La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/03/2024 | FRANCE | N°470428

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 20 mars 2024, 470428


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 janvier, 5 avril et 14 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. Michel Dutrus demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis non conforme du Conseil supérieur de la magistrature du 16 novembre 2022 sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, de le nommer en qualité de président de chambre à la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
r>

2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre prin...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 janvier, 5 avril et 14 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. Michel Dutrus demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis non conforme du Conseil supérieur de la magistrature du 16 novembre 2022 sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, de le nommer en qualité de président de chambre à la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, d'adresser un nouveau projet au Conseil supérieur de la magistrature tendant à sa nomination à un poste de magistrat hors hiérarchie dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et, à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen de sa candidature à une fonction hors hiérarchie dans le même délai ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. A... et du syndicat Unité magistrats - Syndicat national des magistrats Force ouvrière ;

Considérant ce qui suit :

1. M. Michel Dutrus, conseiller à la cour d'appel de Bordeaux, demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'avis non conforme du Conseil supérieur de la magistrature du 16 novembre 2022 sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, de le nommer en qualité de président de chambre à la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Sur l'intervention du syndicat Unité magistrats - Syndicat national des magistrats Force ouvrière :

2. Le syndicat Unité magistrats - Syndicat national des magistrats Force ouvrière justifie, eu égard à la nature et à l'objet des questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'acte attaqué. Son intervention au soutien de la requête de M. A... est, par suite, recevable.

Sur la requête :

3. Aux termes de l'article 28 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Les décrets de nomination aux fonctions de président d'un tribunal judiciaire ou d'un tribunal de première instance ou de conseiller référendaire à la Cour de cassation sont pris par le Président de la République sur proposition de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. / Les décrets portant promotion de grade ou nomination aux fonctions de magistrat autres que celles mentionnées à l'alinéa précédent sont pris par le Président de la République sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature pour ce qui concerne les magistrats du siège et après avis de la formation compétente du Conseil supérieur pour ce qui concerne les magistrats du parquet. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même ordonnance : " Sont placés hors hiérarchie : / (...) 3° Les présidents de chambre des cours d'appel (...) ".

4. En premier lieu, il est loisible au Conseil supérieur de la magistrature et au garde des sceaux, ministre de la justice, de rendre publics les critères qui les guident pour les nominations et les mutations de magistrats, dans le respect du principe d'égalité et compte tenu d'objectifs légitimes tels qu'une plus grande mobilité des personnes concernées ou une meilleure adéquation des profils aux emplois. Toutefois, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires expresses, l'application de ces critères ne saurait en aucun cas conduire à fixer des règles nouvelles ou à écarter le principe selon lequel il revient aux autorités administratives de se livrer à un examen particulier des données propres à chaque dossier.

5. Il ressort des pièces du dossier que le garde des sceaux, ministre de la justice, dans l'exercice de son pouvoir de proposition de nomination des magistrats du siège, et le Conseil supérieur de la magistrature, au titre de sa mission générale d'avis sur ces nominations, veillent, en principe, afin de concilier la mobilité géographique ou fonctionnelle des magistrats avec la stabilité des effectifs des juridictions, à ce que cette mobilité n'intervienne qu'à l'issue d'une période de trois années d'exercice effectif des magistrats dans une même fonction, tout en prenant en compte les impératifs liés à la situation personnelle du magistrat et à la bonne administration de la justice. Il en va de même s'agissant des nominations de magistrats sur un poste placé hors hiérarchie, pour lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice, et le Conseil de la magistrature veillent, en principe, à ce que la durée résiduelle d'exercice avant le départ à la retraite soit d'au moins trois ans. En l'espèce, pour émettre un avis non conforme sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, de nommer M. A... en qualité de président de chambre à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le Conseil supérieur de la magistrature s'est fondé sur la circonstance que sa nomination, compte tenu de son âge, interviendrait moins de trois ans avant son départ à la retraite. Dans ces conditions, et alors qu'il résulte des termes mêmes de l'avis attaqué que le Conseil supérieur de la magistrature a procédé à l'examen particulier des éléments individuels propres au dossier de l'intéressé, le moyen tiré de ce que le Conseil supérieur de la magistrature aurait méconnu l'étendue de son pouvoir et commis une erreur de droit en se fondant sur ce critère doit être écarté.

6. En deuxième lieu, la circonstance que le garde des sceaux, ministre de la justice, et le Conseil supérieur de la magistrature définissent des critères les guidant pour les nominations de magistrats ne saurait, en tout état de cause et dès lors notamment que l'application de ces critères concourt à une gestion homogène du corps des magistrats, être regardée, par elle-même, comme constitutive d'une rupture d'égalité de traitement entre les fonctionnaires d'un même corps. En outre, l'application du critère selon lequel une nomination sur un emploi hors hiérarchie doit, en principe, intervenir trois ans au moins avant le départ à la retraite du magistrat intéressé ne fait pas obstacle, ainsi qu'il a été dit, à la prise en compte de la situation individuelle de certains magistrats, dans le cadre de l'examen particulier des données propres à chaque dossier. Par suite, le moyen tiré de ce que l'avis attaqué du Conseil supérieur de la magistrature méconnaîtrait le principe de l'égalité de traitement des fonctionnaires appartenant à un même corps doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 76 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 : " Sous réserve des reculs de limite d'âge pouvant résulter des textes applicables à l'ensemble des agents de l'Etat, la limite d'âge pour les magistrats de l'ordre judiciaire est fixée à soixante-sept ans ". Le garde des sceaux, ministre de la justice, ayant proposé la nomination de M. A... dans les fonctions de président de chambre dans le cadre de la transparence du 21 octobre 2022, la durée résiduelle au cours de laquelle celui-ci aurait pu exercer ces fonctions avant son départ à la retraite aurait été de moins de deux ans. Si l'intéressé soutient que son mandat de délégué syndical, pour l'exercice duquel il bénéficie depuis 2018 d'une décharge d'activité de service à 100 %, constituerait une situation particulière justifiant que ne lui soit pas appliqué le critère de durée résiduelle minimale d'exercice avant la retraite, le Conseil supérieur de la magistrature a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, estimer que cette situation ne relevait pas des circonstances particulières, notamment d'ordre médical ou personnel, qui auraient justifié de ne pas appliquer, en l'espèce, le critère selon lequel, au regard de l'intérêt du service et du bon fonctionnement des juridictions, une nomination sur un poste placé hors hiérarchie n'intervient pas, en règle générale, moins de trois ans avant le départ à la retraite du magistrat nommé.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'avis du Conseil supérieur de la magistrature qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention du syndicat Unité magistrats - Syndicat national des magistrats Force ouvrière est admise.

Article 2 : La requête de M. A... est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Michel Dutrus, au garde des sceaux, ministre de la justice et au syndicat Unité magistrats - Syndicat national des magistrats Force ouvrière.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 février 2024 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 20 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Cyril Roger-Lacan

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Bachini

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 470428
Date de la décision : 20/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 2024, n° 470428
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Bachini
Rapporteur public ?: Mme Maïlys Lange
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470428.20240320
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award