La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/12/2023 | FRANCE | N°463697

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 29 décembre 2023, 463697


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 463697, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 mai et 23 novembre 2022 et le 4 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association SOS Education demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a rejeté sa demande de retrait de la circulaire du 29 septembre 2021 du ministre de l'éducation national

e, de la jeunesse et des sports portant lignes directrices à l'attention de l'ensemble ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 463697, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 mai et 23 novembre 2022 et le 4 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association SOS Education demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a rejeté sa demande de retrait de la circulaire du 29 septembre 2021 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports portant lignes directrices à l'attention de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale, intitulée " Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire " ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de retirer cette circulaire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 467769, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 septembre 2022 et 25 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Juristes pour l'enfance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a rejeté sa demande de retrait de la circulaire du 29 septembre 2021 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports portant lignes directrices à l'attention de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale, intitulée " Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New- York le 26 janvier 1990 ;

- le code civil ;

- le code de l'éducation ;

- le code de la santé publique ;

- la loi du 6 fructidor an II ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de l'association SOS Education et à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de l'association Juristes pour l'enfance ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 décembre 2023, présentée par l'association SOS Education ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 décembre 2023, présentée par l'association Juristes pour l'enfance ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-1 du code de l'éducation : " L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l'école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s'enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. "

2. Par une circulaire du 29 septembre 2021 intitulée " Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire ", le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a adressé des recommandations à l'ensemble des personnels de l'éducation nationale afin de mieux prendre en compte la situation des élèves transgenres en milieu scolaire, de faciliter leur accompagnement et de les protéger. A cet effet, la circulaire appelle notamment les établissements scolaires et leurs personnels à veiller, si l'élève dont l'état civil n'a pas été modifié en fait la demande, avec l'accord de ses représentants légaux lorsqu'il est mineur, à ce que le prénom choisi par l'élève soit utilisé par l'ensemble des membres de la communauté éducative et à ce qu'il soit substitué au prénom d'état civil de l'élève dans tous les documents relevant de l'organisation interne de l'établissement, y compris leurs espaces numériques. La circulaire rappelle qu'il appartient également aux personnels de l'éducation nationale de s'assurer que l'expression de genre des élèves n'est pas remise en cause ou moquée et que les choix liés à l'habillement et à l'apparence sont respectés, sous réserve des restrictions imposées par des impératifs de sécurité et appliquées sans distinction selon le genre. Elle invite, enfin, les établissements à tenir compte des préoccupations exprimées par les élèves sur l'usage des espaces d'intimité et à mettre en place des mesures générales et préventives pour lutter contre toutes les formes de discrimination, de harcèlement et de violence à l'égard des élèves transgenres.

3. Les associations SOS Education et Juristes pour l'enfance doivent être regardées comme ayant demandé au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports d'abroger la circulaire du 29 septembre 2021. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par une même décision, ces associations demandent l'annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites par lesquelles le ministre a rejeté leurs demandes.

4. En premier lieu, la circulaire litigieuse ne soulève pas de question d'intérêt national concernant l'enseignement ou l'éducation au sens des dispositions de l'article L. 231-1 du code de l'éducation. L'association SOS Education n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'elle aurait dû être soumise à la consultation du Conseil supérieur de l'éducation.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces des dossiers que les termes de la circulaire relatifs à l'usage du prénom choisi par les élèves transgenres recommandent aux personnels de l'éducation nationale de faire usage de ce prénom plutôt que du prénom inscrit à l'état civil dans le cadre de la vie interne des établissements et pour les documents qui en relèvent, tout en précisant que seul le prénom inscrit à l'état-civil doit être pris en compte pour le suivi de la notation des élèves dans le cadre du contrôle continu pour les épreuves des diplômes nationaux. En préconisant ainsi l'utilisation du prénom choisi par les élèves transgenres dans le cadre de la vie interne des établissements, la circulaire litigieuse, qui a entendu contribuer à la scolarisation inclusive de tous les enfants conformément aux dispositions de l'article L. 111-1 du code de l'éducation, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aux termes desquelles : " Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni prénom, autres que ceux exprimés dans son acte de naissance (...) ", ni aucune autre règle ou principe. En outre, dès lors que ses recommandations sont sans incidence sur les mentions portées à l'état civil, la circulaire rappelant au contraire les dispositions de l'article 60 du code civil relatives à la procédure de changement de prénom et celles de l'article 61-5 du même code qui réservent aux personnes majeures ou mineures émancipées la possibilité de modifier la mention de leur sexe à l'état civil, les associations requérantes ne peuvent soutenir que les dispositions des articles 57, 60 et 61-5 du code civil auraient été méconnues.

6. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de la circulaire litigieuse que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a entendu inviter l'ensemble des personnels de l'éducation nationale à mieux prendre en compte la situation des élèves transgenres en milieu scolaire, en vue de faciliter leur accompagnement, de les protéger, et, ce faisant, de leur ménager un environnement propice à leur réussite scolaire. La circulaire précise que les mesures d'accompagnement tiennent compte de la diversité des situations, en se fondant de manière individualisée sur les besoins exprimés par les élèves et leur famille, dans le respect de l'autorité des représentants légaux et des règles communes à l'institution scolaire, et en laissant aux jeunes concernés " la possibilité d'explorer une variété de cheminement sans les stigmatiser ou les enfermer dans l'une ou l'autre voie ". En préconisant, dans ce cadre, l'utilisation du prénom choisi par l'élève transgenre dans la vie interne des établissements, avec l'accord de ses représentants légaux lorsqu'il est mineur, la circulaire litigieuse, qui n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation, n'a pas porté illégalement atteinte à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant résultant du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

7. En quatrième lieu, en indiquant que " la prise en considération de l'identité de genre revendiquée de la part d'un ou d'une élève ne doit pas être conditionnée à la production d'un certificat ou d'un diagnostic médical ou à l'obligation d'un rendez-vous avec un personnel de santé ", la circulaire n'a eu ni pour objet ni pour effet de déroger aux dispositions de l'article L. 541-1 du code de l'éducation qui confient en priorité aux personnels médicaux, infirmiers, assistants de service social et psychologues de l'éducation nationale la mission d'assurer des actions de promotion de la santé des élèves. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut, dès lors, qu'être écarté, tout comme celui tiré de la méconnaissance du droit fondamental à la protection de la santé et du droit de tout individu de recevoir les traitements les plus appropriés à son état de santé définis aux articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique, la circulaire étant sans incidence à cet égard.

8. En cinquième lieu, les termes de la circulaire litigieuse recommandant aux personnels de l'éducation nationale de veiller à l'emploi du prénom d'usage de l'élève transgenre, avec l'accord de ses représentants légaux lorsqu'il est mineur ne sont pas de nature à porter une atteinte illégale à la liberté de conscience des enseignants, des élèves ou de leurs parents. Ils ne méconnaissent pas, en tout état de cause, le principe de neutralité des services publics, pas davantage que l'autorité parentale. Par suite, les moyens tirés de ce que la circulaire violerait le principe de neutralité des services publics et la liberté de conscience des enseignants et des élèves, méconnaissant ainsi l'article 1er de la Constitution, l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat et l'article L. 141 2 du code de l'éducation, ne peuvent qu'être écartés. Par ailleurs, les associations requérantes ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 14 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 et du paragraphe 4 de l'article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont les stipulations créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés.

9. En sixième lieu, il ressort des termes mêmes de la circulaire litigieuse qu'elle se borne à identifier différentes options susceptibles d'être envisagées par les établissements concernant l'usage des espaces d'intimité par les élèves transgenres dans le but de tenir compte des préoccupations exprimées par ces élèves, la circulaire relevant à cet égard que, dans ces espaces, " tous les élèves, et a fortiori les jeunes transgenres, se sentent plus vulnérables et se trouvent plus particulièrement exposés aux risques de violences et de harcèlement ". Les options éventuelles ainsi identifiées par la circulaire sont présentées comme devant être adaptées aux circonstances particulières de l'établissement, en fonction notamment de la disponibilité des lieux, et mises en œuvre en concertation avec l'ensemble des élèves concernés. Dès lors, les termes en cause de la circulaire ne sauraient, en tout état de cause, porter atteinte au droit des autres élèves au respect de leur vie privée et de leur intimité ainsi qu'au devoir des parents, au titre de l'autorité parentale, de protéger, dans leur intérêt, leurs enfants. Les moyens invoqués à ce titre doivent, par suite, être écartés. Ces mêmes termes, qui visent à prendre compte la situation particulière des élèves transgenres, ne méconnaissent pas, par ailleurs, le principe d'égalité.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, que l'association SOS Education et l'association Juristes pour l'enfance ne sont pas fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'elles attaquent. Il suit de là que les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de l'association SOS Education et de l'association Juristes pour l'enfance sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association SOS Education, à l'association Juristes pour l'enfance et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463697
Date de la décision : 29/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2023, n° 463697
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Fradel
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP LE BRET-DESACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:463697.20231229
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award