Vu la procédure suivante :
La préfète de l'Aude a déféré devant le tribunal administratif de Montpellier comme prévenu d'une contravention de grande voirie M. B... A..., sur le fondement d'un procès-verbal du 27 février 2020 constatant l'occupation sans droit ni titre d'un terrain, d'un bâtiment à usage d'habitation et d'un garage sur la parcelle cadastrée section KL n° 6, chemin rural n° 142 de la chaussée de Mandirac à Narbonne (Aude), appartenant au domaine public maritime. Par un jugement n° 2003353 du 23 septembre 2021, ce tribunal a condamné M. A... au paiement d'une amende de 500 euros et lui a enjoint de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, à la démolition de l'ensemble des ouvrages présents sur la parcelle, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par un arrêt n° 21TL04568 du 21 mars 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a fait droit à l'appel formé par M. A... contre ce jugement et l'a relaxé des fins de la poursuite.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 mai et 21 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... occupait, initialement sans autorisation, une parcelle du domaine public maritime située à Narbonne (Aude), chemin rural, n° 142 de la chaussée de Mandirac. Le 25 avril 2018, il a signé avec la commune une convention d'occupation consentie à titre précaire jusqu'au 19 avril 2019. La convention prévoyait en outre que, si elle n'était pas renouvelable, elle pouvait être prorogée pour une durée de six mois dans le cas où l'occupant produisait un justificatif de demande de logement dans le parc public. M. A... a produit un tel justificatif dans les conditions fixées par la convention, de sorte que la durée de l'autorisation que celle-ci lui avait octroyée pour occuper la parcelle a été étendue jusqu'au 19 octobre 2019. Le 27 février 2020, un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé, constatant l'occupation sans titre, par M. A..., de la parcelle en cause, et la présence sur place d'un terrain clos, d'une maison d'habitation et d'un garage. Sur le fondement de l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, la préfète de l'Aude a alors saisi le tribunal administratif de Montpellier qui, par un jugement du 23 septembre 2021, a condamné M. A... au paiement d'une amende de 500 euros et lui a enjoint de procéder, dans un délai de trois mois et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à la démolition de l'ensemble des ouvrages présents sur la parcelle. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 mars 2023 par lequel la cour administrative d'appel a, sur appel de M. A..., annulé ce jugement et relaxé l'intéressé des fins de la poursuite.
2. Aux termes de l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende ". Ces dispositions tendent à assurer, au moyen de l'action domaniale qu'elles instituent, la remise du domaine public maritime naturel dans un état conforme à son affectation publique en permettant aux autorités chargées de sa protection, notamment, d'ordonner à celui qui l'a édifié ou, à défaut, à la personne qui en a la garde, la démolition d'un ouvrage immobilier irrégulièrement implanté sur ce domaine. Dans le cas d'un tel ouvrage, le gardien est celui qui, en ayant la maîtrise effective, se comporte comme s'il en était le propriétaire.
3. Pour juger que les poursuites engagées par la préfète de l'Aude contre M. A... étaient dépourvues de fondement légal, la cour administrative d'appel de Toulouse a relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'occupant serait l'auteur ou le propriétaire des constructions et aménagements réalisés sur le domaine public maritime, et que la seule occupation irrégulière d'une construction déjà édifiée ne suffisait pas à établir l'infraction aux règles d'occupation du domaine édictée par l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques cité au point 2. En statuant ainsi, sans rechercher si M. A... avait la qualité de gardien des ouvrages implantés sur la parcelle en litige, la cour a méconnu les principes rappelés au point précédent. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
5. Si M. A... conteste en premier lieu la régularité du procès-verbal en faisant valoir que sa date n'est pas certaine, il résulte clairement des énonciations de cet acte qu'il a été rédigé le 27 février 2020 à partir d'observations effectuées sur la parcelle en litige le 18 décembre 2019. Il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire qu'un procès-verbal d'infraction en matière domaniale devrait, à peine d'irrégularité, être dressé le jour des constations qu'il rapporte. Ce moyen doit donc être écarté.
6. En deuxième lieu, d'une part, il résulte des constatations, certes synthétiques, portées sur ce procès-verbal, que la présence d'aménagements sur le terrain et de deux ouvrages immeubles, un bâtiment à usage d'habitation et un garage, a été relevée. Des photographies sont annexées au procès-verbal, dont il n'est pas contesté qu'elles corroborent ces constatations, dont la véracité n'est par ailleurs pas davantage remise en question par M. A.... Par suite, le moyen tiré de ce que le procès-verbal d'infraction du 27 février 2020 serait trop imprécis pour fonder les poursuites au titre des dispositions de l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques n'est pas fondé. D'autre part, si M. A... conteste être l'auteur ou le propriétaire de ces aménagements et ouvrages immeubles, il résulte de l'instruction qu'en occupant, sans autorisation, la parcelle ainsi aménagée et bâtie, à compter du 19 octobre 2019 et jusqu'à son départ des lieux, constaté par un procès-verbal du 9 juin 2021, qui constituaient son habitation, il en avait la garde au sens et pour l'application des principes rappelés au point 2. Il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que la contravention de grande voirie déférée par la préfète de l'Aude était établie à son encontre.
7. En troisième lieu, s'agissant de l'action répressive et de l'action domaniale, M. A... fait valoir, compte tenu de ses ressources, d'une part, que le montant de l'amende prononcé par le tribunal est disproportionné et d'autre part, qu'il n'est pas en mesure de remettre les lieux en l'état. Au regard des pièces produites et de la gravité de la faute commise, il y a lieu de condamner M. A... à une amende de 50 euros, et de prononcer à son encontre l'injonction de remettre dans son état naturel la parcelle du domaine public maritime en cause, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision. Passé ce délai, le préfet de l'Aude est autorisé y à procéder d'office, aux frais de M. A.... Le jugement du 23 septembre 2021 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante au présent litige.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 21 mars 2023 de la cour administrative d'appel de Toulouse est annulé.
Article 2 : M. A... est condamné au paiement d'une amende de 50 euros.
Article 3 : Il est enjoint à M. A... de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, à la démolition de l'ensemble des ouvrages présents sur la parcelle cadastrée KL n° 6 sise chemin rural n° 142 de la chaussée de Mandirac à Narbonne et de la remettre dans son état naturel. Passé ce délai, le préfet de l'Aude est autorisé à y procéder d'office aux frais de M. A....
Article 4 : Le jugement du 23 septembre 2021 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 2 et 3.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à M. B... A....
Copie en sera adressée à la préfète de l'Aude.
Délibéré à l'issue de la séance du 1er février 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 4 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Thomas Andrieu
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Lapierre
La secrétaire :
Signé : Mme Catherine Meneyrol