Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 15 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme D... C..., Mme A... C..., M. E... C... et M. B... C... demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi tendant à l'annulation du jugement n° 2300047 du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leurs demandes tendant à la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés non bâties auxquelles M. et Mme C... ont été assujettis au titre des années 2016 à 2020 dans les rôles de la commune de Cournon-d'Auvergne
(Puy-de-Dôme), de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des B à D du II de l'article 1396 du code général des impôts, dans leurs rédactions applicables aux impositions en litige.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de Mme C... et autres ;
Considérant ce qui suit :
Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité, en tant qu'elle concerne le principe d'égalité devant les charges publiques :
1. Aux termes de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. (...) ".
2. Lorsqu'une juridiction administrative statuant en dernier ressort a omis de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester une telle méconnaissance des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre la décision qui statue sur le litige. Les dispositions de l'article 23-5 de la même ordonnance n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre que le Conseil d'État, malgré l'absence de décision sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité par la juridiction devant laquelle elle est présentée, se prononce sur le renvoi de cette question au Conseil constitutionnel dans les conditions prévues par cet article.
3. Mme C... et autres se pourvoient en cassation contre le jugement du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leurs demandes tendant à la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés non bâties auxquelles M. et Mme C... ont été assujettis au titre des années 2016 à 2020 dans les rôles de la commune de Cournon-d'Auvergne. Si, par un mémoire motivé distinct de leur pourvoi, Mme C... et autres ont entendu soumettre au Conseil d'État, sur le fondement de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des B à D du II de l'article 1396 du code général des impôts, il ne saurait être fait droit à cette demande en tant qu'elle concerne le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité ainsi posée porte, dans cette mesure, sur la même question que celle qui a été soumise, par les mêmes moyens, au tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Par suite, alors même que ce tribunal a omis, dans la décision contre laquelle Mme C... et autres se pourvoient, de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été soumise, la question soulevée est irrecevable en tant qu'elle est relative au principe d'égalité devant les charges publiques.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité, en tant qu'elle concerne les autres droits et libertés invoqués :
4. Aux termes de l'article 1393 du code général des impôts : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés non bâties de toute nature sises en France, à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code. (...) ". L'article 1396 du même code dispose que la taxe foncière sur les propriétés non bâties est établie d'après la valeur locative cadastrale de ces propriétés déterminée conformément aux règles définies aux articles 1509 à 1518 A et sous déduction de 20 % de son montant. Pour les communes autres que celles à forte tension relative au logement puis, à compter des impositions établies au titre de 2018, pour l'ensemble des communes, le B du II de cet article prévoit, en vue, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoire de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement dont ces dispositions sont issues, de favoriser la mise sur le marché des biens en cause pour permettre la construction de logements et de lutter contre les situations de rétention foncière constatées sur le territoire des communes, que " la valeur locative cadastrale des terrains constructibles situés dans les zones urbaines ou à urbaniser, lorsque les voies publiques et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie de la zone à urbaniser ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone, délimitées par une carte communale, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé conformément au code de l'urbanisme, peut, sur délibération du conseil municipal prise dans les conditions prévues au premier alinéa du I de l'article 1639 A bis, être majorée d'une valeur forfaitaire comprise entre 0 et 3 € par mètre carré pour le calcul de la part revenant aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale sans fiscalité propre. / La majoration ne peut excéder 3 % d'une valeur forfaitaire moyenne au mètre carré définie par décret et représentative de la valeur moyenne du terrain selon sa situation géographique ". Le B bis du même II précise que, pour l'application du B et, à compter des impositions établies au titre de 2018, sauf délibération contraire de la commune, " la superficie retenue pour le calcul de la majoration est réduite de 200 mètres carrés. Cette réduction s'applique à l'ensemble des parcelles contiguës constructibles détenues par un même propriétaire ". Le C prévoit que le maire dresse la liste des terrains constructibles. Enfin, le 1 du D dispose que la majoration n'est pas applicable : " 1° Aux terrains appartenant aux établissements publics fonciers mentionnés aux articles L. 321-1 et L. 324-1 du code de l'urbanisme, aux agences mentionnées aux articles 1609 C et 1609 D du présent code ou à l'établissement public Société du Grand Paris mentionné à l'article 1609 G / 2° Aux parcelles supportant une construction passible de la taxe d'habitation ; / 3° Aux terrains classés depuis moins d'un an dans une zone urbaine ou à urbaniser (...) ".
5. A l'appui de leur question prioritaire de constitutionnalité les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que le droit de propriété garanti par ses articles 2 et 17.
En ce qui concerne le principe d'égalité :
6. Selon l'article 6 de la déclaration de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. En premier lieu, si les requérants soutiennent qu'en prévoyant que la majoration prévue au B du II de l'article 1396 du code général des impôts n'est pas applicable aux parcelles supportant une construction passible de la taxe d'habitation, les dispositions du 2° du 1 du D de ce II exposeraient les propriétaires de terrains présentant des caractéristiques identiques au regard de l'objet de la loi à un traitement différent en fonction de la seule délimitation cadastrale des parcelles, sans rapport avec cet objet, il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement dont elles sont issues, que, pour leur application, le terme " parcelle " désigne une unité foncière, îlot de propriété d'un seul tenant, composé d'une ou plusieurs parcelles cadastrales appartenant à un même propriétaire. Il en résulte que la différence de traitement ainsi instituée entre unités foncières, selon qu'elles supportent ou non une construction passible de la taxe d'habitation, est fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l'objectif poursuivi par la loi.
8. En deuxième lieu, il résulte des dispositions des articles L. 321-1 et L. 324-1 du code de l'urbanisme que les établissements publics fonciers de l'Etat et les établissements publics fonciers locaux doivent mettre en place des stratégies foncières " afin de mobiliser du foncier et de favoriser le développement durable et la lutte contre l'étalement urbain " et qui, notamment, " contribuent à la réalisation de logements, notamment de logements sociaux ". Eu égard à la nature, à l'objet et aux obligations de ces établissements, la différence de traitement instituée en leur faveur par les dispositions du 1° du D du II de l'article 1396 du code général des impôts est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi.
9. En troisième lieu, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties dont bénéficient les collectivités territoriales à raison de certaines de leurs propriétés, énumérées au 2° de l'article 1394 du code général des impôts, ne résulte pas des dispositions contestées de l'article 1396 du même code, lesquelles n'exonèrent pas les autres propriétés de ces collectivités de la majoration qu'elles prévoient et n'instituent donc pas, par elles-mêmes, la différence de traitement critiquée par les requérants.
10. En dernier lieu, si les dispositions du C du II de l'article 1396 du code général des impôts confient au maire le soin, pour l'application du B, de dresser la liste des terrains constructibles, communiquée chaque année à l'administration des impôts, celui-ci ne peut le faire que par application des critères résultant de la loi, et sous réserve, comme le rappellent expressément ces dispositions, de dégrèvement en cas d'inscription erronée. Les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir qu'en renvoyant ainsi au maire, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions de nature à porter atteinte au principe d'égalité.
11. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
En ce qui concerne le droit de propriété :
12. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. " En l'absence de privation du droit de propriété, droit naturel et imprescriptible selon l'article 2 de la Déclaration de 1789, les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il appartient au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les principes fondamentaux de la propriété et des droits réels, de définir les modalités selon lesquelles les droits des propriétaires doivent être conciliés avec les limites apportées à leur exercice.
13. Si la mise en œuvre par les conseils municipaux de la faculté qui leur est offerte par les dispositions du B du II de l'article 1396 du code général des impôts de majorer, dans les conditions et limites qu'elles prévoient, la valeur locative cadastrale des terrains constructibles est susceptible d'inciter à la construction ou à la vente de ces terrains, ces dispositions n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet de conduire à une privation du droit de propriété ou à une restriction de son exercice. Elles ne sauraient ainsi porter atteinte aux droits garantis par les article 17 et 2 de la Déclaration de 1789.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité des dispositions des B à D du II de l'article 1396 du code général des impôts aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme C... et autres.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme D... C..., première requérante dénommée, et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 13 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Saby
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :