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05/02/2024 | FRANCE | N°470075

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 05 février 2024, 470075


Vu les procédures suivantes :



La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet qui ont été opposées à ses demandes d'assujettir à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018, diverses installations du port de Calais exploitées par la Société d'exploitation des ports du détroit et pa

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Vu les procédures suivantes :

La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet qui ont été opposées à ses demandes d'assujettir à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018, diverses installations du port de Calais exploitées par la Société d'exploitation des ports du détroit et par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP, et, d'autre part, de condamner l'Etat à indemniser son préjudice tenant à la perte de recettes fiscales causée par cette absence d'assujettissement. Par un jugement

nos 1709530, 1801791, 1810712 du 24 juin 2020, ce tribunal, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu à statuer en ce qui concerne certains équipements, a fait partiellement droit à sa demande et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un arrêt n° 20DA01231 du 10 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, annulé les décisions implicites de rejet qui lui ont été opposées en tant qu'elles portent sur l'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018 et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.

I. - Sous le n° 470075, par un pourvoi enregistré le 28 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt du 10 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Douai ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter entièrement l'appel de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.

II. - Sous le n° 470494, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 16 janvier, 17 avril et 13 novembre 2023, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 4 de l'arrêt du 10 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Douai ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers sont dirigés contre le même arrêt de la cour administrative d'appel de Douai. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la région Nord-Pas-de-Calais, propriétaire du port maritime de commerce de Calais, a signé le 19 février 2015 un contrat de concession de ce port avec la Société d'exploitation des ports du détroit, détenue à hauteur de 78 % par la chambre de commerce et d'industrie de région Nord-de-France et la chambre de commerce Côte-d'Opale. Le même jour, cette société a signé un contrat de subdélégation avec la Société des ports du détroit, détenue à hauteur de 80 % par les sociétés CDC Infrastructures et Meridiam Infrastructures, laquelle a conclu un contrat de conception-réalisation avec un groupement d'entreprises, la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP. La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet de ses demandes tendant à l'assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018 de diverses installations du port exploitées par la Société d'exploitation des ports du détroit et par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP à raison d'installations industrielles qu'elle exploitait et, d'autre part, de condamner l'Etat au versement de la somme de 4,5 millions d'euros en réparation du préjudice causé par la perte de recettes fiscales qu'elle estimait avoir subie. Par un jugement du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit à sa demande et rejeté le surplus de ses conclusions. Par un arrêt du 10 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a annulé les décisions implicites de rejet en tant qu'elles portaient sur l'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de la collectivité d'agglomération Grand Calais Terres et Mers. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sous le n° 470075, et la collectivité d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, sous le n° 470494, demandent respectivement l'annulation des articles 1er à 3 et de l'article 4 de cet arrêt.

Sur le pourvoi du ministre :

3. Aux termes des dispositions de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2018 : " Sont exonérés de la cotisation foncière des entreprises : / (...) / 2° Les grands ports maritimes, les ports autonomes, ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics ou des sociétés d'économie mixte, à l'exception des ports de plaisance ". Aux termes du II des dispositions de l'article 1586 ter du même code : " 1. (...) Pour la détermination de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, on retient la valeur ajoutée produite (...), à l'exception (...) de la valeur ajoutée afférente aux activités exonérées de cotisation foncière des entreprises en application des articles 1449 à 1463 (...) ".

4. Par une décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018, le Conseil constitutionnel, saisi de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article 1449 du code général des impôts a déclaré contraires à la Constitution et abrogé, à compter du 1er janvier 2019, les mots " ou des sociétés d'économie mixte " au motif que le législateur avait, compte tenu de l'objectif qu'il s'était assigné, méconnu les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en excluant du champ d'application de ces dispositions " d'autres sociétés susceptibles de gérer un port, n'ayant pas le statut de sociétés d'économie mixte, mais dont le capital peut être significativement, voire totalement, détenu par des personnes publiques " telles que les " sociétés publiques locales, dont les collectivités territoriales ou leurs groupements détiennent la totalité du capital ". Il résulte de cette décision que les dispositions contestées restaient applicables au présent litige portant sur des années antérieures à 2019.

5. Il ressort des termes de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Douai, pour déterminer le champ de l'exonération de cotisation foncière des entreprises dont bénéficiaient les sociétés d'économie mixte en application des dispositions du 2° de l'article 1449 du code général des impôts citées au point 3, a interprété celles-ci en ce sens que, eu égard à l'objectif recherché par le législateur d'inciter les investissements publics dans les ports, sous forme soit de gestion directe par la personne publique, soit d'actionnariat public au sein d'une société, le bénéfice de l'exonération était réservé aux seules sociétés d'économie mixte dont une partie du capital était détenu par une collectivité territoriale assumant la compétence de gestion des ports. Elle en a déduit que, faute pour la région Hauts-de-France de participer à son capital, la Société d'exploitation des ports du détroit ne pouvait être regardée comme une société d'économie mixte exonérée de la cotisation foncière des entreprises en application du 2° de l'article 1449 du code général des impôts.

6. En limitant ainsi le bénéfice de l'exonération prévue au 2° de l'article 1449 du code général des impôts aux seules sociétés d'économie mixte dont une partie du capital était détenue par une collectivité territoriale assumant la compétence de gestion des ports, la cour a ajouté une condition non prévue par les dispositions en cause et a, par suite, commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt qu'il attaque.

Sur le pourvoi de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers :

S'agissant de la demande indemnitaire relative à l'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit :

8. L'annulation, prononcée au point 7, emporte nécessairement celle de l'article 4 de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers tendant à obtenir réparation de la perte de recettes fiscales résultant de l'absence d'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit aux impositions locales en litige.

S'agissant de la demande indemnitaire relative à l'assujettissement de la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP :

9. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a estimé que la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers ne contestait pas sérieusement que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour l'année 2017 avait été acquittée au nom de la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP et qu'elle n'apportait aucun élément permettant d'expliquer l'importante différence entre son évaluation du montant dû et le montant de l'imposition résultant de la déclaration souscrite au nom de cette société. De cette analyse des écritures dont la communauté d'agglomération ne soutient pas que leur portée aurait été méconnue, la cour a déduit que les conclusions indemnitaires devaient être rejetées. En statuant ainsi, la cour n'a pas méconnu son office ni commis d'erreur de droit.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 1er à 3 de l'arrêt du 10 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Douai sont annulés ainsi que son article 4 en tant qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers relative à l'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation décidée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Douai.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 janvier 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge,

M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 5 février 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Vincent Mazauric

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470075
Date de la décision : 05/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 fév. 2024, n° 470075
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Mazauric
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470075.20240205
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