Vu la procédure suivante :
Par une décision du 20 juillet 2022, le Conseil d'Etat a admis les conclusions du pourvoi de la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Château Reillanne qui sont dirigées contre l'arrêt n° 21MA01551 du 9 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant seulement que celles-ci sont dirigées contre l'article 1er de cet arrêt.
Par un mémoire, enregistré le 28 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet des seules conclusions du pourvoi présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la consommation ;
- le décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Château Reillanne ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 7 août 2015, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a enjoint à la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Château Reillanne de se mettre en conformité avec la réglementation en modifiant l'étiquetage de ses bouteilles de vin par la suppression des mentions " Château du Haut Rayol " et " Château Marouine ". Par un jugement n° 1503551 du 1er mars 2018, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à la demande d'annulation de cette décision présentée par la société Château Reillanne. Par un arrêt du 1er juillet 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté sa demande. Par une décision du 16 avril 2021, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Marseille. Par un arrêt du 9 décembre 2021, cette dernière a, par l'article 1er de son arrêt, annulé le jugement du 1er mars 2018 en tant qu'il annule la décision du 7 août 2015 en tant que celle-ci enjoint à la SCEA Château Reillanne de mettre en conformité l'étiquetage de ses bouteilles de vin avec la réglementation en supprimant la mention " Château Marouine ". Par une décision du 20 juillet 2022, le Conseil d'Etat a admis les conclusions du pourvoi formé par la SCEA Château Reillanne contre cet arrêt en tant seulement que celles-ci sont dirigées contre l'article 1er de cet arrêt.
2. Il ressort des énonciations du paragraphe 3 de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a jugé que la SCEA Château Reillanne remplissait les conditions prévues par le décret du 4 mai 2012 lui permettant de continuer à utiliser le nom " Château Marouine ", et que par suite c'est à tort que la décision du 7 août 2015 lui avait enjoint de modifier l'étiquetage de ses bouteilles de vin par la suppression de cette mention. La SCEA est fondée à soutenir que, compte tenu de cette motivation, en annulant, à l'article 1er de cet arrêt, le jugement du tribunal administratif de Toulon du 1er mars 2018 en tant qu'il annule la décision du 7 août 2015 en tant qu'elle enjoint à la société Château Reillanne de mettre en conformité l'étiquetage de ses bouteilles de vin avec les prescriptions du code de la consommation par la suppression de la mention " Château Marouine ", la cour administrative d'appel a entaché cet arrêt d'une contradiction entre les motifs et le dispositif. Par suite, la SCEA Château Reillanne est fondée à demander l'annulation de l'article 1er de cet arrêt.
3. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée.
4. Aux termes de l'article 6 du décret du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques : " Au sens du présent décret, l'exploitation vitivinicole consiste en une entité déterminée constituée de parcelles viticoles, de bâtiments et équipements particuliers, et disposant pour la vinification et la conservation du vin d'une cuverie particulière individualisée ou identifiée au sein d'une cave coopérative de vinification dont elle fait partie. / Seuls les vins figurant au titre de la déclaration de récolte et au titre de la déclaration de production de l'exploitant, au sens des articles 8 et 9 du règlement du 26 mai 2009 susvisé, peuvent bénéficier du nom de l'exploitation ". Aux termes de l'article 7 du même décret : " Les mentions : "château", "clos", "cru" et "hospices" sont réservées aux vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée lorsque les vins sont issus de raisins récoltés sur les parcelles d'une exploitation ainsi dénommée et vinifiés dans cette exploitation. (...) ". Aux termes de l'article 8 du même décret : " En cas de création d'une nouvelle exploitation viticole par réunion de plusieurs exploitations viticoles répondant aux conditions ci-dessus, le nom de chaque exploitation, précédé par un des termes susvisés sous lequel tout ou partie de la production a été antérieurement mise en marché, peut continuer à être utilisé. / Dans ce cas, les raisins sont vinifiés : / a) Soit dans chacune des anciennes exploitations viticoles ; / b) Soit séparément dans les bâtiments de l'une d'elles ou dans les bâtiments propres à l'exploitation résultant du regroupement. / Pour les vins issus de la nouvelle exploitation telle que définie ci-dessus, l'emploi du nom des anciennes exploitations ainsi regroupées exclut l'utilisation d'un nouveau nom de ladite exploitation ".
5. Il résulte des termes mêmes de l'article 6 du décret du 4 mai 2012 cité au point 4 ci-dessus qu'une exploitation viticole s'entend d'une entité disposant de parcelles viticoles, qu'elle en soit propriétaire ou locataire dans le cadre d'un bail rural, de bâtiments et équipements particuliers et, pour la vinification et la conservation du vin, d'une cuverie particulière individualisée ou identifiée au sein d'une cave coopérative. Il résulte des dispositions de l'article 8 du même décret que, pour que soit caractérisée une réunion d'exploitations, permettant à la nouvelle entité de continuer à utiliser les noms des anciennes exploitations, dès lors que ces noms étaient utilisés antérieurement pour la commercialisation de tout ou partie de la production de chacune de ces anciennes exploitations, d'une part, ces anciennes exploitations doivent encore remplir, à la date de la réunion, les conditions posées à l'article 6, d'autre part, la nouvelle entité doit elle-même remplir ces conditions, reprendre l'ensemble de l'activité viticole des anciennes exploitations et de leurs parcelles demeurant affectées à cette activité, et continuer à assurer une vinification séparée du raisin par nom d'exploitation, ce qu'elle peut cependant faire, aux termes mêmes de l'article 8, soit dans les bâtiments de chacune des exploitations regroupées, soit dans les bâtiments de l'une d'elles, soit dans les bâtiments de la nouvelle exploitation. Il en découle qu'une telle réunion d'exploitations n'exige pas nécessairement la reprise, par l'entité nouvelle, des bâtiments et équipements des anciennes exploitations.
6. Il ressort des pièces du dossier que la SCEA Château Reillanne, qui exerce une activité d'exploitation viticole, a pris à bail, le 1er juillet 2012, des parcelles constituant le vignoble appartenant au groupement foncier agricole (GFA) J.E. Bouchez, antérieurement exploité pour produire un vin nommé " Château Marouine ". Il en ressort également, d'une part, qu'à la date à laquelle le bail a été conclu, le GFA J.E. Bouchez, propriétaire de vignes, de bâtiments et d'équipements ainsi que d'une cuverie, présentait les caractéristiques d'une exploitation viticole au sens de l'article 6 du décret du 4 mai 2012, de même que la SCEA Château Reillanne, qui disposait, outre de parcelles viticoles, de bâtiments d'exploitation propres dans lesquels elle procédait à la vinification et à la conservation du vin. Il en ressort encore, d'autre part, et notamment du bail conclu le 1er juillet 2012 et du relevé parcellaire daté du 12 juillet de la même année, que la SCEA Château Reillanne a repris l'ensemble de l'activité viticole de l'ancienne exploitation J.E. Bouchez et des parcelles demeurant affectées à cette activité, correspondant à une superficie de 11,0813 hectares. Enfin, il n'est pas contesté que la SCEA Château Reillanne assure une vinification séparée du raisin par nom d'exploitation. Dans ces conditions, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que, quand bien même la SCEA Château Reillanne n'a pas repris les bâtiments et équipements du GFA J.E. Bouchez, elle pouvait continuer à utiliser le nom " Château Marouine " utilisé antérieurement pour la commercialisation de tout ou partie de la production de l'exploitation qu'elle avait reprise. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision du 7 août 2015 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur en tant qu'elle enjoint à la SCEA Château Reillanne de se mettre en conformité avec la réglementation en modifiant l'étiquetage de ses bouteilles de vin par la suppression de la mention " Château Marouine ".
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Château Reillanne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 9 décembre 2021 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la requête présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique devant la cour administrative d'appel de Marseille dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Toulon du 1er mars 2018, en tant que celui-ci annule la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur du 7 août 2015 en tant qu'elle enjoint à la société Château Reillanne de se mettre en conformité avec la réglementation en modifiant l'étiquetage de ses bouteilles de vin par la suppression de la mention " Château Marouine ", sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à la société Château Reillanne la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société civile d'exploitation agricole Château Reillanne et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 décembre 2023 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat et M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 18 janvier 2024.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
Le rapporteur :
Signé : M. Géraud Sajust de Bergues
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova