant qu'elle porte sur les cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la société Monniot a été assujettie au titre des années 2016 à 2018, la présente requête a le caractère d'un appel qui ne ressortit pas à la compétence du Conseil d'Etat, juge de cassation, mais à celle de la cour administrative d'appel de Nancy. Dans la même mesure et pour les mêmes motifs, les conclusions de la société Monniot tendant à l'annulation de l'article 6 du jugement ont le caractère d'un appel incident ressortissant de la compétence de la même cour. Il y a donc lieu, dans cette mesure, d'attribuer le jugement de ces conclusions à cette cour.
Sur le pourvoi du ministre, en tant qu'il concerne la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2019 et 2020 :
5. Aux termes de l'article 1499 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " La valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée en appliquant au prix de revient de leurs différents éléments, revalorisé à l'aide des coefficients qui avaient été prévus pour la révision des bilans, des taux d'intérêt fixés par décret en Conseil d'Etat. (...) / Un décret en Conseil d'Etat fixe les taux d'abattement applicables à la valeur locative des constructions et installations afin de tenir compte de la date de leur entrée dans l'actif de l'entreprise. (...) ".
6. Après avoir estimé, dans les motifs du jugement attaqué, que certaines immobilisations industrielles, correspondant à un prix de revient total de 1 363 996,53 euros, devaient être exclues de la base d'imposition de la taxe foncière sur les propriétés bâties due par la société Monniot au titre des années 2019 et 2020, le tribunal en a déduit que celle-ci était fondée à demander la réduction de ses bases imposables à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de ces années à hauteur de ce montant et prononcé, à l'article 2 de son dispositif, une telle réduction. En statuant ainsi, alors que la réduction de la base d'imposition de la taxe foncière sur les propriétés bâties résultant de l'exclusion de ces immobilisations était égale, non à ce montant, mais à la valeur locative des immobilisations en cause, calculée après application des coefficients de revalorisation, des taux d'intérêt et des abattements mentionnés à l'article 1499 du code général des impôts, il a entaché son jugement d'une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l'annulation des articles 2, 4 et 5 du jugement qu'il attaque.
Sur le pourvoi incident de la société Monniot :
En ce qui concerne la cotisation foncière des entreprises :
8. Le pourvoi du ministre n'est dirigé contre le jugement attaqué qu'en tant que celui-ci statue sur les conclusions de la société Monniot relatives à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Les conclusions du pourvoi incident formé par cette société sont dirigées contre ce même jugement en tant qu'il statue également sur les impositions auxquelles elle a été assujettie en matière de cotisation foncière des entreprises. Dans cette mesure, ces conclusions sont relatives à des impôts différents de ceux qui ont fait l'objet du pourvoi du ministre, et dès lors qu'elles ont été présentées dans des mémoires enregistrés les 9 mars 2023 et 12 janvier 2024, soit après l'expiration du délai dont disposait la société pour former un appel principal contre le jugement, dont elle a reçu notification le 24 mai 2022, elles sont entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance. Par suite, il y a lieu, en application des dispositions de l'article R. 351-4 du code de justice administrative et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur attribution, de rejeter les conclusions de la société Monniot en tant qu'elles portent sur la cotisation foncière des entreprises.
En ce qui concerne la taxe foncière sur les propriétés bâties :
9. Aux termes de l'article 1380 du code général des impôts : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties sises en France à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code ". Aux termes de l'article 1381 du même code : " Sont également soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties : / (...) / 2° Les ouvrages d'art et les voies de communication (...) ". Aux termes de l'article 1382 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : / (...) / 11° Les outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à l'exclusion de ceux visés aux 1° et 2° l'article 1381".
10. C'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation que le tribunal administratif a relevé que le parc à grumes de l'établissement de Brienne-le-Château était constitué de deux rails de soixante mètres de long, soudés à des plots en béton, sur lesquels circulait une grue destinée au chargement et au déchargement des grumes, et c'est sans erreur de qualification juridique des faits de l'espèce qu'il a jugé que les rails de ce parc à grumes devaient être regardés comme une voie de communication, au sens du 2° de l'article 1381 du code général des impôts, cité au point 9, entrant dans le champ de la taxe foncière sur les propriétés bâties. La société requérante n'est, par suite, pas fondée à en demander l'annulation sur ce point.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement des conclusions du pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que du pourvoi incident de la société Monniot qui sont dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il s'est prononcé sur les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la société a été assujettie au titre des années 2016 à 2018 est attribué à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 2 : Les articles 2 et 4 du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 28 avril 2022 en tant qu'ils portent sur les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la société Monniot a été assujettie au titre des années 2019 et 2020, ainsi que son article 5 sont annulés.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société Monniot est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société par actions simplifiée Monniot.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 mars 2024 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.
Rendu le 29 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
Le rapporteur :
Signé : M. Paul Levasseur
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova