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04/01/2024 | FRANCE | N°466189

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 04 janvier 2024, 466189


Vu les procédures suivantes :



I. - Sous le n° 466189, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le comité social et économique central de l'Agence française de développement (CSEC AFD), le syndicat national de la banque et du crédit - confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (SNB - CFE-CGC), le syndicat CGT du personnel de l'Agence française de développement (CGT) et le syndicat autonome Force Ouvrière

des agents du groupe de l'Agence française de développement (FO) demandent au Co...

Vu les procédures suivantes :

I. - Sous le n° 466189, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le comité social et économique central de l'Agence française de développement (CSEC AFD), le syndicat national de la banque et du crédit - confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (SNB - CFE-CGC), le syndicat CGT du personnel de l'Agence française de développement (CGT) et le syndicat autonome Force Ouvrière des agents du groupe de l'Agence française de développement (FO) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 mai 2022 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique portant approbation du statut du personnel de l'Agence française de développement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. - Sous le n° 471557, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire enregistrés les 21 février, 13 juin et 18 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le comité social et économique central de l'Agence française de développement (CSEC AFD), le syndicat national de la banque et du crédit - confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (SNB - CFE-CGC), le syndicat CGT du personnel de l'Agence française de développement (CGT) et le syndicat autonome Force Ouvrière des agents du groupe de l'Agence française de développement (FO) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 décembre 2022 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et du ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer, portant approbation du statut du personnel de l'Agence française de développement ;

2°) d'annuler ce statut pour excès de pouvoir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- le code civil ;

- le code monétaire et financier ;

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2014-1329 du 6 novembre 2014 ;

- le décret n° 53-707 du 9 août 1953 ;

- l'arrêté du 16 octobre 1980 portant modalités de publication et consultation des documents administratifs du ministère de l'économie ;

- l'arrêté du 3 février 2005 relatif à la composition de la commission prévue à l'article 6 du décret n° 53-707 du 9 août 1953 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat du comité social et économique central de l'Agence française de développement (CSEC AFD), du syndicat national de la banque et du crédit - confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (SNB - CFE-CGC), du syndicat CGT du personnel de l'Agence française de développement (CGT) et du syndicat autonome Force Ouvrière des agents du groupe de l'Agence française de développement (FO) ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que par un arrêté du 30 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a approuvé le statut du personnel de l'Agence française de développement fixé par le directeur général de cette agence, applicable à compter du 1er janvier 2023 et annexé à cet arrêté. Par un nouvel arrêté du 22 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que le ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer, ont approuvé le même statut applicable à compter de la même date. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par une seule décision, le comité social et économique central de l'Agence française de développement et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de l'arrêté du 30 mai 2022 et, d'autre part, de l'arrêté du 22 décembre 2022 ainsi que du statut du personnel de l'Agence française de développement applicable à compter du 1er janvier 2023 qui leur est annexé.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article L. 515-13 du code monétaire et financier : " I.- L'Agence française de développement exerce une mission permanente d'intérêt public au sens de l'article L. 511-104. Cette mission consiste à réaliser des opérations financières de toute nature en vue de : / 1° Contribuer à la mise en œuvre de la politique d'aide au développement de l'Etat à l'étranger, notamment en finançant : / a) De manière prioritaire, l'accès aux services essentiels dans les pays les moins avancés et en particulier dans les pays prioritaires de la politique de développement française, particulièrement par des opérations de dons et de prêts concessionnels ; / b) Les biens publics mondiaux, la convergence économique et la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement ; / 2° Contribuer au développement des collectivités territoriales mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution. / L'Agence française de développement rend compte de chacune de ces différentes activités. / II.- L'Agence française de développement est un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l'Etat et contribuant à l'action extérieure de la France, au sens de l'article 1er de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat. / (...) ". Aux termes de l'article R. 515-16 du même code : " La direction et l'administration de l'agence sont confiées à un directeur général nommé pour trois ans par décret. / Le directeur général représente et engage l'agence. Il nomme le personnel et fixe les conditions de son emploi. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 6 du décret du 9 août 1953 relatif au contrôle de l'Etat sur les entreprises publiques nationales et certains organismes ayant un objet d'ordre économique ou social : " Dans les établissements publics contrôlés en vertu du présent décret (...), les mesures relatives aux éléments de rémunération, ainsi qu'au statut et au régime de retraites du personnel, doivent, avant toute décision, être communiquées au ministre intéressé et aux ministres chargés de l'économie et du budget. Ces mesures sont soumises, pour avis, à une commission interministérielle dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par arrêté conjoint du Premier ministre et des ministres chargés de l'économie, du budget et du travail. Ces mesures ne deviennent exécutoires qu'après avoir reçu l'approbation du ministre intéressé et des ministres chargés de l'économie et du budget ".

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 30 mai 2022 :

3. Lorsqu'une décision administrative faisant l'objet d'un recours contentieux est retirée en cours d'instance et que le retrait a acquis un caractère définitif, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre cette décision, qui ont perdu leur objet.

4. L'arrêté du 22 décembre 2022 approuvant le statut du personnel de l'Agence française de développement applicable à compter du 1er janvier 2023, publié au Journal officiel de la République française le 22 décembre 2022, a eu pour effet de retirer le précédent arrêté du 30 mai 2022 ayant le même objet. Ce retrait doit être regardé comme définitif dès lors que l'arrêté du 22 décembre 2022 n'est attaqué qu'en tant qu'il approuve le statut du personnel de l'Agence française de développement, et non en tant qu'il retire ce précédent arrêté. Il suit de là que les conclusions dirigées contre l'arrêté du 30 mai 2022 ont perdu leur objet. Il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 22 décembre 2022 et le statut qu'il approuve :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

S'agissant de l'absence de négociation collective :

5. En premier lieu, les requérants font valoir qu'en vertu de deux accords conclus le 1er juillet 1996 et le 13 décembre 2017 entre la direction de l'Agence française de développement et les organisations syndicales représentatives, ainsi que d'engagements pris par le directeur général de l'agence à plusieurs reprises, toute révision du statut du personnel devait faire l'objet d'une négociation collective. Ils soutiennent que la procédure d'adoption du statut serait par suite irrégulière faute pour l'Agence française de développement d'avoir conduit au préalable une telle négociation, comme il l'avait fait avant l'établissement du précédent statut en 1996.

6. Aux termes de l'article L. 2233-1 du code du travail : " Dans les entreprises publiques et les établissements publics à caractère industriel ou commercial (...), les conditions d'emploi et de travail ainsi que les garanties sociales peuvent être déterminées, en ce qui concerne les catégories de personnel qui ne sont pas soumises à un statut particulier, par des conventions et accords conclus conformément aux dispositions du présent titre (...) ". En vertu de l'article L. 2233-2 du même code, dans ces entreprises et établissements, " des conventions ou accords d'entreprises peuvent compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par le statut ".

7. Il résulte de ces dispositions, qui reprennent celles de l'ancien article

L. 134-1 du code du travail, que dans les établissements publics à caractère industriel et commercial, des conventions ou accords d'entreprises ne peuvent intervenir que pour déterminer les conditions d'emploi et de travail et les garanties sociales concernant les catégories de personnel qui ne sont pas soumises à un statut particulier ou pour compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par le statut du personnel. En l'absence de dispositions législatives spéciales dérogeant à cette règle, les accords invoqués par les requérants n'ont pu avoir légalement pour effet de subordonner la révision du statut du personnel de l'Agence française de développement à une négociation collective préalable, de telles modalités de révision ne pouvant, contrairement à ce qu'ils soutiennent, être regardées comme se bornant à compléter les dispositions statutaires ou comme relevant des modalités d'application du statut dans les limites fixées par ce dernier. Les engagements qu'aurait pris à cet égard le directeur général de l'Agence française de développement ne peuvent pas davantage, en tout état de cause, être utilement invoqués à l'encontre de la décision fixant le nouveau statut ou de l'arrêté procédant à son approbation. Le moyen tiré de la méconnaissance des conditions de révision du statut du personnel qui résulteraient des accords et des engagements invoqués doit, par suite, être écarté.

8. En second lieu, les requérants soutiennent que les modalités d'adoption du statut du personnel qui, en vertu de l'article R. 515-16 du code monétaire et financier cité au point 2, est établi par une décision du directeur général de l'Agence française de développement, méconnaissent, à défaut d'exigence de négociation ou de concertation préalable, le principe constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail résultant du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Toutefois, d'une part, l'article R. 515-16 du code monétaire et financier n'a pas pour objet de fixer les conditions et garanties de mise en œuvre de ce principe. D'autre part, une consultation du comité social et économique central de l'Agence française de développement sur les conditions d'emploi et de travail est, en tout état de cause, requise par l'article L. 2312-8 du code du travail, applicable à cet établissement en vertu de l'article L. 2311-1 du même code. Dès lors, ce moyen ne peut qu'être écarté.

S'agissant de la consultation du comité social et économique central de l'agence :

9. Les requérants font valoir que, postérieurement à l'avis rendu le

25 mars 2022 par le comité social et économique central de l'Agence française de développement, le projet de statut soumis au comité a été modifié pour accorder aux agents en poste à Mayotte un droit à la prise en compte, pour l'application d'une clause de garantie de rémunération, du supplément familial et de l'allocation complémentaire. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la direction de l'Agence française de développement a, lors de la séance du 25 mars, porté à la connaissance du comité son intention de procéder à cette modification. Dès lors, le comité a été mis à même de se prononcer sur cette question. Le moyen tiré de l'irrégularité de sa consultation doit donc être écarté.

S'agissant de la consultation de la commission interministérielle d'audit salarial du secteur public :

10. En vertu de l'article 6 du décret du 9 août 1953 cité au point 2, les mesures relatives au statut du personnel sont, dans les établissements publics contrôlés par l'Etat dans les conditions prévues par ce décret, soumises pour avis à la commission interministérielle d'audit salarial du secteur public, dont la dénomination et la composition ont été déterminées par un arrêté du 3 février 2005. Les requérants soutiennent que l'avis rendu par cette commission le 20 décembre 2022 est irrégulier.

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet de statut du personnel était joint à la saisine de la commission du 5 décembre 2022. Le moyen tiré de ce que ce projet ne lui aurait pas été communiqué doit donc être écarté.

12. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que l'avis de la commission du 20 décembre 2022 est irrégulier faute d'avoir fait l'objet d'une délibération collégiale. Il est vrai, d'une part, qu'il ressort des termes de cet avis qu'il a été rendu à l'issue d'une " procédure écrite " alors, d'autre part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette procédure aurait répondu aux conditions prévues par l'ordonnance du 6 novembre 2014 relative aux délibérations à distance des instances administratives à caractère collégial. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la commission a délibéré de manière collégiale le 12 mai 2022 d'un projet de statut identique à celui qui lui a été soumis pour avis le 5 décembre suivant. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les modalités retenues par la commission pour rendre son avis du

20 décembre 2022, qui n'ont privé les requérants d'aucune garantie, auraient eu une incidence sur le sens de cet avis. Dès lors, ce moyen doit être écarté.

13. En troisième lieu, d'une part, contrairement à ce qu'allèguent les requérants, il ressort des pièces du dossier que M. B... A..., chef de mission de contrôle général économique et financier chargé de l'observation des conditions d'emploi et de rémunération dans les organismes publics et exerçant à ce titre les fonctions de président de la commission, en vertu de l'arrêté du 3 février 2005 déjà mentionné, figure parmi les membres de cette commission ayant rendu l'avis du 20 décembre 2022. D'autre part, l'irrégularité de la désignation d'un membre d'une commission consultative ne peut plus être invoquée, à l'appui d'un recours dirigé contre une décision prise après avis de cette commission, une fois que cette désignation est devenue définitive. La publication de l'arrêté du 2 novembre 2022 chargeant

M. A... de l'intérim des fonctions de responsable de la mission " Gestion des ressources humaines et audit salarial du secteur public " au Bulletin officiel de l'administration centrale des ministères économiques et financiers, le même jour, a fait courir à l'égard des tiers le délai de recours contre cette désignation, dès lors que cette publication résulte d'une obligation prévue par l'arrêté du 16 octobre 1980 portant modalités de publication et consultation des documents administratifs des ministères économiques et financiers, lui-même publié au Journal officiel de la République française. Dès lors, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas recevables à contester, par le moyen soulevé dans leur mémoire en réplique du 13 juin 2023, la régularité de la désignation de M. A... comme chef de cette mission par intérim par l'arrêté du

2 novembre 2022, devenue définitive à leur égard.

En ce qui concerne la légalité interne du statut du personnel :

14. Les requérants soutiennent que plusieurs dispositions du statut du personnel de l'Agence française de développement, relatives aux périodes d'essai, à la mobilité géographique et aux congés pour événements familiaux, sont contraires aux règles résultant des première et troisième parties du code du travail.

S'agissant de l'applicabilité des dispositions du code du travail invoquées :

15. D'une part, aux termes des articles L. 1111-1 et L. 1211-1 du code du travail, rédigés en des termes identiques : " Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés. / Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel ". Il en résulte que les dispositions des livres Ier et II de la première partie du code du travail, relatives notamment au contrat de travail, s'appliquent aux agents d'un établissement public industriel et commercial, sauf si le statut régissant son personnel a prévu une règle particulière ayant le même objet. Les règles du statut du personnel ne peuvent toutefois déroger à ces dispositions lorsque celles-ci énoncent un principe général du droit du travail dont l'application n'est pas incompatible avec les nécessités de la mission de service public confiée à l'établissement.

16. D'autre part, aux termes de l'article L. 3111-1 du code du travail : " Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés. / Elles sont également applicables aux établissements publics à caractère industriel et commercial ". Il en résulte que le statut du personnel d'un établissement public industriel et commercial ne peut déroger aux dispositions du livre Ier de la troisième partie du code du travail, relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés, sauf lorsque les nécessités du service public le justifient.

S'agissant des règles relatives aux périodes d'essai :

17. Aux termes de l'article 2.2.1 du statut attaqué : " (...) La durée de la période d'essai pour les contrats à durée indéterminée est fixée à : / - deux mois de travail effectif pour la catégorie employé ; / - trois mois de travail effectif pour la catégorie agent de maîtrise ; / - six mois de travail effectif pour la catégorie cadre. / (...) La période d'essai peut être renouvelée d'un commun accord, pour une durée au plus égale à celle de la période initiale, étant précisé que la durée totale de la période d'essai pour les cadres ne pourra excéder huit mois ".

18. Les requérants font valoir que ces dispositions sont moins favorables que celles fixées par le code du travail en ce que, d'une part, la durée de la période d'essai initiale s'élève à six mois pour les cadres, alors que l'article L. 1221-19 de ce code prévoit une période de quatre mois les concernant et, d'autre part, un renouvellement de la période d'essai est permis, alors que son article L. 1221-21 ne le permet que " si un accord de branche étendu le prévoit ", cet accord devant fixer " les conditions et les durées de renouvellement ".

19. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 15 que les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, à l'encontre des dispositions du statut du personnel ayant pour objet de fixer la durée de la période d'essai, des dispositions du livre II de la première partie code du travail ayant le même objet et qui, contrairement à ce qu'ils allèguent, n'énoncent pas un principe général du droit du travail. Les moyens tirés de la méconnaissance de ces dispositions et, par voie de conséquence, d'une erreur manifeste d'appréciation ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.

S'agissant des règles relatives à la mobilité géographique :

20. Aux termes de l'article 4.3.1 du statut attaqué : " L'Agence Française de Développement promeut la mobilité des agents à l'échelle internationale, dans l'ensemble de ses pays d'intervention, tant pour les agents soumis aux dispositions du présent Statut que pour les agents recrutés localement. / La mobilité est décidée par l'Agence Française de Développement et peut être imposée notamment pour les besoins du service public. / Les différentes hypothèses de mobilité visées au présent chapitre ne remettent pas en cause toute autre hypothèse de mobilité s'imposant à l'agent en application du droit commun ". Aux termes de son article 4.3.2 : " La mobilité fonctionnelle et/ou géographique peut notamment exister pour répondre aux besoins réels de l'Agence Française de Développement en raison des nécessités du service public qui lui a été confié. / La décision de mobilité est consécutive à une étude du parcours professionnel de l'agent, de son profil et de ses aspirations. / La mise en œuvre de la mobilité donne donc lieu à un échange préalable avec l'intéressé ". Enfin, aux termes de son article 4.3.4 : " (...) Avant toute décision de la Direction concernant une mobilité géographique, en dehors de l'hypothèse d'une mobilité s'imposant à l'agent en application du droit commun, un examen des contraintes familiales et du parcours professionnel de l'agent est effectué en concertation avec l'agent concerné. / En cas de décision de mobilité géographique prise par la Direction, le cas échéant confirmée après l'exercice éventuel par l'agent d'un recours devant le comité des recours, le refus de mobilité de l'agent cadre est passible d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, en particulier si cette décision de mobilité a été prise pour les besoins du service public ".

21. En premier lieu, les requérants contestent la légalité de l'article 4.3.4 du statut du personnel en ce qu'il ne prévoit l'examen des contraintes familiales de l'agent qu'" en dehors de l'hypothèse d'une mobilité s'imposant à l'agent en application du droit commun ". Cette hypothèse correspond au cas d'une mutation au sein d'un même secteur géographique, qui ne nécessite pas l'accord de la personne concernée et n'est pas subordonnée à l'existence d'une clause de mobilité dans le contrat de travail. Il résulte toutefois du principe général du droit du travail énoncé par l'article L. 1121-1 du code du travail, qui interdit à l'employeur d'" apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché " que, même en cas de mutation au sein du même secteur géographique, l'employeur doit s'assurer de l'absence d'atteinte injustifiée ou disproportionnée au droit de l'intéressé à une vie personnelle et familiale. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'application de ce principe serait incompatible avec les nécessités de la mission de service public confiée à l'Agence française de développement. Par suite, eu égard à ce qui a été dit au point 15, les requérants sont fondés à soutenir que l'article 4.3.4 du statut du personnel est illégal en tant qu'il ne prévoit pas la prise en compte de la situation personnelle et familiale de l'agent préalablement à sa mutation au sein d'un même secteur géographique.

22. En second lieu, les requérants soutiennent que la zone où la mobilité géographique est susceptible de s'exercer, qui correspond, aux termes de l'article 4.3.1 du statut du personnel, à l'ensemble des territoires dans lesquels l'Agence française de développement intervient, n'est pas définie avec une précision suffisante, ce qui entacherait le statut d'illégalité. Cependant, en tout état de cause, les nécessités de la mission de service public confiée à l'Agence française de développement, qui consiste, aux termes de l'article L. 515-13 du code monétaire et financier cité au point 2, à contribuer à la mise en œuvre de la politique d'aide au développement de l'Etat à l'étranger ainsi qu'au développement des collectivités territoriales d'outre-mer, justifient une possibilité de mobilité étendue à l'ensemble des territoires dans lesquels l'agence intervient. Par suite, eu égard à ce qui a été dit au point 15, le moyen soulevé sur ce point ne peut être accueilli.

S'agissant des règles relatives aux congés pour événements familiaux :

23. Aux termes de l'article 2.4.4 du statut attaqué : " Sous réserve des dispositions légales, et une fois la période d'essai expirée, tout agent a droit, sur justification, aux congés pour événements familiaux prévus ci-dessous : / 1- Mariage ou Pacs de l'agent : 10 jours ouvrés / (...) 3- Mariage d'un enfant de l'agent : 2 jours ouvrés / 4- Décès du conjoint, du concubin ou d'un enfant de l'agent : 7 jours ouvrés / (...) 6- Décès du père ou de la mère du conjoint ou du concubin de l'agent : 3 jours ouvrés / (...) 9- Décès du conjoint ou du concubin d'un frère ou d'une sœur de l'agent : 1 jour ouvré (...) ".

24. En premier lieu, les requérants contestent la légalité de l'article 2.4.4 du statut du personnel en ce qu'il subordonnerait le droit aux congés pour événements familiaux à l'expiration de la période d'essai. Toutefois, en réservant l'application des dispositions légales, le statut n'a pas entendu déroger aux dispositions des articles L. 3142-1 et suivants du code du travail, qui donnent aux salariés le droit à des congés lorsque survient l'un des événements familiaux qu'elles énumèrent, sans en subordonner le bénéfice à l'expiration de leur période d'essai, mais s'est borné à prévoir, pour les seuls agents dont la période d'essai est expirée, des congés d'une durée allongée par rapport au minimum légal. Par suite, le statut ne dérogeant pas, sur ce point, aux dispositions du code du travail, le moyen ne peut, eu égard à ce qui a été dit au point 16, qu'être écarté.

25. En second lieu, le même article du statut du personnel octroie des congés d'une durée allongée par rapport au minimum légal en cas de décès du conjoint ou concubin, ainsi qu'en cas de décès du père ou de la mère du conjoint ou concubin. Les requérants soutiennent qu'en omettant de mentionner, sur ces points, le partenaire lié à l'agent par un pacte civil de solidarité, le statut méconnaît le principe d'égalité.

26. Le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ne se trouve pas, au regard de l'objet du droit à congés pour événements familiaux, dans une situation différente du conjoint ou concubin. En l'absence de raison d'intérêt général justifiant une telle différence de traitement, l'exclusion de ce partenaire du bénéfice des dispositions contestées méconnaît le principe d'égalité. L'article 2.4.4 du statut du personnel attaqué doit par suite être annulé en tant qu'il ne prévoit pas le même allongement de la durée des congés en cas de décès de ce partenaire et en cas de décès du père ou de la mère du partenaire.

27. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander l'annulation du statut du personnel qu'ils attaquent, en premier lieu, en tant que son article 2.4.4 ne prévoit pas l'allongement de la durée des congés pour événements familiaux en cas de décès du partenaire de pacte civil de solidarité et en cas de décès du père ou de la mère de ce partenaire et, en second lieu, en tant que son article 4.3.4 ne prévoit pas la prise en compte de la situation personnelle et familiale de l'agent en cas de mutation au sein d'un même secteur géographique. Ils sont par suite fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué du

22 décembre 2022 en tant qu'il approuve ces dispositions.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

28. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser aux requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête dirigée contre l'arrêté du 30 mai 2022 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique portant approbation du statut du personnel de l'Agence française de développement.

Article 2 : Le statut du personnel de l'Agence française de développement approuvé par arrêté du 22 décembre 2022 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et du ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer, est annulé en tant que, en premier lieu, son article 2.4.4 ne prévoit pas l'allongement de la durée des congés pour événements familiaux en cas de décès du partenaire de pacte civil de solidarité et en cas de décès du père ou de la mère de ce partenaire et, en second lieu, son article 4.3.4 ne prévoit pas la prise en compte de la situation personnelle et familiale de l'agent en cas de mutation au sein d'un même secteur géographique. L'arrêté du 22 décembre 2022 est annulé en tant qu'il approuve ces dispositions.

Article 3 : L'Etat versera au comité social et économique central de l'Agence française de développement, au syndicat national de la banque et du crédit - confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres, au syndicat CGT du personnel de l'Agence française de développement et au syndicat autonome Force Ouvrière des agents du groupe de l'Agence française de développement la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête dirigée contre cet arrêté du 22 décembre 2022 et contre le statut du personnel qu'il approuve est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au comité social et économique central de l'Agence française de développement, premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, à l'Agence française de développement, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 décembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge,

M. Vincent Daumas, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et

M. Bastien Lignereux, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 janvier 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Bastien Lignereux

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466189
Date de la décision : 04/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

33-02-06-02 1) a) Il résulte des articles L. 2233-1 et L. 2233-2 du code du travail, qui reprennent l’ancien article L. 134-1, que dans les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), des conventions ou accords d’entreprises ne peuvent intervenir que pour déterminer les conditions d'emploi et de travail et les garanties sociales concernant les catégories de personnel qui ne sont pas soumises à un statut particulier ou pour compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par le statut du personnel. ...b) Requérants faisant valoir qu’en vertu d’accords conclus entre la direction de l’Agence française de développement (AFD) et les organisations syndicales représentatives, ainsi que d’engagements pris par le directeur général de l’agence à plusieurs reprises, toute révision du statut du personnel devait faire l’objet d’une négociation collective. Requérants en déduisant que la procédure d’adoption du statut qu’ils attaquent serait irrégulière faute pour l’Agence d’avoir conduit au préalable une telle négociation....En l’absence de dispositions législatives spéciales dérogeant à la règle énoncée ci-dessus au point a), les accords invoqués n’ont pu avoir légalement pour effet de subordonner la révision du statut du personnel de l’AFD à une négociation collective préalable, de telles modalités de révision ne pouvant, contrairement à ce qu’ils soutiennent, être regardées comme se bornant à compléter les dispositions statutaires ou comme relevant des modalités d’application du statut dans les limites fixées par ce dernier. Les engagements qu’aurait pris à cet égard le directeur général de l’Agence française de développement ne peuvent pas davantage, en tout état de cause, être utilement invoqués à l’encontre de la décision fixant le nouveau statut ou de l’arrêté procédant à son approbation. ...Moyen écarté....2) a) i) Il résulte des articles L. 1111-1 et L. 1211-1 du code du travail que les dispositions des livres Ier et II de la première partie du code du travail, relatives notamment au contrat de travail, s’appliquent aux agents d’un EPIC, sauf si le statut régissant son personnel a prévu une règle particulière ayant le même objet. ...Les règles du statut du personnel ne peuvent toutefois déroger à ces dispositions lorsque celles-ci énoncent un principe général (PGD) du droit du travail dont l’application n’est pas incompatible avec les nécessités de la mission de service public confiée à l’établissement....ii) Requérants contestent la légalité du statut du personnel de l’AFD en ce qu’il ne prévoit l’examen des contraintes familiales de l’agent qu’« en dehors de l’hypothèse d’une mobilité s'imposant à l'agent en application du droit commun ». Cette hypothèse correspond au cas d’une mutation au sein d’un même secteur géographique, qui ne nécessite pas l’accord de la personne concernée et n’est pas subordonnée à l’existence d’une clause de mobilité dans le contrat de travail. Il résulte toutefois du principe général du droit du travail énoncé par l’article L. 1121-1 du code du travail, qui interdit à l’employeur d’« apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » que, même en cas de mutation au sein du même secteur géographique, l’employeur doit s’assurer de l’absence d’atteinte injustifiée ou disproportionnée au droit de l’intéressé à une vie personnelle et familiale. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’application de ce principe serait incompatible avec les nécessités de la mission de service public confiée à l’Agence française de développement. Par suite, l’article 4.3.4 du statut du personnel est illégal en tant qu’il ne prévoit pas la prise en compte de la situation personnelle et familiale de l’agent préalablement à sa mutation au sein d’un même secteur géographique....b) Il résulte de l’article L. 3111-1 du code du travail que le statut du personnel d’un EPIC ne peut déroger aux dispositions du livre Ier de la troisième partie du code du travail, relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés, sauf lorsque les nécessités du service public le justifient.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 jan. 2024, n° 466189
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Lignereux
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:466189.20240104
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