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28/02/2024 | FRANCE | N°488020

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 28 février 2024, 488020


Vu la procédure suivante :



La société SI Pro Roc Azur a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2007 et 2008, des pénalités correspondantes, ainsi que de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1759 du code général des impôts. Par un jugement n° 1703596 du 10 octobre 2019, ce tribunal a prononcé la réduction de la base imposable, pour chacun des exercices, respectivement, de 2 032 988 euro

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Vu la procédure suivante :

La société SI Pro Roc Azur a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2007 et 2008, des pénalités correspondantes, ainsi que de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1759 du code général des impôts. Par un jugement n° 1703596 du 10 octobre 2019, ce tribunal a prononcé la réduction de la base imposable, pour chacun des exercices, respectivement, de 2 032 988 euros et de 1 064 178 euros, la décharge des droits, intérêts de retard et majorations correspondants, et rejeté le surplus de ses demandes.

Par un arrêt n° 19VE04063 du 16 mars 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société SI Pro Roc Azur, prononcé la réduction des impositions et pénalités établies au titre de l'exercice clos en 2007, prononcé la décharge de l'imposition due au titre de l'exercice clos en 2008 et de l'amende fiscale prévue à l'article 1759 du code général des impôts appliquée au titre de cet exercice, réformé le jugement du tribunal administratif en ce qu'il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une décision n° 452507 du 22 novembre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, sur pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, annulé les articles 4 et 5 de cet arrêt, ainsi que son article 7 en tant qu'il avait réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire à cet article 4, et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.

Par un arrêt n° 21VE03098 du 6 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société SI Pro Roc Azur formé contre le jugement du 10 octobre 2019.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre et 6 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SI Pro Roc Azur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société SI Pro Roc Azur ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SI Pro Roc Azur, société de droit suisse constituée en avril 2007 pour l'achat, la vente, la location et la gestion de biens immobiliers à l'étranger, a acquis au cours de cette même année des biens immobiliers situés respectivement à Olmeto (Corse du Sud) et Paris, donnés à bail pour cinq ans respectivement à son associé unique russe et à son fils. S'étant abstenue de déclarer les résultats de cette activité de location immobilière, elle a été mise en demeure, par un courrier daté du 23 avril 2010, de souscrire les déclarations d'impôt sur les sociétés correspondantes au titre des exercices clos en 2007 et 2008, puis a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle elle s'est vue notifier, selon la procédure de taxation d'office prévue au 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, assorties de la majoration de 40 % pour dépôt tardif ainsi que de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts. Par un jugement du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée des droits, intérêts de retard et majorations correspondants à la réduction de la base imposable à l'impôt sur les sociétés de 2 032 988 euros et de 1 064 178 euros au titre des exercices clos, respectivement, en 2007 et 2008. Sur appel de la société SI Pro Roc Azur, la cour administrative d'appel de Versailles a, par un arrêt du 16 mars 2021, prononcé la réduction des impositions et pénalités établies au titre de l'exercice clos en 2007 et la décharge de l'imposition due au titre de l'exercice clos en 2008 et de l'amende fiscale prévue à l'article 1759 du code général des impôts. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, par une décision du 22 novembre 2021, annulé les articles 4 et 5 de cet arrêt, ainsi que son article 7 en tant qu'il avait réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire à cet article 4, et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour. La société SI Pro Roc Azur se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 juillet 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté les conclusions demeurant en litige de l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 10 octobre 2019.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure ".

4. La société SI Pro Roc Azur soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent, en tant qu'elles prévoient pour l'administration la possibilité de mettre en demeure, sous peine de taxation d'office, un contribuable s'estimant non assujetti en France d'y déposer une déclaration, le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser résultant de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que le droit à un recours effectif garanti par son article 16.

5. En premier lieu, si leur violation est susceptible d'entraîner le prononcé de sanctions fiscales, les dispositions contestées, qui visent à permettre l'établissement et le contrôle de l'imposition, ne constituent pas par elles-mêmes une sanction ayant le caractère d'une punition. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, résultant de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, est inopérant.

6. En second lieu, les dispositions contestées se bornent à prévoir qu'un contribuable passible de l'impôt sur les sociétés en France qui, mis en demeure par l'administration, n'a pas déposé de déclaration, est susceptible de faire l'objet d'une procédure de taxation d'office. Elles n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet de régir la dévolution de la charge de la preuve quant au principe même de l'assujettissement du contribuable à l'impôt en France. Par ailleurs, si les dispositions de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, qui ne font au demeurant pas l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité, font peser sur le contribuable la charge de prouver le caractère exagéré de l'imposition, elles n'empêchent en rien celui-ci de porter utilement sa contestation devant le juge. Dès lors, le grief tiré de ce que ces dispositions, du fait de leur incidence sur la charge de la preuve, méconnaîtraient le droit au recours effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne présente pas un caractère sérieux.

7. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a ainsi pas lieu de la transmettre au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

9. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société SI Pro Roc Azur soutient que la cour administrative d'appel de Versailles :

- a commis une erreur de droit en jugeant, sans se livrer à un examen in concreto de sa situation, que l'administration n'avait pas, dans la mise en demeure qu'elle lui avait adressée, l'obligation d'indiquer les impositions qui lui paraissaient devoir faire l'objet des déclarations ;

- l'a insuffisamment motivé, a méconnu les dispositions de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales et a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant que la proposition de rectification était suffisamment motivée, alors qu'elle ne l'avait pas informée de ce que l'imposition s'était fondée sur l'article 6 de la convention fiscale entre la France et la Suisse ;

- l'a insuffisamment motivé, a commis une erreur de droit et a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant qu'elle n'était pas fondée à soutenir que la méthode retenue par l'administration pour reconstituer son bilan était radicalement viciée et excessivement sommaire, aux motifs qu'elle n'avait produit aucune écriture comptable ni aucune pièce justificative des charges, sans rechercher si la méthode de détermination des bases imposables n'était pas entachée d'erreurs de droit ;

- a méconnu les dispositions de l'article 1759 du code général des impôts et dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant qu'elle n'était pas fondée à contester l'amende prévue par ces dispositions.

10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société SI Pro Roc Azur.

Article 2 : Le pourvoi de la société SI Pro Roc Azur n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société SI Pro Roc Azur.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 février 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat et Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 février 2024.

Le président :

Signé : M. Thomas Andrieu

La rapporteure :

Signé : Mme Alianore Descours

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 488020
Date de la décision : 28/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 fév. 2024, n° 488020
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alianore Descours
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : CABINET MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:488020.20240228
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