La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/01/2024 | FRANCE | N°453729

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 10 janvier 2024, 453729


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 juin 2021, 29 novembre 2023 et 4 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du Premier ministre rejetant sa demande tendant à l'abrogation, d'une part, des articles 1er, 16 alinéa 3, 104 et 105, 154, 171 à 173, 183 et 184, 185 et 186, 197 alinéa 4 et 199, 232 alinéa 1er, 235 alinéa 1er, 241 et 24

1-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, d'autre ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 juin 2021, 29 novembre 2023 et 4 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du Premier ministre rejetant sa demande tendant à l'abrogation, d'une part, des articles 1er, 16 alinéa 3, 104 et 105, 154, 171 à 173, 183 et 184, 185 et 186, 197 alinéa 4 et 199, 232 alinéa 1er, 235 alinéa 1er, 241 et 241-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, d'autre part, de l'article 1014 du code de procédure civile et, enfin, des articles 6 alinéa 2, 10 alinéa 5, et 19 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ces dispositions dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'astreinte, à hauteur de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur certaines de ses conclusions et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme d'un million d'euros avec intérêts au taux légal en réparation du préjudice causé par l'atteinte portée à sa réputation du fait de l'activité normative de l'Etat ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 12 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;

- le code de procédure civile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1970 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret avocat du Conseil national des barreaux et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 7 juin 2021, M. B..., avocat inscrit au barreau de Marseille, a demandé au Premier ministre d'abroger, d'une part, les articles 1er, 16 alinéa 3, 104 et 105, 154, 171 à 173, 183 et 184, 185 et 186, 197 alinéa 4 et 199, 232 alinéa 1er, 235 alinéa 1er, 241 et 241-1 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, d'autre part, l'article 1014 du code de procédure civile et, enfin, les articles 6 alinéa 2, 10 alinéa 5, et 19 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat. Par la présente requête, il demande l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé à l'égard de cette demande.

Sur l'article 1014 du code de procédure civile :

2. Aux termes des deux premiers alinéas de cet article relatif à la procédure civile applicable devant la Cour de cassation, dont la rédaction n'a pas été modifiée par le décret du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et modifiant diverses dispositions : " Après le dépôt des mémoires, cette formation décide qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu'il n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. / Toute formation peut aussi décider de ne pas répondre de façon spécialement motivée à un ou plusieurs moyens irrecevables ou qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ".

3. M. B..., qui se borne à faire valoir que la Cour de cassation lui a appliqué ces dispositions en s'abstenant de motiver intégralement le rejet de son pourvoi dans le cadre d'une instance s'étant achevée plusieurs années avant la présentation de sa demande d'abrogation ne justifie pas, en sa simple qualité de justiciable, d'un intérêt suffisamment direct pour contester ces dispositions. Ses conclusions dirigées contre le refus du Premier ministre d'abroger cet article 1014 du code de procédure civile doivent, par suite, être rejetées comme irrecevables.

Sur l'intervention :

4. Le Conseil national des barreaux, la conférence des bâtonniers et l'ordre des avocats au barreau de Marseille justifient d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Par suite, leur intervention est recevable.

Sur le décret du 27 novembre 1991 :

En ce qui concerne l'article 1 :

5. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat : " Les avocats établis près de chaque tribunal judiciaire forment un barreau. Le barreau comprend les avocats inscrits au tableau ". Aux termes du premier alinéa de l'article 15 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Les avocats font partie de barreaux qui sont établis auprès des tribunaux judiciaires, suivant les règles fixées par les décrets prévus à l'article 53 ".

6. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'article 15 de la loi du 31 décembre 1971 cité au point précédent, qui ne saurait être interprété comme prévoyant une simple faculté d'inscription à un barreau, que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait, en édictant cet article, méconnu cette disposition législative ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que le requérant ne saurait, en tout état de cause, utilement soutenir que la disposition réglementaire litigieuse, qui découle de l'article 15 de la loi du 31 décembre 1971, porterait atteinte à la liberté d'entreprendre.

8. Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, l'obligation faite aux avocats d'appartenir à un barreau n'est, en tout état de cause, pas davantage contraire à la liberté d'association garantie par l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, chaque avocat conservant, par ailleurs, la possibilité de créer des associations professionnelles ou d'y adhérer.

En ce qui concerne l'article 16 :

9. Aux termes du troisième alinéa de l'article 16 du décret contesté, relatif aux contestations par un avocat des délibérations et décisions d'un conseil de l'ordre : " Sauf en matière disciplinaire, le conseil de l'ordre est partie à l'instance ".

10. Si le requérant soutient que cette disposition serait entachée d'incompétence en ce qu'elle autorise le conseil de l'ordre à ester en justice, il résulte des dispositions de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 que le conseil de l'ordre, qui a pour mission générale de traiter " toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits ", a pour tâche de " traiter toute question intéressant l'exercice de la profession, la défense des droits des avocats et la stricte observation de leurs devoirs " et d'" autoriser le bâtonnier à ester en justice ". Par suite, le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait été incompétent pour prendre cette disposition doit être écarté.

En ce qui concerne l'article 154 :

11. Aux termes de l'article 154 du décret contesté, désormais repris à l'article 43 du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats : " Ont seules droit au titre d'avocat les personnes inscrites au tableau d'un barreau français ".

12. En premier lieu, comme il a été dit plus haut, l'article 15 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que tout avocat fait partie d'un barreau suivant des règles fixées par décret. Par suite, le moyen tiré de ce que cette disposition du décret litigieux méconnaîtrait le domaine de la loi doit être écarté.

13. En deuxième lieu, la disposition litigieuse ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre au regard des objectifs d'intérêt général poursuivis.

14. Enfin, l'obligation d'inscription au tableau d'un barreau ne méconnaît pas davantage les stipulations de l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté d'association, chaque avocat ayant toujours la faculté de créer une association professionnelle ou d'y adhérer.

En ce qui concerne l'article 104 :

15. Aux termes de l'article 104 du décret contesté : " Doit être omis du tableau l'avocat qui se trouve dans un des cas d'exclusion ou d'incompatibilité prévus par la loi ou qui ne satisfait pas aux obligations de garantie et d'assurance prévues par l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 précitée ".

16. Contrairement à ce que soutient le requérant, cet article, qui se borne à prévoir l'omission du tableau des avocats ne remplissant pas les conditions pour y être inscrits, ne méconnaît pas le principe d'autonomie des conseils de l'ordre.

En ce qui concerne l'article 105 :

17. Aux termes de l'article 105 du décret contesté : " Peut être omis du tableau : / 1° L'avocat qui, soit par l'effet de maladie ou infirmité graves ou permanentes, soit par acceptation d'activités étrangères au barreau, est empêché d'exercer réellement sa profession ; / 2° L'avocat qui, sans motifs valables, n'acquitte pas dans les délais prescrits sa contribution aux charges de l'ordre ou sa cotisation à la Caisse nationale des barreaux français ou au Conseil national des barreaux, soit les sommes dues au titre des droits de plaidoirie ou appelées par la caisse au titre de la contribution équivalente ; / 3° L'avocat qui, sans motifs légitimes, n'exerce pas effectivement sa profession ".

18. En adoptant cette disposition, le pouvoir réglementaire, qui n'était pas tenu à peine d'illégalité de préciser que l'existence d'une maladie ou d'une infirmité grave doit être établie par un certificat médical ni de définir davantage l'absence d'exercice effectif de la profession, n'a méconnu ni le principe d'indépendance des avocats, ni le caractère libéral de la profession.

En ce qui concerne l'article 171 :

19. Aux termes de l'article 171 du décret contesté, désormais repris à l'article 47 du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats : " Lorsque l'avocat empêché se trouve dans l'impossibilité d'exercer son choix ou ne l'exerce pas, le ou les suppléants sont désignés par le bâtonnier. / La suppléance ne peut excéder un an ; à l'issue de ce délai, elle peut être renouvelée par le bâtonnier pour une période ne pouvant excéder un an. / Le suppléant assure la gestion du cabinet ; il accomplit lui-même tous les actes professionnels dans les mêmes conditions qu'aurait pu le faire le suppléé ". Aux termes de l'article 172 du même décret, désormais repris à l'article 48 du décret du 30 juin 2023 : " Le bâtonnier porte à la connaissance du procureur général le nom du ou des suppléants choisis ou désignés. / Il est mis fin à la suppléance par le bâtonnier soit d'office, soit à la requête du suppléé, du suppléant ou du procureur général ". Enfin, aux termes de l'article 173 du même décret, désormais repris à l'article 49 du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats : " En cas de décès ou lorsqu'un avocat fait l'objet d'une décision exécutoire de suspension provisoire, d'interdiction temporaire ou de radiation, le bâtonnier désigne un ou plusieurs administrateurs qui le remplacent dans ses fonctions. Il en est de même à l'expiration des délais prévus au deuxième alinéa de l'article 171. / L'administrateur perçoit à son profit les rémunérations relatives aux actes qu'il a accomplis. Il paie à concurrence de ces rémunérations les charges afférentes au fonctionnement du cabinet. Le bâtonnier informe le procureur général de la désignation du ou des administrateurs. / L'administration provisoire cesse de plein droit dès que la suspension provisoire ou l'interdiction temporaire a pris fin. Dans les autres cas, il y est mis fin par décision du bâtonnier ".

20. En premier lieu, aux termes de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 : " Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre. / Ils présentent notamment : / 1° Les conditions d'accès à la profession d'avocat ainsi que les incompatibilités, les conditions d'inscription au tableau et d'omission du tableau et les conditions d'exercice de la profession (...) ".

21. Il résulte de ces dispositions législatives que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait méconnu le domaine de la loi en édictant les articles 171, 172 et 173 du décret contesté doit être écarté.

En ce qui concerne l'article 277 :

22. En second lieu, aux termes de l'article 277 du décret du 27 novembre 1991 : " Il est procédé comme en matière civile pour tout ce qui n'est pas réglé par le présent décret ". Aux termes de l'article 25 du code de procédure civile : " Le juge statue en matière gracieuse lorsqu'en l'absence de litige il est saisi d'une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l'affaire ou de la qualité du requérant, qu'elle soit soumise à son contrôle ". Aux termes du second alinéa de l'article 547 du même code : " En matière gracieuse, l'appel est recevable même en l'absence d'autres parties ".

23. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les litiges relatifs aux décisions prises par les bâtonniers en matière de suppléance ou d'administration provisoire relèvent des règles applicables à la procédure en matière gracieuse. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de protection juridictionnelle effective doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne l'article 183 :

24. Aux termes de l'article 183 du décret contesté : " Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l'avocat qui en est l'auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l'article 184 ".

25. En premier lieu, il n'appartient pas au juge administratif de statuer sur la constitutionnalité des lois en dehors de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors, le moyen tiré de ce que c'est à tort que le législateur a renvoyé à des décrets en Conseil d'Etat la définition des règles déontologiques et du régime disciplinaire applicable à la profession d'avocat ne peut qu'être écarté. De plus, il résulte des dispositions précitées du 1° de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 que le pouvoir réglementaire était, contrairement à ce qui est soutenu, compétent pour prendre ces dispositions.

26. En deuxième lieu, le principe de nécessité des peines est satisfait pour ce qui concerne les sanctions susceptibles d'être infligées aux membres des professions réglementées et auxiliaires de justice, y compris celles revêtant un caractère disciplinaire, dès lors que les textes applicables font référence à des obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent ou de la profession à laquelle ils appartiennent. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance de ce principe ne peut qu'être écarté.

27. En troisième lieu, en énonçant les manquements aux obligations générales susceptibles d'entraîner des sanctions disciplinaires, ces dispositions n'ont pas davantage méconnu la liberté contractuelle ni le principe de respect des droits de la défense.

28. En quatrième lieu, les obligations déontologiques prévues par le pouvoir réglementaire, qui ont notamment pour objet de garantir la protection de la réputation ou des droits d'autrui ainsi que d'empêcher la violation du secret professionnel et préserver la dignité de la profession, ne portent pas d'atteinte disproportionnée à la liberté d'expression.

29. En cinquième lieu, la loi du 31 décembre 1971 pose le principe d'indépendance des avocats, tout en instituant par ailleurs une procédure disciplinaire. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'indépendance des avocats posé par la loi doit être écarté.

30. Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, et sans qu'il soit besoin de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles que mentionne le requérant, ces dispositions n'ont pu, par elles-mêmes, porter atteinte au principe d'autonomie des conseils de l'ordre ni au caractère libéral de la profession ou au principe d'impartialité des juridictions.

En ce qui concerne l'article 184 :

31. Si, pour contester la légalité de l'article 184 du décret fixant les sanctions dont sont passibles les avocats, le requérant soutient que c'est à tort que le législateur a renvoyé à des décrets en Conseil d'Etat la définition des règles déontologiques et du régime disciplinaire applicable à la profession d'avocat, ce moyen ne pourra qu'être écarté dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de statuer sur la constitutionnalité des lois en dehors de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité. De plus, le pouvoir réglementaire n'a pas excédé sa compétence en prévoyant la possibilité de rendre publiques les sanctions qu'il introduit et n'a méconnu aucune disposition ni aucun principe général en étendant l'effet de l'interdiction d'exercer au-delà du seul ressort du barreau au sein duquel l'infraction a été constatée. Enfin, si le requérant soutient, par ailleurs, que cet article serait nécessairement entaché des mêmes illégalités que l'article 183 dont il découle, ces moyens ne pourront, par voie de conséquence, qu'être écartés pour les mêmes motifs que ceux précédemment indiqués.

En ce qui concerne l'article 185 :

32. L'article 185 du décret contesté dispose que " l'avocat radié ne peut être inscrit au tableau d'aucun autre barreau ". Aux termes de l'article 186 du même décret : " l'avocat interdit temporairement doit, dès le moment où la décision est passée en force de chose jugée, s'abstenir de tout acte professionnel. Il ne peut en aucune circonstance faire état de sa qualité d'avocat. Il ne peut participer à l'activité des organismes professionnels auxquels il appartient ".

33. En premier lieu, il résulte de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 que le législateur a renvoyé à des décrets en Conseil d'Etat pour la fixation des conditions d'exercice de la profession, d'inscription au tableau ainsi que le régime des obligations et sanctions. Dès lors, le moyen tiré de ce que ces articles 185 et 186 ont été pris en méconnaissance de cette loi doit être écarté.

34. En second lieu, ces dispositions n'ont pu, par elles-mêmes, porter atteinte au principe d'autonomie des conseils de l'ordre ni méconnaître la liberté d'entreprendre ou le principe d'indépendance des avocats.

En ce qui concerne l'article 197 :

35. L'article 197 du décret contesté dispose, à son quatrième alinéa, désormais repris au septième alinéa du même article, que " le procureur général assure et surveille l'exécution des peines disciplinaires ".

36. Contrairement à ce que soutient le requérant, cette disposition n'est pas, en tout état de cause, dépourvue d'objet.

En ce qui concerne l'article 199 :

37. Aux termes de l'article 199 du décret contesté : " La décision suspendant provisoirement de ses fonctions l'avocat qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire est exécutoire nonobstant appel. / Le procureur général assure et surveille l'exécution de la mesure de suspension provisoire ".

38. En premier lieu, l'absence d'effet suspensif du recours formé contre la décision suspendant provisoirement de ses fonctions l'avocat faisant l'objet de poursuites pénales ou disciplinaires, qui, en l'absence de toute disposition ou tout principe imposant un tel effet, ne prive l'intéressé d'aucune des voies de recours qui lui sont ouvertes, ne méconnaît pas le droit à un recours effectif.

39. En second lieu, ces dispositions n'ont pu, par elles-mêmes, en tout état de cause, porter atteinte au principe d'autonomie des conseils de l'ordre ni méconnaître le principe d'indépendance des avocats ou le caractère libéral de la profession.

En ce qui concerne l'article 232 :

40. L'article 232 du décret contesté dispose, à son premier alinéa, que " l'avocat est tenu de présenter sa comptabilité à toute demande du bâtonnier ".

41. Contrairement à ce que soutient le requérant, cette disposition, prise compétemment par le pouvoir réglementaire sur le fondement du 9° de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971, qui donne pour mission au Conseil de l'ordre de vérifier la tenue de la comptabilité des avocats, n'a ni pour objet ni pour effet de permettre la violation du secret professionnel. Elle ne méconnaît pas davantage le droit au recours garanti par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En ce qui concerne l'article 235 :

42. L'article 235 du décret contesté prévoit que le règlement intérieur du barreau fixe les mesures propres à assurer les vérifications prévues par les dispositions du 9° de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971.

43. Contrairement à ce que soutient le requérant, le pouvoir réglementaire a pu légalement renvoyer au règlement intérieur du barreau le soin de préciser les mesures de vérification requises par des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu, sans méconnaître sa compétence, alors que le décret a, par ailleurs, énoncé avec précision l'ensemble des obligations comptables qui s'imposent à la profession, dans ses articles 229 à 235-5.

En ce qui concerne l'article 241 :

44. L'article 241 du décret contesté dispose qu'" aucun retrait de fonds du compte mentionné à l'article 240-1 ne peut intervenir sans un contrôle préalable de la caisse des règlements pécuniaires des avocats effectué selon des modalités définies par l'arrêté mentionné à l'article 241-1 ".

45. Le pouvoir réglementaire, qui a précisé par les articles 236 à 242 du décret l'ensemble des règles générales relatives à ces questions, n'a pas méconnu sa compétence en renvoyant à un arrêté ministériel le soin d'en préciser les modalités d'application.

En ce qui concerne l'article 241-1 :

46. L'article 241-1 du décret contesté prévoit qu'un arrêté du garde des sceaux, pris après avis de la commission de régulation des caisses des règlements pécuniaires des avocats, fixe les règles applicables aux dépôts et maniements des fonds, effets ou valeurs mentionnés par les dispositions du 9° de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971.

47. Aux termes de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 : " (...) des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre. / Ils présentent notamment : (...) les conditions dans lesquelles les avocats reçoivent des fonds, effets ou valeurs pour le compte de leurs clients, les déposent, sauf lorsqu'ils agissent en qualité de fiduciaire, dans une caisse créée obligatoirement à cette fin par chaque barreau ou en commun par plusieurs barreaux et en effectuent le règlement ".

48. Contrairement à ce que soutient le requérant, il ne résulte pas de ces dispositions de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 ni d'aucune autre disposition ou d'aucun principe que le pouvoir réglementaire était tenu de prévoir que le contrôle préalable exercé par chaque caisse des règlements pécuniaires des avocats sur les retraits de fonds au titre de l'article 241 du décret ne pourrait, à peine d'illégalité, avoir un caractère contraignant, ce contrôle exercé par la caisse des règlements pécuniaires des avocats étant, par ailleurs, distinct de la mission de vérification de la comptabilité dévolue par la loi au conseil de l'ordre.

Sur le décret du 12 juillet 2005 :

En ce qui concerne l'article 6 :

49. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 6 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, désormais reprises au deuxième alinéa de l'article 6 du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats, prévoient que " l'avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d'office, sauf motif légitime d'excuse ou d'empêchement admis par l'autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission ".

50. D'une part, aux termes de l'article 9 de la loi du 31 décembre 1971 : " l'avocat régulièrement commis d'office par le bâtonnier ou par le président de la cour d'assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d'excuse ou d'empêchement par le bâtonnier ou par le président ".

51. D'autre part, aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures (...) ".

52. Il résulte des termes du deuxième alinéa de l'article 6 du décret contesté que celui-ci précise, d'une part, que les motifs d'excuse ou d'empêchement susceptibles de permettre à l'avocat de refuser son ministère doivent présenter un caractère légitime et, d'autre part, que ceux-ci doivent être validés par l'autorité ayant procédé à la désignation ou à la commission. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette disposition serait dépourvue d'objet au sens de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration en ce qu'elle se bornerait à reprendre les prescriptions de l'article 9 de la loi du 31 décembre 1971 doit être écarté.

En ce qui concerne l'article 10 :

53. Aux termes du cinquième alinéa de l'article 10 du décret contesté, désormais repris au dernier alinéa de l'article 10 du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats : " La rémunération d'apports d'affaires est interdite ".

54. En premier lieu, le pouvoir réglementaire a pu, sans méconnaître le domaine de la loi, prendre cette disposition, l'article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971 renvoyant au pouvoir règlementaire la fixation des conditions de la sollicitation personnalisée à laquelle l'apport d'affaires et sa rémunération se rattachent.

55. En deuxième lieu, le requérant ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer la méconnaissance de l'obligation de consultation préalable de l'Autorité de la concurrence résultant des dispositions de l'article L. 462-2 du code de commerce, le moyen tiré de ce qu'un acte réglementaire a été édicté au terme d'une procédure irrégulière étant inopérant à l'appui de conclusions dirigées contre la décision refusant d'abroger cet acte.

56. Enfin, cette disposition n'a pas méconnu celles du paragraphe 1 de l'article 24 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, qui vise seulement à supprimer les interdictions totales de communications commerciales faites par les professions règlementées, ni porté une atteinte disproportionnée au principe de libre concurrence en créant une situation d'abus de position dominante en faveur des avocats déjà installés en France.

En ce qui concerne l'article 19 :

57. Aux termes de l'article 19 du décret contesté, désormais repris à l'article 19 du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats : " Sauf accord préalable du bâtonnier, l'avocat qui accepte de succéder à un confrère ne peut défendre les intérêts du client contre son prédécesseur. / Le nouvel avocat s'efforce d'obtenir de son client qu'il règle les sommes restant éventuellement dues à un confrère précédemment saisi du dossier. S'il reçoit du client un paiement alors que des sommes restent dues à son prédécesseur, il en informe le bâtonnier. / L'avocat qui succède à un confrère intervenant au titre de l'aide juridictionnelle ne peut réclamer des honoraires que si son client a expressément renoncé au bénéfice de celle-ci. Il informe auparavant son client des conséquences de cette renonciation. En outre, il informe de son intervention son confrère précédemment mandaté, le bureau d'aide juridictionnelle et le bâtonnier. / Les difficultés relatives à la rémunération de l'avocat initialement saisi ou à la restitution par ce dernier des pièces du dossier sont soumises au bâtonnier ".

58. Le requérant ne saurait utilement soutenir que ces dispositions seraient illégales en ce qu'elles s'abstiendraient de préciser les règles applicables aux avocats exerçant " hors barreau ", un tel mode d'exercice n'étant prévu par aucune disposition ni garanti par aucun principe.

59. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de refus d'abrogation qu'il attaque. Ses conclusions indemnitaires ne peuvent, par suite, en tout état de cause, qu'être rejetées et ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention du Conseil national des barreaux, de la conférence des bâtonniers et de l'ordre des avocats au barreau de Marseille est admise.

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au garde des sceaux, ministre de la justice, à la Première ministre, au Conseil national des barreaux, à la conférence des bâtonniers et à l'ordre des avocats au barreau de Marseille.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 décembre 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 10 janvier 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 453729
Date de la décision : 10/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jan. 2024, n° 453729
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:453729.20240110
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award