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27/03/2024 | FRANCE | N°469421

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 27 mars 2024, 469421


Vu la procédure suivante :



Le conseil départemental du Cher de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Centre-Val de Loire de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Mme C... D... a également porté plainte contre M. B... devant cette même instance disciplinaire. Le conseil départemental du Cher de l'ordre des chirurgiens-dentistes s'est associé à cette dernière plainte. Par une décision du 2 mai 2018, la chambre disciplinaire de première instance a joint l'ensem

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Vu la procédure suivante :

Le conseil départemental du Cher de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Centre-Val de Loire de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Mme C... D... a également porté plainte contre M. B... devant cette même instance disciplinaire. Le conseil départemental du Cher de l'ordre des chirurgiens-dentistes s'est associé à cette dernière plainte. Par une décision du 2 mai 2018, la chambre disciplinaire de première instance a joint l'ensemble des plaintes, donné acte à Mme D... du désistement de sa plainte et infligé à M. B... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant un an.

Par une décision du 4 juillet 2019, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté l'appel formé par M. B... contre cette décision.

Par une décision n° 434266 du 2 décembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de M. B..., a annulé la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes et renvoyé l'affaire à cette juridiction.

Par une décision du 6 octobre 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a rejeté la requête de M. B... et dit que la sanction serait exécutée du 1er janvier au 31 décembre 2023.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 décembre 2022 et le 10 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du conseil départemental du Cher de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, d'une part, le 14 novembre 2016, le conseil départemental du Cher de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. B..., chirurgien-dentiste, devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Centre-Val de Loire de l'ordre des chirurgiens-dentistes et, d'autre part, le 18 janvier 2017, Mme D... a porté plainte contre M. B... auprès du conseil départemental du Cher de l'ordre des chirurgiens-dentistes, lequel a transmis, en s'y associant, cette plainte à la même juridiction. La chambre disciplinaire de première instance de la région Centre-Val de Loire de l'ordre des chirurgiens-dentistes, après avoir joint ces deux plaintes, a, par une décision du 2 mai 2018, donné acte à Mme D... de son désistement et infligé à M. B... la sanction de l'interdiction d'exercer sa profession durant une année. Par une décision du 4 juillet 2019, la chambre disciplinaire nationale a rejeté l'appel formé par M. B... contre la décision du 2 mai 2018. Par une décision du 2 décembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cette décision du 4 juillet 2019 au motif que la juridiction ordinale d'appel avait méconnu son office et s'était méprise sur la portée de la décision de la chambre disciplinaire de première instance de la région Centre-Val de Loire de l'ordre des chirurgiens-dentistes et lui a renvoyé l'affaire. Par une décision du 6 octobre 2022, contre laquelle M. B... se pourvoit en cassation, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a rejeté la requête de M. B... et dit que la sanction de l'interdiction d'exercer sa profession durant une année serait exécutée du 1er janvier au 31 décembre 2023.

2. Aux termes de l'article L. 1142-2 du code de la santé publique : " Les professionnels de santé exerçant à titre libéral (...) sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d'être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d'atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l'ensemble de cette activité. / (...) En cas de manquement à l'obligation d'assurance prévue au présent article, l'instance disciplinaire compétente peut prononcer des sanctions disciplinaires ".

3. La chambre disciplinaire nationale a jugé que M. B... avait méconnu l'obligation qui s'imposait à lui en application des dispositions de l'article L. 1142-2 du code de la santé publique citées au point précédent de souscrire une assurance destinée à garantir sa responsabilité civile dans le cadre de l'exercice de son activité libérale. En se fondant, pour retenir un tel manquement, sur la seule circonstance que, dans le cas de Mme D..., l'assurance souscrite par M. B... avait refusé la prise en charge en opposant un motif d'exclusion fondé sur les conditions particulières du contrat d'assurance, et en ne recherchant pas, en particulier, si un tel refus suffisait à établir que le contrat d'assurance du praticien ne le garantissait pas pour sa responsabilité civile en raison des dommages subis par les patients, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit et méconnu son office.

4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 6 octobre 2022, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.

5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire. " Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi, il y a lieu de régler l'affaire au fond.

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) " et aux termes de l'article R. 4127-233 du même code : " Le chirurgien-dentiste qui a accepté de donner des soins à un patient s'oblige : / 1° A lui assurer des soins éclairés et conformes aux données acquises de la science, soit personnellement, soit lorsque sa conscience le lui commande en faisant appel à un autre chirurgien-dentiste ou à un médecin ; (...) ".

7. Il résulte de l'instruction, notamment des dossiers de quatre patients versés à la procédure ainsi que du rapport d'expertise produit dans le cas de Mme D..., que M. B... a prodigué de manière répétée des soins non conformes aux données acquises de la science ayant entraîné des descellements très fréquents des prothèses, couronnes et inlays-cores qu'il avait posés, et la survenance de nombreuses infections. M. B... ne conteste pas l'absence de pérennité des prothèses implantées à ses patients, dont il n'est pas établi, en tout état de cause, qu'elle serait liée à un défaut de conception imputable au laboratoire prothétique avec lequel il travaillait depuis 2013. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des articles L. 1110-5 et R. 4127-233 du code de la santé publique doit être regardé comme établi.

8. En revanche, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction, en l'absence notamment de tout élément de comparaison avec les tarifs pratiqués habituellement pour la réalisation de tels soins, que le montant des soins prodigués entre 2012 et 2017 par M. B... à ses patients dans chacun des dossiers versés à la procédure aurait été fixé sans tact ni mesure. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article R. 4127-240 du code de la santé publique ne peut être retenu.

9. D'autre part, la seule circonstance que, dans le cas de Mme D..., l'assurance souscrite par M. B... aurait refusé la prise en charge des soins devant être réalisés pour remédier aux traitements défectueux prodigués en opposant un motif d'exclusion tiré des conditions particulières du contrat dans le cas des fautes intentionnelles, alors qu'il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que, dans le cas des autres patients dont les dossiers ont été versés à la procédure, cette prise en charge aurait été refusée, ne permet pas d'établir que le praticien a manqué à son obligation de souscrire une assurance destinée à garantir sa responsabilité civile professionnelle dans le cadre de l'exercice de son activité libérale. Dans ces conditions, le grief tiré de ce que M. B... aurait méconnu l'obligation prévue à l'article L. 1142-2 du code de la santé publique ne peut être retenu.

10. Il résulte de tout ce qui précède que seuls les manquements aux dispositions des articles L. 1110-5 et R. 4127-233 du code de la santé publique sont de nature à justifier une sanction. Eu égard à la nature, à la gravité et au caractère répété de ces manquements, il y a lieu d'infliger à M. B... la sanction de l'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de neuf mois. M. B... ayant exécuté la sanction de l'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste prononcée à son encontre pendant une durée de neuf mois, il n'y a pas lieu de fixer la date d'exécution de la sanction prononcée par la présente décision.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M. B....

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 6 octobre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes est annulée.

Article 2 : Il est infligé à M. B... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de neuf mois.

Article 3 : La décision de la chambre disciplinaire de première instance de la région Centre-Val de Loire de l'ordre des chirurgiens-dentistes est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratives sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au conseil départemental du Cher de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 février 2024 où siégeaient : M. Alban de Nervaux, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Camille Belloc, auditrice-rapporteure.

Rendu le 27 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Alban de Nervaux

La rapporteure :

Signé : Mme Camille Belloc

Le secrétaire :

Signé : M. Jean-Marie Baune


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 469421
Date de la décision : 27/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2024, n° 469421
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Belloc
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:469421.20240327
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