Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 18 août, 18 septembre, 2 novembre et 9 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 5 juillet 2023 accordant son extradition aux autorités surinamaises ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ;
- le code de procédure pénale ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne des 6 septembre 2016, Petruhhin (C-182/15), et 17 décembre 2020, BY (C 398/19) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Eche, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Megret, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par le décret attaqué, la Première ministre a accordé aux autorités surinamaises l'extradition de M. B..., de nationalité néerlandaise, aux fins de poursuites fondées sur un mandat d'arrêt en date du 18 novembre 2022 délivré par le procureur général par intérim près la cour de justice de Paramaribo pour des faits qualifiés de meurtre et d'homicide involontaire.
2. Dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C 182/15), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu'un État membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre État membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un État tiers avec lequel le premier État membre a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'État membre dont ce citoyen a la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, pourvu que cet État membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national.
3. Par son arrêt du 17 décembre 2020, BY (C 398/19), la Cour a précisé que l'État membre requis satisfait à son obligation d'information en mettant les autorités compétentes de l'État membre dont la personne réclamée a la nationalité à même de réclamer cette personne dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen et qu'à cet effet, conformément au principe de coopération loyale, inscrit à l'article 4 du Traité sur l'Union européenne, il incombe à l'État membre requis d'informer les autorités compétentes de l'État membre dont la personne réclamée a la nationalité non seulement de l'existence d'une demande d'extradition la visant, mais encore de l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'État tiers requérant dans le cadre de cette demande d'extradition. Elle a ajouté qu'il incombe également à l'État membre requis de tenir ces autorités informées de tout changement de la situation dans laquelle se trouve la personne réclamée, pertinent aux fins de l'éventuelle émission contre elle d'un mandat d'arrêt européen.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les autorités néerlandaises ont été informées par courriel de l'interpellation de M. B... et de la réception d'une demande d'extradition du Suriname aux fins de poursuites pour des faits qualifiés de meurtre et homicide involontaire commis le 15 novembre 2022 et ont été invitées, " en application de la jurisprudence Petruhhin de la Cour de justice de l'Union européenne ", à faire savoir si elles entendaient émettre un mandat d'arrêt européen pour ces faits. Par un courriel du 3 février 2023, elles ont répondu négativement, sans demander d'informations complémentaires. Par suite, le moyen tiré de ce que les autorités françaises auraient manqué à leur obligation d'information à l'égard de l'Etat de nationalité de la personne réclamée doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 696-14 du code de procédure pénale : " Si, lors de sa comparution, la personne réclamée déclare consentir à être extradée et que les conditions légales de l'extradition sont remplies, la chambre de l'instruction, après avoir informé cette personne des conséquences juridiques de son consentement, lui en donne acte dans les sept jours à compter de la date de sa comparution, sauf si un complément d'information a été ordonné. / L'arrêt de la chambre de l'instruction n'est pas susceptible de recours ". Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêt du 22 novembre 2022, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne a, en application de ces dispositions, donné acte à M. B... de son consentement à être extradé au Suriname. Si l'intéressé soutient que cet arrêt ne justifie pas du respect par les autorités françaises de leur obligation d'information à l'égard de son Etat de nationalité, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, statuant au contentieux d'apprécier la régularité de l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction ni de se prononcer sur son bien-fondé.
6. Enfin, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Contrairement à ce qui est soutenu, il n'avait pas à faire état des démarches entreprises auprès des autorités néerlandaises au titre de l'obligation d'information pesant sur les autorités françaises. Il satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue par les articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 juillet 2023 accordant son extradition aux autorités surinamaises. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 février 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Julien Eche, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 5 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Eche
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard