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30/01/2024 | FRANCE | N°456967

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 30 janvier 2024, 456967


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 23 septembre et 21 décembre 2021 et le 21 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Systèmes et Télécommunications (SYSTEL) SA demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-970 du 21 juillet 2021 relatif au système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile " NexSIS 18-

112 " ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 23 septembre et 21 décembre 2021 et le 21 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Systèmes et Télécommunications (SYSTEL) SA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-970 du 21 juillet 2021 relatif au système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile " NexSIS 18-112 " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- le décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Systèmes et télécommunications ;

Considérant ce qui suit :

1. Le décret du 21 juillet 2021, dont les dispositions sont codifiées aux articles D. 732-11-19 à D. 732-11-23 du code de la sécurité intérieure, confie à l'établissement public Agence du numérique de la sécurité civile, créée par le décret du 8 octobre 2018, dont les dispositions ont été codifiées aux articles R. 732-11-1 à R. 732-11-18 du même code, la gestion du système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile, nommé " NexSIS 18-112 ". A ce titre, aux termes de l'article D. 732-11-19, l'Agence est " responsable des études, de la conception, du développement, du déploiement et de la mise à disposition " du système. Celui-ci, en application de l'article D. 732-11-21, " met en œuvre les systèmes et applications nécessaires : / 1° Au traitement des alertes reçues au travers des numéros d'appel d'urgence 18 et 112 ; / 2° Aux communications entre la population et les services de secours d'urgence ; / 3° A la gestion opérationnelle et à la gestion de crise assurées par les services d'incendie et de secours et ceux de la sécurité civile ; / 4° A l'interopérabilité avec les systèmes d'information des organismes publics et privés concourant à la sécurité civile, notamment ceux des services de sécurité publique et de santé. " Pour assurer la gestion de ce service d'intérêt économique général, l'agence dispose, aux termes de l'article D. 732-11-20, d'un " droit exclusif portant sur la fourniture aux services d'incendie et de secours ou à ceux de la sécurité civile, de tout ou partie des systèmes, applications ou prestations entrant dans le périmètre du système d'information et de commandement unifié " NexSIS 18-112 " ", qui a pour but " d'en améliorer l'efficacité et l'interopérabilité et d'en diminuer le coût ". Le même article prévoit qu'" afin d'utiliser un système d'information et de commandement unifié garantissant le respect des obligations d'interopérabilité avec l'ensemble des acteurs de la sécurité intérieure, de la santé et de l'urgence définies à l'article L. 1424-44 du code général des collectivités territoriales ainsi que celles prévues à l'article L. 732-5 du code de la sécurité intérieure, les services d'incendie et de secours disposent des prestations mises en œuvre par l'agence dans le cadre du système d'information et de commandement unifié " NexSIS 18-112 ". Ce droit exclusif, qui permet aux services départementaux d'incendie et de secours de recourir aux prestations de l'Agence sans la mettre en concurrence avec d'autres opérateurs, par dérogation aux règles de la commande publique, lui est octroyé pour une durée de dix ans, renouvelable pour une durée de cinq ans. Enfin, l'article D. 732-11-23 précise que les " services du système d'informations et de commandement unifié " NexSIS 18-112 " sont mis à la disposition des services d'incendie et de secours et de ceux de la sécurité civile selon une stratégie de déploiement progressif et des modalités de mise en œuvre définies par le conseil d'administration de l'agence ". La société SYSTEL SA demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. En premier lieu, si le décret du 8 octobre 2018 portant création de l'Agence du numérique de la sécurité civile a été pris en Conseil d'Etat, le décret contesté ne modifie pas les compétences de cet établissement public, telles qu'elles sont mentionnées à l'article R. 732-11-2 du code de la sécurité intérieure, qui y inclut, notamment, " le déploiement et la mise à disposition des systèmes d'information et de commandement à l'intention des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile ". Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il serait illégal pour ne pas avoir été soumis à la consultation du Conseil d'Etat.

3. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales : " Le Conseil national d'évaluation des normes est consulté par le Gouvernement sur l'impact technique et financier, pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics, des projets de textes réglementaires créant ou modifiant des normes qui leur sont applicables (...) ". Il résulte de ces dispositions que doivent être regardées comme des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics soit les normes qui les concernent spécifiquement ou principalement, soit les normes qui affectent de façon significative leurs compétences, leur organisation, leur fonctionnement ou leurs finances. Le décret attaqué a pour objet, ainsi qu'il a été dit au point 1, de confier à l'Agence du numérique de la sécurité civile la gestion du système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile NexSIS 18-112 et de prévoir la possibilité, pour les services d'incendie et de secours, de bénéficier de ce système sans avoir à appliquer les règles de la commande publique. Ces dispositions ne sauraient être regardées comme instituant des normes au sens et pour l'application du I l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales. Le moyen tiré de l'absence de consultation du Conseil d'évaluation des normes doit donc être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes du a) du 4° du I de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique aux fichiers et aux libertés, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) " est consultée sur tout projet de loi ou de décret ou toute disposition de projet de loi ou de décret relatifs à la protection des données à caractère personnel ou au traitement de telles données ". Il résulte de ces dispositions que la Commission nationale de l'informatique et des libertés doit être préalablement consultée sur tout projet de loi ou de décret comportant des dispositions, soit qui portent sur le cadre général de la protection des droits et libertés des personnes s'agissant de leurs données à caractère personnel ou du traitement de ces données, soit qui déterminent, dans certaines de leurs caractéristiques essentielles, les conditions de création ou de mise en œuvre d'un traitement ou une catégorie de traitements de données à caractère personnel. Si le décret attaqué prévoit que les fonctionnalités déployées par le système d'information NexSIS 18-112 devront répondre aux exigences de confidentialité, de protection des données et de sécurité définies notamment par le règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et par la loi du 6 janvier 1978, il n'a pas, par lui-même, pour objet de déterminer les conditions de création ou de mise en œuvre d'un traitement de données. Le moyen tiré du défaut de consultation de la CNIL doit, par suite, être écarté.

5. En dernier lieu, le décret attaqué n'appelant pas de mesures d'exécution de la part du ministre chargé de l'économie et des finances, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il serait illégal du fait de l'absence de contreseing de ce ministre

Sur la légalité interne du décret attaqué :

6. En premier lieu, le décret attaqué, ainsi qu'il a été dit au point 1, a notamment pour objet de permettre aux services d'incendie et de secours d'utiliser le système d'information et de commandement unifié NexSIS 18-112 sans mise en concurrence, sur le fondement du droit exclusif dont dispose l'Agence. Il résulte, en revanche, de ses termes qu'il n'impose pas aux services d'incendie et de secours d'adhérer à ce système. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, au motif que ses dispositions seraient imprécises ou équivoques, ne peut, par suite, qu'être écarté.

7. En second lieu, eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la mise en place progressive, sur l'ensemble du territoire national, d'un système d'information et de commandement unifié destiné, comme l'indique l'article D. 732-11-20 du code de la sécurité intérieure, à " apporter aux services d'incendie et de secours et de sécurité civile un appui dans la gestion de leurs systèmes d'information, aux fins d'en améliorer l'efficacité et l'interopérabilité et d'en diminuer le coût ", le choix fait par le Gouvernement de mettre en place, au moins dans une première phase, un droit exclusif dont la portée est d'inciter, par l'absence de mise en concurrence, les services d'incendie et de secours à recourir aux services de l'Agence du numérique de la sécurité civile, sans le leur imposer, est nécessaire et adapté à la satisfaction de l'objectif d'intérêt général recherché.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 21 juillet 2021 relatif au système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile " NexSIS 18-112 ". Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Systèmes et Télécommunications SA est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Systèmes et Télécommunications SA et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressé au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 30 janvier 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Emmanuel Weicheldinger

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 456967
Date de la décision : 30/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 jan. 2024, n° 456967
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Emmanuel Weicheldinger
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:456967.20240130
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