Vu la procédure suivante :
La société Orange a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une opposition à vingt-cinq titres exécutoires, d'un montant total de 557 356,52 euros, émis à son encontre par la commune d'Aix-en-Provence pour recouvrer les redevances d'utilisation de fourreaux et d'infrastructures de réseaux de télécommunications que celle-ci estimait lui être dues au titre de l'année 2016. Par un jugement n° 1703785 du 12 juillet 2019, ce tribunal a fait droit à cette opposition et déchargé la société Orange de l'obligation de payer la somme de 557 356,52 euros.
Par un arrêt n° 19MA04191 du 14 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement sauf en tant que, par son article 5, il rejetait comme irrecevables les demandes dirigées contre les certificats administratifs joints aux titres exécutoires, a déchargé la société Orange de l'obligation de payer la somme objet du titre exécutoire n° 515 émis le 23 mars 2017 en tant qu'elle excédait le montant de 76 564,75 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la société Orange.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 janvier, 3 avril et 10 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Orange demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a remis à sa charge les sommes dont le tribunal avait prononcé la décharge ;
2°) de mettre à la charge de la commune d'Aix-en-Provence la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- la loi n° 90-1170 du 29 décembre 1990 ;
- la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 ;
- la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 ;
- le décret n° 52-1133 du 8 octobre 1952 ;
- le décret n° 62-273 du 12 mars 1962 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Orange et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la commune d'Aix-en-Provence ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par délibération du 1er février 2016, le conseil municipal d'Aix-en-Provence a fixé à 0,98 euro hors taxes par mètre linéaire les frais de location afférents à toute occupation de fourreaux et infrastructures de télécommunications appartenant à la commune. Le 23 mars 2017, la maire d'Aix-en-Provence a émis à l'encontre de la société Orange vingt-cinq titres de recettes d'un montant global de 557 356,52 euros, en vue du recouvrement des sommes qu'elle estimait dues à raison de l'utilisation par la société, pendant l'année 2016, des infrastructures de télécommunications appartenant à la commune dans vingt-cinq zones d'aménagement concerté situées sur son territoire. La société Orange a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une opposition à ces titres exécutoires en faisant valoir, notamment, qu'elle était propriétaire d'une très grande partie des fourreaux et infrastructures sur lesquels la commune entendait percevoir des frais de location, dès lors que l'essentiel de ces installations avaient été posées avant le 1er juillet 1996, à une époque où l'Etat puis l'exploitant public France Télécom, dont les biens lui ont été transférés par l'article 1er de la loi du 26 juillet 1996, disposaient, aux termes de l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications dans sa rédaction alors en vigueur, du monopole pour établir des réseaux de télécommunications. Par un jugement du 12 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a déchargé la société Orange de l'intégralité des sommes dont le paiement était demandé par la commune, en retenant que celle-ci n'établissait pas être propriétaire des installations en cause. La société Orange se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant que, par cet arrêt, la cour a remis à sa charge les sommes litigieuses, à l'exception de celles, dues au titre de la zone d'aménagement concerté de la Duranne qu'elle a ramenées de 145 837,63 euros à 76 564,75 euros toutes taxes comprises.
Sur le régime des installations de télécommunications établies avant le 1er juillet 1996 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 72 du code des postes, télégraphes et téléphones, créé par le décret du 8 octobre 1952 portant codification des textes législatifs concernant le service des postes, télégraphes et téléphones, dont les dispositions ont été ensuite reprises à l'article L. 33 du code des postes et télécommunications par le décret du 12 mars 1962 portant révision du code des postes, télégraphes et téléphones : " Aucune installation de télécommunications ne peut être établie ou employée à la transmission de correspondances que par le ministre des postes, télégraphes et téléphones ou avec son autorisation (...) ". Après la création, par la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications de l'exploitant public France Télécom, l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications s'est substitué aux dispositions précédentes pour prévoir, dans sa rédaction applicable entre l'entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 1990 sur la réglementation des télécommunications et le 30 juin 1996, que " les réseaux de télécommunications ouverts au public ne peuvent être établis que par l'exploitant public ". Aux termes de ce même article L. 33-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications : " I. - L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public sont autorisés par le ministre chargé des télécommunications. / Cette autorisation ne peut être refusée que dans la mesure requise par la sauvegarde de l'ordre public ou des besoins de la défense ou de la sécurité publique, par les contraintes techniques inhérentes à la disponibilité des fréquences, ou lorsque le demandeur n'a pas la capacité technique ou financière de faire face durablement aux obligations résultant des conditions d'exercice de son activité, ou a fait l'objet d'une des sanctions mentionnées aux articles L. 36-11, L. 39, L. 39-1, L. 39-2 et L. 39-4 ". L'article 22 de cette loi du 26 juillet 1996 a prévu que les dispositions de cet article L. 33-1, résultant de cette loi, " en tant qu'elles permettent l'établissement et l'exploitation, par des opérateurs autres que France Télécom, de réseaux ouverts au public, en vue de la fourniture de tous services de télécommunications autres que le service téléphonique au public entre points fixes, prennent effet à compter du 1er juillet 1996 ".
3. En deuxième lieu, par des dispositions à la substance inchangée depuis leur édiction par la loi du 30 juillet 1885 relative à l'établissement, à l'entretien et au fonctionnement des lignes télégraphiques et téléphoniques, les articles 84, 85 et 87 du code des postes, télégraphes et téléphones puis les articles L. 47, L. 47-1 et L. 49 du code des postes et télécommunications, dans leur version en vigueur jusqu'à la loi du 29 décembre 1990 sur la réglementation des télécommunications, désignaient expressément l'Etat comme le propriétaire des lignes téléphoniques qu'il était autorisé à construire ou à entretenir sur le sol ou dans le sous-sol des chemins publics ainsi que sur des propriétés privées, et précisaient que l'établissement des conduits et supports n'entraînait aucune dépossession. Les atteintes et les dégradations de quelque nature que ce soit apportées à ces installations, qu'elles soient situées sur des terrains appartenant à une personne publique ou privée, ou dans leur tréfonds, étaient, par ailleurs, réprimées par des contraventions de grande voirie, constatées par des agents de la direction générale des télécommunications, visant à protéger le domaine public de l'Etat puis de l'exploitant public, en application de dispositions codifiées en dernier lieu à l'article L. 69-1 du code des postes et télécommunications, abrogé par la loi du 26 juillet 1996. Au surplus, il résulte de l'article L. 47 du code des postes et communications électroniques, dans sa rédaction en vigueur, que lorsqu'il apparaît qu'un opérateur autorisé à exploiter un réseau ouvert au public pourrait, plutôt que construire ses propres installations, utiliser celles déjà établies par un autre opérateur occupant le domaine public, la loi prévoit que l'autorité gestionnaire du domaine public concerné peut l'inviter à se rapprocher de cet occupant du domaine public, qu'elle désigne comme le " propriétaire " des installations en cause.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 22 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications : " Les droits et obligations de l'Etat attachés aux services relevant (...) de la direction générale des télécommunications sont transférés de plein droit (...) à France Télécom. / L'ensemble des biens immobiliers du domaine public ou privé de l'Etat attachés aux services relevant (...) de la direction générale des télécommunications, ainsi que les biens mobiliers de ces services, sont transférés de plein droit et en pleine propriété (...) à France Télécom ". L'article 1er de la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 a ensuite inséré, dans cette loi du 2 juillet 1990, un article 1-1 ainsi rédigé : " 1. La personne morale de droit public France Télécom mentionnée à l'article 1er est transformée à compter du 31 décembre 1996 en une entreprise nationale dénommée France Télécom, dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social. / (...) Les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public France Télécom sont transférés de plein droit, au 31 décembre 1996, à l'entreprise nationale France Télécom (...). Les biens de la personne morale de droit public France Télécom relevant du domaine public sont déclassés à la même date ". Il en résulte que les biens de l'Etat attachés aux services relevant de la direction générale des télécommunications puis ceux de la personne morale de droit public France Télécom ont été transférés de plein droit, au 31 décembre 1996, à l'entreprise nationale France Télécom, devenue plus tard la société anonyme Orange.
5. Les dispositions citées au point 2 ont conféré à l'Etat, puis à l'exploitant public France Télécom à compter du 1er janvier 1991, pour la période antérieure au 1er juillet 1996, un monopole pour établir les réseaux de télécommunications, ce qui implique la réalisation des infrastructures nécessaires à ces réseaux, lesquelles incluent, au-delà des câbles, toutes les installations nécessaires à la transmission ou à l'acheminement des signaux de télécommunications, notamment les infrastructures de génie civil nécessaires à leur fonctionnement, comme les gaines et les chambres de tirage. En vertu des dispositions citées aux points 3 et 4, ces installations doivent, en principe, être regardées comme la propriété, successivement, de l'Etat, puis de l'exploitant public France Télécom, puis de l'entreprise nationale France Télécom - aujourd'hui la société Orange -, alors même qu'aucun titre de propriété ne pourrait être produit et sauf à ce que soit rapportée la preuve qu'elles appartiendraient à une autre personne.
Sur le pourvoi :
6. Pour juger que la commune d'Aix-en-Provence devait être regardée comme propriétaire des installations de télécommunications enfouies sous les terrains lui appartenant, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur les dispositions du premier alinéa de l'article 552 du code civil, selon lequel " la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ", en retenant que ces dispositions établissent, au profit du propriétaire du sol, une présomption de propriété du sous-sol n'étant susceptible d'être combattue que par la preuve contraire résultant d'un titre ou de la prescription acquisitive, et a estimé que le monopole reconnu avant le 1er juillet 1996 à l'exploitant public France Télécom pour établir des réseaux de télécommunications ne s'étendait pas aux infrastructures de génie civil destinées à les accueillir.
7. Toutefois, si la commune d'Aix-en-Provence est, comme toute personne publique, propriétaire du sous-sol des parcelles comprises dans son domaine public comme privé, cette propriété, ainsi qu'il a été dit précédemment, ne s'étend pas aux lignes de télécommunications et aux infrastructures qui leur sont nécessaires, situées sur ces parcelles ou dans leur tréfonds, lesquelles, lorsqu'elles ont été établies avant le 1er juillet 1996, sont présumées appartenir à la société Orange, alors même que cette société ne disposerait pas d'un titre de propriété, et ne sont pas susceptibles d'être l'objet du droit d'accession relativement aux choses immobilières prévu par les dispositions des articles 552 à 564 du code civil. Il appartient à la collectivité publique qui revendique la propriété de telles infrastructures de faire échec à cette présomption, par exemple en établissant qu'elle en a assuré la maîtrise d'ouvrage et le financement ou qu'elles lui ont été remises lorsque l'aménagement a été délégué à un concessionnaire. Pour les infrastructures établies à compter du 1er juillet 1996, lesquelles ne sont pas davantage susceptibles d'être l'objet du droit d'accession, l'identité du propriétaire doit être déterminée au vu de l'ensemble des éléments produits par chacune des parties. Que l'infrastructure ait été établie avant ou après le 1er juillet 1996, il appartient au juge administratif saisi d'un litige relevant de sa compétence de se prononcer sur la question de la propriété, sous réserve de la question préjudicielle dont il lui appartiendrait de saisir la juridiction judiciaire en cas de difficulté sérieuse.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Orange est fondée à soutenir que la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son arrêt d'erreur de droit en se fondant sur l'article 552 du code civil et en retenant que le monopole reconnu avant le 1er juillet 1996 à l'exploitant public France Télécom pour établir des réseaux de télécommunications ne s'étendait pas aux infrastructures de génie civil destinées à les accueillir, pour regarder la commune d'Aix-en-Provence comme propriétaire des installations de télécommunications en cause.
9. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Orange est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque dans la mesure où il a fait droit à l'appel de la commune d'Aix-en-Provence.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Aix-en-Provence la somme de 3 000 euros à verser à la société Orange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge de société Orange qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 14 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il a fait droit à l'appel de la commune d'Aix-en-Provence.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure devant la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La commune d'Aix-en-Provence versera à la société Orange une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune d'Aix-en-Provence présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Orange et à la commune d'Aix-en-Provence.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 février 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Nathalie Escaut, Mme Sylvie Pellissier, conseillers d'Etat ; M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 18 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle