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04/01/2024 | FRANCE | N°474631

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 04 janvier 2024, 474631


Vu les procédures suivantes :



I. - La société Kazimo Trade et Invest Limited a demandé le 2 mars 2023 au tribunal administratif de Marseille :



1°) d'annuler la décision d'appliquer au navire " Amore Vero " le régime de gel prévu par le règlement (UE) n° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014 ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





II. - La société Kazimo Trade et Invest Limi

ted a demandé, le 2 mars 2023, au tribunal administratif de Marseille :



1°) d'annuler le procès-ve...

Vu les procédures suivantes :

I. - La société Kazimo Trade et Invest Limited a demandé le 2 mars 2023 au tribunal administratif de Marseille :

1°) d'annuler la décision d'appliquer au navire " Amore Vero " le régime de gel prévu par le règlement (UE) n° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. - La société Kazimo Trade et Invest Limited a demandé, le 2 mars 2023, au tribunal administratif de Marseille :

1°) d'annuler le procès-verbal du 3 mars 2022 de constat d'infraction de tentative de contournement des mesures de restriction prévues par le règlement d'exécution (UE) 2022/336 du Conseil du 28 février 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, et de retenue du navire " Amore Vero ", ainsi que le rapport du même jour de retenue des documents de navigation de ce navire ;

2°) d'ordonner la mainlevée et la restitution du navire " Amore Vero " et des documents en cause ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014 ;

- le règlement d'exécution (UE) 2022/336 du 28 février 2022 ;

- la décision n° 2014/145/PESC du 17 mars 2014 ;

- le code des douanes ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Kazimo Trade et Invest Limited et à la SCP Boré,

Salve de Bruneton, Mégret, avocat du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 21 décembre 2023, présentées sous les nos 474631 et 474632 pour la société Kazimo Trade et Invest Limited ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 351-3 du code de justice administrative : " Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'une juridiction administrative autre que le Conseil d'Etat, son président, ou le magistrat qu'il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu'il estime compétente. / Toutefois, en cas de difficultés particulières, il peut transmettre sans délai le dossier au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat qui règle la question de compétence et attribue le jugement de tout ou partie de l'affaire à la juridiction qu'il déclare compétente ". Aux termes de l'article R. 351-4 du même code : " Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat relève de la compétence d'une de ces juridictions administratives, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, pour rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance (...) ". Aux termes de l'article R. 351-5-1 de ce code : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions se rapportant à un litige qui ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, il est compétent, nonobstant les règles relatives aux voies de recours et à la répartition des compétences entre les juridictions administratives, pour se prononcer sur ces conclusions et décliner la compétence de la juridiction administrative ".

2. Par une ordonnance du 30 mai 2023, prise sur le fondement du second alinéa de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la présidente du tribunal administratif de Marseille a transmis au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, d'une part, sous le numéro 474631, la demande d'annulation de la décision d'appliquer au navire " Amore Vero " le régime de gel prévu par le règlement (UE) n° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014, et d'autre part, sous le numéro 474632, la demande d'annulation du procès-verbal du 3 mars 2022 d'infraction de tentative de contournement des mesures de restriction prévues par le règlement d'exécution (UE) du Conseil 2022/336 du 28 février 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) du Conseil n° 269/2014, et de retenue du navire " Amore Vero ", ainsi que le rapport du même jour de retenue des documents à bord de ce navire. Ces requêtes présentant à juger des questions semblables, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

Sur le cadre juridique :

3. Par une décision n° 2014/145/PESC du 17 mars 2014, prise sur le fondement de l'article 29 du traité sur l'Union européenne, le Conseil de l'Union européenne a décidé de prendre des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine. Pour la mise en œuvre de ces mesures restrictives, cette même autorité a, sur le fondement de l'article 215 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, pris le règlement (UE) du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine. Aux termes de l'article 2 de ce règlement : " 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou à des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leurs sont associés énumérés à l'annexe I, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes physiques ou que ces personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leurs sont associés possèdent, détiennent ou contrôlent. / 2. Aucuns fonds ni aucune ressource économique ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leurs sont associés, énumérés à l'annexe I, ni dégagés à leur profit ". L'article 1er de ce même règlement définit les " ressources économiques " comme " les avoirs de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, qui ne sont pas des fonds mais qui peuvent être utilisés pour obtenir des fonds, des biens ou des services ". Selon ce même article, aux fins de ce règlement, on entend par " gel des ressources économiques ", " toute action visant à empêcher l'utilisation de ressources économiques afin d'obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit, et notamment, mais pas exclusivement, leur vente, leur location ou leur mise sous hypothèque ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " Le présent règlement s'applique: / a) sur le territoire de l'Union, y compris dans son espace aérien ; / b) à bord de tout aéronef ou de tout navire relevant de la juridiction d'un État membre ; / c) à toute personne, à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire de l'Union, qui est ressortissante d'un État membre ; / d) à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union, établi ou constitué selon le droit d'un État membre ; / e) à toute personne morale, toute entité ou tout organisme pour toute activité économique exercée en totalité ou en partie dans l'Union ". Par le règlement d'exécution (UE) 2022/336 du 28 février 2022, le Conseil de l'Union européenne a décidé d'ajouter 26 personnes et une entité à la liste des personnes, entités et organismes faisant l'objet de mesures restrictives figurant en annexe du règlement (UE) n° 269/2014.

Sur la requête n° 474631 :

4. Le gel des biens en cause découle de la seule application du règlement (UE) du 17 mars 2014, complété par le règlement d'exécution (UE) du 28 février 2022, cité au point 3, lequel est, en vertu du deuxième alinéa de l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, à compter de sa publication au Journal officiel de l'Union européenne, sans qu'aucune mesure nationale ne soit requise. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'une décision aurait été prise par les autorités administratives nationales pour appliquer au navire " Amore Vero " le régime de gel prévu par ce règlement du 17 mars 2014 et son annexe. Les conclusions de la société requérante sont ainsi dépourvues d'objet, et, par suite, entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance. Il y a dès lors lieu, en application des dispositions de l'article R. 351-4 du code de justice administrative, citées au point 1, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur son attribution, de rejeter la requête de la société Kazimo Trade et Invest Limited.

Sur la requête n° 474632 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 459 du code des douanes : " 1. Quiconque aura contrevenu ou tenté de contrevenir à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger (...) sera puni d'une peine d'emprisonnement de cinq ans, de la confiscation du corps du délit, de la confiscation des moyens de transport utilisés pour la fraude, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction et d'une amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction. / 1 bis. Est puni des mêmes peines le fait, pour toute personne, de contrevenir ou de tenter de contrevenir aux mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par la réglementation communautaire prise en application des articles 75 ou 215 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou par les traités et accords internationaux régulièrement approuvés et ratifiés par la France ".

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 323 du code des douanes : " 1. Les infractions aux lois et règlements douaniers peuvent être constatées par un agent des douanes ou de toute autre administration. / 2. Ceux qui constatent une infraction douanière ont le droit de saisir tous objets passibles de confiscation, de retenir les expéditions et tous autres documents relatifs aux objets saisis et de procéder à la retenue préventive des objets affectés à la sûreté des pénalités ". Aux termes de l'article 334 de ce code : " 1. Les résultats des contrôles opérés dans les conditions prévues à l'article 65 ci-dessus et, d'une manière générale, ceux des enquêtes et interrogatoires effectués par les agents des douanes sont consignés dans les procès-verbaux de constat. / 2. Ces procès-verbaux énoncent la date et le lieu des contrôles et des enquêtes effectués, la nature des constatations faites et des renseignements recueillis, la saisie des documents, s'il y a lieu, ainsi que les noms, qualité et résidence administrative des agents verbalisateurs ". Aux termes de l'article 378 du même code : " Dans tous les cas de constatation d'infraction douanière flagrante, les moyens de transport et les marchandises litigieuses non passibles de confiscation peuvent, pour sûreté des pénalités encourues, être retenus jusqu'à ce qu'il soit fourni caution ou versé consignation du montant desdites pénalités ".

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 333 du code des douanes : " 1. Les procès-verbaux constatant les délits de douane sont remis au procureur de la République (...) ". Aux termes du 1 de l'article 357 du même code : " Les tribunaux correctionnels connaissent de tous les délits de douane et de toutes les questions douanières soulevées par voie d'exception ".

8. Les actes dont la société Kazimo Trade et Invest Limited demande l'annulation sous le numéro 474632 sont, d'une part, le procès-verbal de constat d'infraction du 3 mars 2022, signé par deux agents de la brigade de surveillance nautique de Bandol et quatre agents de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, qui constate le délit, puni en application des dispositions du 1 bis de l'article 459 du code des douanes citées au point 5, consistant pour toute personne à contrevenir ou tenter de contrevenir aux mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par la réglementation communautaire prise en application des articles 75 ou 215 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notifie la saisie du navire " Amore Vero ", opérée en application, notamment, de l'article 323 du code des douanes, et, d'autre part, en connexité avec ce procès-verbal, le rapport du 3 mars 2022, signé par deux agents du service de garde-côtes des douanes de Méditerranée, qui prononce, conformément au 2 de l'article 334 du code des douanes, cité au point 6, la retenue du certificat d'enregistrement et du certificat d'assurance du navire. Ces différents actes ont ainsi été pris sur le fondement de dispositions du code des douanes relatives à la constatation des infractions douanières et à leur constatation par procès-verbal de saisie ou de constat, remis au procureur de la République conformément au 1 de l'article 333 de ce code, cité au point 7, et dont les tribunaux correctionnels connaissent en application du 1 de l'article 357 du même code, également cité au point 7.

9. Il suit de là que ce litige, relatif à des actes pris pour constater et réprimer une infraction pénale déterminée, relève de la compétence des juridictions judiciaires. Il y a dès lors lieu, en application des dispositions de l'article R. 351-5-1 du code de justice administrative citées au point 1, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur son attribution à une juridiction administrative, de rejeter la requête de la société Kazimo Trade et Invest Limited comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Kazimo Trade et Invest Limited, la somme demandée dans ces deux instances et au titre des mêmes dispositions par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête n° 474631 de la société Kazimo Trade et Invest Limited est rejetée.

Article 2 : La requête n° 474632 de la société Kazimo Trade et Invest Limited est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3 : Les conclusions du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Kazimo Trade et Invest Limited, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la présidente du tribunal administratif de Marseille.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 décembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge,

M. Vincent Daumas, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et

M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 janvier 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 474631
Date de la décision : 04/01/2024
Type de recours : Autres

Analyses

54-07-01-03 Requérant demandant l’annulation de la décision des autorités nationales d’appliquer à un navire lui appartenant le régime de gel prévu par le règlement (UE) n° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014....Le gel des biens en cause découle de la seule application du règlement (UE) du 17 mars 2014, complété par le règlement d’exécution (UE) 2022/336 du 28 février 2022, lequel est, en vertu du deuxième alinéa de l’article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), obligatoire dans tous ses éléments et directement applicables dans tout État membre, à compter de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE), sans qu’aucune mesure nationale ne soit requise. Aucune décision n’a été prise par les autorités administratives nationales pour appliquer au navire en cause le régime de gel prévu par ce règlement du 17 mars 2014 et son annexe. Les conclusions de la société requérante sont ainsi dépourvues d’objet.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 jan. 2024, n° 474631
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474631.20240104
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