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05/02/2024 | FRANCE | N°461978

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 05 février 2024, 461978


Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 28 février 2022 et le 21 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande d'abrogation des 1° et 2° de l'article 7 du décret n° 2017-457 du 30 mars 2017 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) de la Guyane ;



2°) d'enjoindre au Premie

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Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 28 février 2022 et le 21 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande d'abrogation des 1° et 2° de l'article 7 du décret n° 2017-457 du 30 mars 2017 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) de la Guyane ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger les 1° et 2° de l'article 7 du décret n° 2017-457 du 30 mars 2017 relatif à la PPE de la Guyane dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au Premier ministre d'examiner à nouveau la demande d'abrogation des 1° et 2° de l'article 7 du décret n° 2017-457 du 30 mars 2017 relatif à la PPE de la Guyane formée par France Nature Environnement le 29 octobre 2021 dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société EDF Production Electrique Insulaire ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 janvier 2024, présentée par l'association France Nature Environnement ;

Considérant ce qui suit :

Sur l'intervention de la société EDF Production Electrique Insulaire :

1. Eu égard à l'objet du litige et à son implication dans le projet de centrale thermique du Larivot, la société EDF Production Electrique Insulaire justifie d'un intérêt suffisant au maintien des dispositions de la programmation pluriannuelle de l'énergie de la Guyane pour intervenir dans la présente instance au soutien des conclusions présentées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur la requête :

2. Aux termes de l'article L. 141-5 du code de l'énergie : " I. - La Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis et Futuna font chacun l'objet d'une programmation pluriannuelle de l'énergie distincte, qui s'appuie sur le bilan prévisionnel mentionné à l'article L. 141-9 du présent code (...). / Sauf mention contraire, cette programmation contient les volets mentionnés à l'article L. 141-2 du présent code, est établie et peut être révisée selon les modalités mentionnées aux articles L. 141-3 et L. 141-4. / II. - Dans les collectivités mentionnées au I du présent article, à l'exception de la Corse, de Saint-Pierre-et-Miquelon et des îles Wallis et Futuna, la programmation pluriannuelle de l'énergie constitue le volet énergie du schéma d'aménagement régional mentionné à l'article L. 4433-7 du code général des collectivités territoriales en tant qu'il vaut schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (...) ". L'article L. 4433-7-3 du code général des collectivités territoriales dispose que : " Le schéma d'aménagement régional fixe la stratégie du territoire en matière d'adaptation au changement climatique et d'amélioration de la qualité de l'air. A ce titre, il fixe, à son niveau : / 1° Les orientations permettant d'atténuer le changement climatique et de s'y adapter conformément à l'engagement pris par la France à l'article L. 100-4 du code de l'énergie (...) ".

3. Par un décret du 30 mars 2017, le Premier ministre a adopté la programmation pluriannuelle de l'énergie pour la Guyane pour les périodes 2016-2018 et 2019-2023. Par deux décrets du 27 août 2021 et du 26 décembre 2023, le Premier ministre a révisé cette programmation. Aux termes de l'article 7 du décret du 30 mars 2017, dans sa version issue de ces modifications : " Les objectifs concernant la production d'électricité à partir de bioliquides ou d'énergies fossiles et la sécurisation de l'alimentation électrique en Guyane sont : / 1° Le remplacement des capacités installées de la centrale thermique et des deux turbines à combustion situées à Dégrad-des-Cannes ainsi que de la turbine à combustion située à Kourou d'ici à la fin de l'année 2023 par une centrale thermique d'une puissance totale de l'ordre de 120 MW permettant de répondre à des besoins estimés à 80 MW de base et 40 MW de pointe dans la région de Cayenne. Cette centrale est conçue pour pouvoir fonctionner dès sa mise en service commerciale aux bioliquides, au gaz naturel et au fioul léger. Cette centrale assure l'équilibre offre-demande et fournit les services système demandés par le gestionnaire de réseau. Pour la production d'énergie, cette centrale est appelée par le gestionnaire de réseau après les autres installations de production d'électricité renouvelables valorisant une source de production locale. Une centrale photovoltaïque de 10 MW sans stockage est associée à cette centrale thermique ; (...) / 2° La mise en place d'un plan d'approvisionnement en bioliquides durables, incluant un volet lié à la production locale du territoire d'ici à 2023. Ces bioliquides devront respecter les exigences définies selon les dispositions des chapitres 1 et 3 du titre 8 du livre 2 du code de l'énergie (...) ".

4. En premier lieu, si l'association requérante soutient que les dispositions litigieuses méconnaissent les objectifs de politique énergétique fixés à l'article L. 100-1 du code de l'énergie, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

5. En deuxième lieu, d'une part, l'article L. 100-4 du code de l'énergie dispose que : " I. Pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : / 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. La trajectoire est précisée dans les budgets carbone mentionnés à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement. Pour l'application du présent 1°, la neutralité carbone est entendue comme un équilibre, sur le territoire national, entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre, tel que mentionné à l'article 4 de l'accord de Paris ratifié le 5 octobre 2016. (...) / 3° De réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 40 % en 2030 par rapport à l'année de référence 2012, en modulant cet objectif par énergie fossile en fonction du facteur d'émissions de gaz à effet de serre de chacune. Dans cette perspective, il est mis fin en priorité à l'usage des énergies fossiles les plus émettrices de gaz à effet de serre (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 222-1-B du code de l'environnement : " I. - La stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée " stratégie bas-carbone ", fixée par décret, définit la marche à suivre pour conduire la politique d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions soutenables sur le plan économique à moyen et long termes afin d'atteindre les objectifs définis par la loi prévue à l'article L. 100-1 A du code de l'énergie (...). / III. - L'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs prennent en compte la stratégie bas-carbone dans leurs documents de planification et de programmation qui ont des incidences significatives sur les émissions de gaz à effet de serre (...) ". Il résulte de ces dispositions, et de celles citées au point 2, que lorsqu'il adopte la programmation pluriannuelle de l'énergie de chacune des collectivités mentionnées à l'article L. 141-5 du code de l'énergie, le pouvoir réglementaire doit prendre en compte la stratégie nationale bas-carbone et les objectifs de la politique énergétique nationale énoncés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie. La stratégie nationale bas-carbone, adoptée par le décret du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone, comporte notamment un objectif de réduction de 33 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 2015 et un objectif de décarbonation quasi-complète de la production d'énergie à l'horizon 2050. Elle comporte également des orientations sectorielles, et en ce qui concerne le secteur de l'énergie, une orientation E1 qui fixe notamment les objectifs suivants : " S'assurer que les moyens de production thermique évoluent vers des solutions d'origine renouvelable, dans les cas où cette évolution s'avère pertinente d'un point de vue économique et environnemental ; / Développer très fortement la mobilisation de la ressource en biomasse, dans des conditions environnementales et économiques optimales, dans le respect de la biodiversité, en privilégiant les usages matériaux et en veillant à l'efficience des filières, y compris dans la valorisation énergétique en privilégiant les usages régionaux ou locaux et en prenant en compte les impacts du changement climatique, y compris sur la ressource en eau ; / Développer la filière de raffinage des produits et combustibles liquides et gazeux à partir de biomasse et mettre en place les incitations pour concrétiser sa rentabilité économique à mesure que les filières deviennent pertinentes ".

6. Il ressort des pièces du dossier que la décision de fixer un objectif de mise en service d'une nouvelle centrale thermique en Guyane a été prise au vu de l'augmentation projetée du besoin en électricité de ce territoire résultant notamment de la hausse démographique et de la croissance économique dans un contexte d'électrification des usages, afin de sécuriser l'approvisionnement électrique de la Guyane, en palliant les insuffisances projetées des autres moyens de production d'électricité d'origine renouvelable, tout en réduisant au minimum de 30 % les émissions de gaz à effet de serre pour chaque MWh produit par rapport aux capacités thermiques actuellement exploitées. Cette nouvelle centrale a vocation à n'être appelée par le gestionnaire de réseau qu'après les autres installations de production d'électricité renouvelables et doit ainsi accompagner le développement de ces installations qui seront exploitées en priorité. Elle pourra en outre être alimentée par des bioliquides, ce qui contribuera à atteindre l'objectif de mobilisation de la ressource en biomasse et favorisera le développement d'une filière de raffinage des produits et combustibles liquides à partir de biomasse. Il résulte de ce qui précède que la programmation pluriannuelle de l'énergie de la Guyane prévue par le décret du 30 mars 2017 n'est pas manifestement incompatible avec les objectifs prévus aux 1° et 3° du I de l'article L. 100-4 du code de l'énergie, et que le pouvoir réglementaire n'a pas omis, en l'édictant, de prendre en compte l'orientation E1 de la stratégie nationale bas-carbone. Par ailleurs, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que l'objectif énoncé au 1° de l'article 7 du décret du 30 mars 2017 soit accompagné d'une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la requérante ne peut utilement soutenir que ces dispositions seraient illégales, faute d'avoir été accompagnées d'une telle trajectoire.

7. En troisième lieu, l'article L. 100-4 du code de l'énergie dispose que : " I. Pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : (...) / 8° De parvenir à l'autonomie énergétique et à un mix de production d'électricité composé à 100 % d'énergies renouvelables dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution à l'horizon 2030 (...) ". Les orientations de la stratégie nationale bas-carbone relatives à la production d'énergie comportent par ailleurs un " point de vigilance " selon lequel " dans les territoires d'Outre-Mer, les cultures énergétiques ne doivent pas venir se substituer aux cultures alimentaires ".

8. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, la mise en service d'une nouvelle centrale thermique en remplacement des capacités thermiques existantes contribuera à l'autonomie énergétique de la Guyane en renforçant la sécurité de son approvisionnement en électricité, et il résulte des dispositions de la programmation pluriannuelle de l'énergie de la Guyane que cette centrale ne sera appelée qu'en complément des moyens de production d'électricité d'origine renouvelable qui ont vocation à être développés à horizon 2030 et qu'elle pourra elle-même fonctionner avec des bioliquides durables d'origine locale, dont la part dans les combustibles de la centrale doit progressivement augmenter. Par suite, les dispositions litigieuses apporteront une contribution positive à l'autonomie énergétique de la Guyane et ne sont pas manifestement incompatibles avec l'objectif énoncé au 8° du I de l'article L. 100-4 du code de l'énergie.

9. D'autre part, si l'association requérante soutient que cette augmentation progressive de la production et de l'utilisation de bioliquides d'origine locale aura pour effet, eu égard aux spécificités du territoire guyanais et de son secteur agricole, de conduire au remplacement de cultures alimentaires par des cultures à vocation énergétique, les dispositions litigieuses se bornent à prévoir que la nouvelle centrale thermique pourra utiliser des bioliquides et à projeter la mise en place d'un plan d'approvisionnement en bioliquides durables incluant un volet lié à la production locale du territoire. Il n'est dès lors pas établi que ces dispositions conduiraient, par elles-mêmes, à la substitution de cultures alimentaires par des cultures énergétiques. L'association requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'en édictant ces dispositions, le pouvoir réglementaire aurait omis de prendre en compte le point de vigilance précité des orientations de la stratégie nationale bas-carbone relatives à la production d'énergie.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association France Nature Environnement doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de la société EDF Production Electrique Insulaire est admise.

Article 2 : La requête de l'association France Nature Environnement est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association France Nature Environnement, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société EDF Production Electrique Insulaire.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. David Gaudillère, maître des requêtes et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 5 février 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461978
Date de la décision : 05/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 fév. 2024, n° 461978
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:461978.20240205
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