Vu les procédures suivantes :
I. - Sous le n° 467054, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 29 août et 29 novembre 2022 et le 8 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Zones blanches,
Mme EP... AG... et M. BB... EN... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2022-82 de la Commission de régulation de l'énergie du 17 mars 2022 portant décision sur le cadre de régulation incitative du système de comptage évolué d'Enedis dans le domaine de tension BT (= 36 kVA (Linky) pour la période 2022-2024 et modifiant la délibération n° 2021-13 portant décision sur le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité (TURPE 6 HTA-BT), ainsi que la délibération n° 2022-158 du 9 juin 2022 portant décision sur l'évolution de la grille tarifaire des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT au 1er août 2022 et sur l'évolution du paramètre Rf au 1er août 2022 ;
2°) de mettre à la charge de la Commission de régulation de l'énergie la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. - Sous le n° 469876, par une requête et deux nouveaux mémoires enregistrés le 20 décembre 2022 et les 23 mai et 22 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Stop Linky-5G 88, Alerte citoyenne communauté urbaine, Robin des toits, Observatoire du nucléaire et Bugey avenir tous citoyens, ainsi que Mme CM... BK..., M. CF... BK..., Mme S... DI..., Mme CU... H..., M. CQ... I..., M. CL... Y..., Mme F... J..., Mme DZ... Z..., M. AT... AA..., Mme V... BM..., M. CC... AB..., Mme AM... EO..., M. AE... A..., Mme DB... K..., Mme DP... EQ..., M. D... AD..., M. EI... BN..., Mme CU... EA..., Mme AZ... L..., M. AW... DL..., Mme EL... EF..., M. G... CO..., Mme CN... AF..., M. AT... EB..., M. AJ... BO..., Mme DR... BP..., Mme BY... CP..., Mme DN... EG..., M. ED... EG..., M. DH... AI..., Mme CI... N..., M. BR... AL..., Mme DM... DS..., M. BR... BT..., Mme AC... CR..., M. A...V... CS..., Mme DK... EC..., Mme BL... DT..., Mme DQ... CT..., Mme DJ... BX..., M. AD... BX..., M. et Mme F... et DU... CA..., Mme AH... AO..., M. AK... AO..., M. BA... CC..., M. BQ... CX..., Mme EJ... AP..., M. X... CY..., M. C... AQ..., M. P... AR..., Mme DG... AS..., M. CE... AT..., M. G... R..., M. AW... R..., M. O... DW..., M. DE... DW..., M. M... DA..., Mme AU... T..., Mme CZ... E..., M. EM... DD..., M. et Mme EE... et CW... AY..., M. B... CG..., Mme AN... U..., Mme AU... BC..., Mme BZ... BD..., Mme DC... DF..., Mme CD... CH..., M. BR... BF..., Mme EL... DX..., Mme BJ... BH..., Mme F... CJ..., M. BW... W..., Mme Q... CK..., Mme EK... BI... et M. AT... CL... demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2022-82 de la Commission de régulation de l'énergie du 17 mars 2022 portant décision sur le cadre de régulation incitative du système de comptage évolué d'Enedis dans le domaine de tension BT (= 36 kVA (Linky) pour la période 2022-2024 et modifiant la délibération n° 2021-13 portant décision sur le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité (TURPE 6 HTA-BT).
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et la Charte de l'environnement ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- la délibération n° 2021-13 de la Commission de régulation de l'énergie du 21 janvier 2021 portant décision sur le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité (TURPE 6 HTA-BT) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, L..., Stoclet et associés, avocat de l'association Zones blanches, de Mme EP... AG... et de M. BB... EN... ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes nos 467054 et 469876 présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier que, par sa délibération n° 2021-13 du 21 janvier 2021, la Commission de régulation de l'énergie a fixé les tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT applicables à compter du 1er août 2021 (tarifs dits " TURPE 6 HTA-BT "), pour une durée de 4 ans environ. Par une délibération n° 2022-82 du 17 mars 2022, publiée au Journal officiel le 6 août, la Commission de régulation de l'énergie a modifié cette délibération en introduisant, au sein de la composante annuelle de comptage, une composante de comptage spécifique à la relève résiduelle, définie en ces termes : " Au sein de la zone de desserte exclusive concédée à Enedis, lorsqu'un utilisateur raccordé au domaine BT (= 36 kVA n'est pas équipé d'un compteur évolué et n'a pas mis à disposition d'index de consommation à Enedis depuis plus de 12 mois, à partir du 1er janvier 2022, une composante supplémentaire au titre du traitement tarifaire de la relève résiduelle lui est appliquée à partir du mois suivant ce délai de 12 mois, tous les deux mois, jusqu'à l'installation d'un compteur évolué. (...) ", et a fixé le montant de cette composante, pour la période du 1er janvier 2022 au 31 juillet 2022, à 8,30 euros tous les deux mois. Par une délibération n° 2022-158 du 9 juin 2022, publiée au Journal officiel le 29 juin, la Commission de régulation de l'énergie a porté le montant de cette composante, pour la période du
1er janvier 2022 au 31 juillet 2022, à 8,48 euros tous les deux mois.
3. Sous le n° 467054, l'association Zones blanches et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir des délibérations n° 2022-82 du 17 mars 2022 et n° 2022-158 du 9 juin 2022. Sous le n° 469876, l'association Stop Linky-5G 88 et autres demandent l'annulation de la seule délibération n° 2022-82 du 17 mars 2022. Eu égard aux moyens soulevés, ces requêtes doivent être regardées comme tendant à l'annulation des délibérations du 17 mars et du 9 juin 2022 en tant que la première fixe, au sein de la composante annuelle de comptage, une composante supplémentaire au titre du traitement tarifaire de la relève résiduelle, et en tant que la seconde modifie le montant de cette même composante supplémentaire.
Sur l'intervention :
4. Mme EP... DO..., Mme DY... BS...,
Mme BE... V..., Mme BU... CB..., Mme BG... D...V..., M. EH... AW... et M. DE... AX... justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation des délibérations attaquées. Dès lors, leur intervention au soutien de la requête n° 467054 présentée par l'association Zones blanches et autres est recevable.
Sur les requêtes :
En ce qui concerne la légalité externe :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 341-2 du code de l'énergie : " Les tarifs d'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution sont calculés de manière transparente et non discriminatoire, afin de couvrir l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d'un gestionnaire de réseau efficace (...) ". Aux termes de l'article L. 341-3 du même code : " Les méthodes utilisées pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité sont fixées par la Commission de régulation de l'énergie (...) ".
6. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 341-3 du code de l'énergie citées au point 5 que la Commission de régulation de l'énergie est compétente pour fixer les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la Commission de régulation de l'énergie serait incompétente pour introduire, au sein du " TURPE 6 ", la composante tarifaire litigieuse, laquelle n'a pas le caractère d'une punition mais vise à prendre en compte les coûts relatifs à la relève des compteurs des utilisateurs non équipés d'un compteur communicant et dits " muets ", c'est-à-dire qui ne transmettent pas leur index de consommation pendant plus de douze mois.
7. D'autre part, les délibérations attaquées n'ont ni pour objet ni pour effet d'introduire une composante tarifaire au sein du " TURPE 7 ", lequel n'a pas encore été délibéré. Les requérants ne peuvent donc utilement soutenir que la Commission de régulation de l'énergie serait incompétente pour introduire une telle composante au sein du " TURPE 7 ".
8. En deuxième lieu, l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, au nombre desquelles figure le droit au respect de la vie privée, et celles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables. Les requérants soutiennent qu'en instituant la composante tarifaire litigieuse, la Commission de régulation de l'énergie aurait empiété sur ces domaines de compétence réservés au législateur.
9. Toutefois, d'une part, à supposer que l'objectif de la composante tarifaire litigieuse soit d'inciter les consommateurs à accepter la pose d'un compteur communicant, cet élément de prix ne saurait être regardé comme portant atteinte, par lui-même, au respect de la vie privée. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 6, la composante tarifaire litigieuse n'a pas le caractère d'une sanction. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la Commission de régulation de l'énergie aurait empiété sur le champ de compétence réservé au législateur.
10. En troisième lieu, l'article L. 341-3 du code de l'énergie prévoit que la Commission de régulation de l'énergie procède, selon des modalités qu'elle détermine, à la consultation des acteurs du marché de l'énergie. La Commission doit, dans ce cadre, exposer à ces acteurs de manière suffisamment précise les modalités de calcul des tarifs afin qu'ils puissent utilement lui transmettre leurs observations.
11. Il ressort des pièces du dossier qu'avant d'adopter la délibération du 17 mars 2022, la Commission de régulation de l'énergie a procédé, du 25 novembre 2021 au 5 janvier 2022, à une consultation publique des acteurs du marché de l'énergie. Dans son document de consultation, la Commission indiquait qu'elle envisageait d'introduire une composante supplémentaire au titre du traitement de la relève résiduelle, sur la base des coûts de relève résiduelle et du nombre d'utilisateurs concernés estimés par le gestionnaire de réseau de distribution d'électricité Enedis sur la période 2022-2024. Par cette consultation, dont la durée a été suffisante, la Commission de régulation de l'énergie a mis les acteurs à même de lui transmettre utilement leurs observations. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'adoption de la délibération du 17 mars 2022 ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
Quant au cadre juridique :
12. Aux termes de l'article L. 341-4 du code de l'énergie : " Les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité mettent en œuvre des dispositifs permettant aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents suivant les périodes de l'année ou de la journée et incitant les utilisateurs des réseaux à limiter leur consommation pendant les périodes où la consommation de l'ensemble des consommateurs est la plus élevée (...) ". Aux termes de l'article R. 341-4 du même code : " Pour l'application des dispositions de l'article L. 341-4 (...), les gestionnaires de réseaux publics de transport et de distribution d'électricité mettent en œuvre des dispositifs de comptage permettant aux utilisateurs d'accéder aux données relatives à leur production ou leur consommation et aux tiers autorisés par les utilisateurs à celles concernant leurs clients ". L'article R. 341-6 prévoit qu'un arrêté du ministre chargé de l'énergie pris sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie précise, au vu notamment des exigences d'interopérabilité du système, les fonctionnalités et les spécifications des dispositifs de comptage prévus à l'article R. 341-4. Enfin, l'article R. 341-8 du même code dispose que " (...) D'ici au 31 décembre 2020, 80 % au moins des dispositifs de comptage des installations d'utilisateurs raccordées en basse tension (BT) pour des puissances inférieures ou égales à 36 kilovoltampères sont rendus conformes aux prescriptions de l'arrêté prévu à l'article R. 341-6, dans la perspective d'atteindre un objectif de 100 % d'ici 2024 (...) ".
Quant à l'exigence de couverture des coûts :
13. Il résulte des dispositions de l'article L. 341-2 du code de l'énergie citées au point 5 que la rémunération qu'un gestionnaire de réseau de distribution d'électricité tire de l'application des tarifs d'utilisation du réseau public doit au moins couvrir ses charges d'exploitation et ses charges d'investissement, prises dans leur ensemble, sous réserve que ces coûts n'excèdent pas ceux d'un gestionnaire de réseau efficace compte tenu des gains de productivité attendus de lui.
14. D'une part, il ressort des termes de la délibération attaquée du
17 mars 2022 que la composante de comptage du TURPE 6 HTA-BT " inclut uniquement les coûts de relève d'un parc entièrement constitué de compteurs Linky ", et que " les coûts spécifiques liés à la relève résiduelle des utilisateurs non encore équipés de compteurs Linky n'ont pas été pris en compte dans l'actuelle composante de comptage du TURPE 6 HTA-BT ". D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le surcoût correspondant à la relève résiduelle des index de consommation non transmis par les utilisateurs ne disposant pas d'un dispositif de comptage communiquant, estimé à un montant de 26 millions d'euros, excèderait celui supporté par un gestionnaire de réseau efficace. Par suite, en introduisant la composante tarifaire litigieuse pour couvrir le surcoût résultant de la relève résiduelle, la Commission de régulation de l'énergie n'a pas méconnu l'exigence de couverture des coûts posée par l'article L. 341-2 du code de l'énergie.
Quant au principe d'égalité :
15. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
16. En premier lieu, les requérants soutiennent que la composante tarifaire litigieuse institue une différence de traitement entre les utilisateurs du réseau public de distribution d'électricité selon que l'utilisateur dispose ou non d'un dispositif de comptage communicant. Toutefois, les utilisateurs qui ne disposent pas d'un tel dispositif et qui sont " muets ", c'est-à-dire qui ne transmettent pas leur index de consommation pendant plus de douze mois en dépit de relances de la part du gérant du réseau de distribution dont ils relèvent, sont dans une situation différente de ceux qui en disposent, ou de ceux qui n'en disposent pas et ne sont pas " muets ". En outre, ainsi qu'il a été dit au point 14, la composante tarifaire litigieuse a pour objet de couvrir le surcoût résultant de la relève résiduelle imposée par l'absence de transmission, par les utilisateurs non dotés d'un dispositif de comptage communiquant, de leur index de consommation. Il en résulte que la différence de traitement qui résulte de la facturation de la composante tarifaire litigieuse aux seuls utilisateurs non dotés d'un dispositif de comptage communicant et qui sont " muets " est en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et n'est pas manifestement disproportionnée.
17. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que l'instauration de la composante tarifaire litigieuse méconnaît le principe d'égalité en ne prenant pas en compte les raisons pour lesquelles certains utilisateurs ne sont pas équipés d'un compteur communicant. Toutefois, dès lors que la composante tarifaire litigieuse n'est facturée qu'aux seuls de ces utilisateurs qui sont " muets ", le motif justifiant l'absence d'équipement est sans incidence au regard du principe d'égalité.
18. En troisième lieu, les requérants soutiennent que la délibération du
17 mars 2022 institue une différence de traitement illégale entre les usagers situés dans la zone de desserte exclusive concédée à Enedis et ceux situés dans la zone de desserte exclusive d'un autre gestionnaire de réseau de distribution d'électricité, pour lesquels la délibération ne prévoit pas l'instauration de la composante tarifaire litigieuse.
19. Il ressort des pièces du dossier que si les dispositions de l'article R. 341-8 du code de l'énergie citées au point 12 fixent un objectif de déploiement des dispositifs de comptage communicants de 80 % d'ici au 31 décembre 2020, dans la perspective d'atteindre un objectif de 100 % d'ici 2024, pour tous les utilisateurs raccordés en basse tension (BT) pour des puissances inférieures ou égales à 36 kilovoltampères, tous gestionnaires de réseau de distribution confondus, seul Enedis a atteint, sur sa zone de desserte exclusive, un taux de déploiement suffisant, permettant de regarder la relève des compteurs non communicants comme résiduelle, et par conséquent d'identifier un surcoût spécifique à cette relève. Par suite, les utilisateurs situés dans la zone de desserte exclusive d'Enedis sont dans une situation de fait distincte de ceux situés dans la zone de desserte exclusive des autres gestionnaires de réseau de distribution pour lesquels la relève des compteurs non communicants ne peut être encore qualifiée de résiduelle. L'objet de la composante tarifaire litigieuse étant, ainsi qu'il a été dit au point 14, de couvrir les surcoûts relatifs à la relève résiduelle, la différence temporaire de traitement entre les utilisateurs selon le calendrier de déploiement des compteurs communicants du gestionnaire de réseau de distribution dont ils relèvent, qui n'est pas manifestement disproportionnée, est en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit.
20. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 à 19 que les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité par la Commission de régulation de l'énergie doivent être écartés.
Sur la péréquation nationale des tarifs :
21. Eu égard au caractère temporaire de la limitation du champ territorial de la composante tarifaire en litige aux seuls clients situés dans la zone de desserte exclusive concédée à Enedis, dans l'attente du déploiement généralisé des compteurs communicants par l'ensemble des gestionnaires de réseaux de distribution dans leurs zones de desserte respectives, la Commission de régulation de l'énergie n'a pas, en tout état de cause, méconnu le principe de péréquation nationale des tarifs prévu au deuxième alinéa de l'article L. 121-5 du code de l'énergie.
Quant aux autres moyens :
22. En premier lieu, il ressort des termes de la délibération du 17 mars 2022 que pour fixer le montant de la composante tarifaire à 8,30 euros tous les deux mois, la Commission de régulation de l'énergie s'est fondée les estimations d'Enedis, à savoir un surcoût annuel moyen d'environ 26 millions d'euros et un nombre d'utilisateurs concernés d'environ cinq cent mille. Ce faisant, la Commission de régulation de l'énergie n'a pas méconnu l'exigence de transparence posée par l'article L. 341-2 du code de l'énergie et la compétence qu'elle tient, ainsi qu'il a été dit au point 6, de l'article L. 341-3 du même code.
23. En deuxième lieu, en instituant la composante tarifaire litigieuse, laquelle n'a pas, ainsi qu'il a été dit au point 6, le caractère d'une punition, la Commission de régulation de l'énergie n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
24. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er de la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ". Aux termes de son article 5 : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ". Aux termes du 1° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, la protection et la gestion des espaces, ressources et milieux naturels s'inspirent notamment du " principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ".
25. Il résulte des dispositions précitées que le principe de précaution s'applique en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Il ne saurait dès lors être utilement invoqué par les requérants à l'encontre des délibérations qu'ils attaquent, qui ne portent par elles-mêmes aucune atteinte à l'environnement.
26. En quatrième lieu, les requérants ne peuvent en tout état de cause utilement soutenir que la Commission de régulation de l'énergie aurait méconnu l'absence d'une " obligation légale " pour les usagers du service public de la distribution d'électricité d'accepter la pose d'un dispositif de comptage communicant, ou l'autorité de la chose jugée par le juge judiciaire en faveur de certains usagers s'étant vu reconnaître le droit de ne pas recevoir de courant porteur en ligne à leur domicile ou d'obtenir la pose d'un filtre, dès lors que les délibérations attaquées n'ont ni pour objet ni pour effet d'imposer la pose d'un compteur communicant. Par ailleurs, la circonstance que la pose de compteurs communicants ait pu conduire dans certains cas à une violation de domicile est, à la supposer établie, inopérante dans le cadre du présent litige.
27. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) " Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".
28. Les requérants soutiennent, d'une part, que la délibération du
17 mars 2022, en tant qu'elle incite les consommateurs d'électricité à accepter la pose d'un compteur communicant, méconnaît le droit au respect de la vie privée protégé par les stipulations de l'article 8 de cette convention. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 9 que ce moyen ne peut qu'être écarté.
29. Ils soutiennent, d'autre part, que la délibération litigieuse édicte une discrimination en fonction de ce que les utilisateurs pensent des compteurs communicants ou en fonction de leur état de santé, en méconnaissance des stipulations de l'article 14 de cette même convention. Compte tenu de ce qui a été dit au point 17, ce moyen doit être écarté.
30. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la délibération du 17 mars 2022. L'illégalité de la délibération du 9 juin 2022 n'étant soulevée que par voie de conséquence de l'illégalité de la délibération du 17 mars 2022, les requérants ne sont pas davantage fondés à en demander l'annulation.
31. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la Commission de régulation de l'énergie, les requêtes de l'association Zones blanches et autres et de l'association Stop Linky-5G 88 et autres doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de Mme DO... et autres au soutien de la requête n° 467054 est admise.
Article 2 : Les requêtes de l'association Zones blanches et autres et de l'association
Stop Linky-5G 88 et autres sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Zones blanches, première requérante dénommée sous le n° 467054, à l'association Stop Linky-5G 88, première requérante dénommée sous le n° 469876, à Mme EP... DO... pour l'ensemble des intervenants sous le n° 467054 et à la Commission de régulation de l'énergie.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Enedis.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 janvier 2024 où siégeaient :
Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 13 février 2024.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :