Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 17 juillet et 26 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler le décret du 28 avril 2023 accordant son extradition aux autorités albanaises ;
2°) à titre subsidiaire, d'abroger ce décret ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;
- la loi n° 85-1478 du 31 décembre 1985 ;
- le code de procédure pénale, notamment son article 696-18 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par décret du 28 avril 2023, la Première ministre a accordé aux autorités albanaises l'extradition aux fins de poursuites de M. B... A..., ressortissant albanais, sur le fondement d'un mandat d'arrêt délivré le 30 juin 2021 par le tribunal spécial contre la corruption et le crime organisé de Tirana pour des faits qualifiés de trafic de stupéfiants, blanchiment des produits du crime, groupe criminel structuré, commission d'infractions par une organisation criminelle et un groupe criminel structuré.
Sur les conclusions à fin d'annulation du décret d'extradition :
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes de l'article 18 de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, intitulé Remise de l'extradé : " (...) 3 En cas d'acceptation, la Partie requérante sera informée du lieu et de la date de remise, ainsi que de la durée de la détention subie en vue de l'extradition par l'individu réclamé./ 4 (...) si l'individu réclamé n'a pas été reçu à la date fixée, il pourra être mis en liberté à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de cette date et il sera en tout cas mis en liberté à l'expiration d'un délai de 30 jours; la Partie requise pourra refuser de l'extrader pour le même fait. " L'article 696-18 du code de procédure pénale dispose quant à lui que si, dans le délai d'un mois à compter de la notification du décret d'extradition à l'Etat requérant, " la personne réclamée n'a pas été reçue par les agents de cet Etat, l'intéressé est, sauf cas de force majeure, mis d'office en liberté et ne peut plus être réclamé pour la même cause. ".
4. La demande d'extradition dont M. A... a fait l'objet de la part des autorités albanaises ainsi que le décret d'extradition qu'il conteste sont fondés sur la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957. Dès lors, sa remise aux autorités albanaises est régie par les dispositions de l'article 18 précité de cette convention et non par celles de l'article 696-18 précité du code de procédure pénale, qui n'ont, à l'instar des autres règles posées par ce code en matière d'extradition, qu'un caractère supplétif en vertu des dispositions de l'article 696 du même code. Il s'ensuit que les dispositions de l'article 696-18 du code de procédure pénale ne sont pas applicables au litige, au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
Sur les autres moyens :
6. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 12 de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 : " Il sera produit à l'appui de la requête : / a) L'original ou l'expédition authentique soit d'une décision de condamnation exécutoire, soit d'un mandat d'arrêt ou de tout autre acte ayant la même force, délivré dans les formes prescrites par la loi de la Partie requérante (...) ". Aux termes de l'article 23 de la même convention : " Les pièces à produire seront rédigées soit dans la langue de la Partie requérante, soit dans celle de la Partie requise. Cette dernière pourra réclamer une traduction dans la langue officielle du Conseil de l'Europe qu'elle choisira ". Par déclaration annexée à la convention, la France a indiqué qu'elle choisissait le français.
7. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition était accompagnée de la copie de l'intégralité du mandat d'arrêt, signé de son auteur, sur laquelle ont été apposés des timbres de l'Etat requérant, constituant ainsi une expédition authentique au sens des stipulations précitées de la convention européenne d'extradition. Le fait que n'aient pas été traduites les mentions des timbres figurant sur ce document est sans incidence sur son caractère authentique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 12 de la convention européenne d'extradition ne peut qu'être être écarté.
8. En deuxième lieu, si le requérant soutient que le décret attaqué méconnait l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier alinéa des réserves émises par la France à l'article 1er de la convention européenne d'extradition aux termes duquel : " L'extradition ne sera pas accordée lorsque la personne réclamée serait jugée dans l'Etat requérant par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense (...) ", il n'assortit pas ce moyen des précisions nécessaires permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un procès équitable doit être écarté.
9. En troisième lieu, si le requérant fait valoir qu'il risquerait, en cas de détention en Albanie, d'être exposé à des traitements inhumains et dégradants, notamment au regard de l'état des prisons albanaises, les considérations générales dont il se prévaut ne permettent pas d'établir l'existence des risques personnels qu'il allègue. S'il soutient également que sa remise aux autorités albanaises est susceptible d'avoir pour lui des conséquences d'une gravité exceptionnelle, voire de l'exposer à un risque de mort, en raison de ses fonctions passées d'officier de sécurité d'un ancien ministre ayant fait l'objet de poursuites judiciaires et d'une condamnation pénale, M. A..., dont au demeurant la demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA, n'apporte aucun élément précis au soutien de ses allégations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du second alinéa des réserves à l'article 1er de la convention européenne d'extradition aux termes duquel " L'extradition pourra être refusée si la remise est susceptible d'avoir des conséquences d'une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée, notamment en raison de son âge ou de son état de santé ", doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque.
Sur les conclusions à fin d'abrogation du décret d'extradition :
11. Si M. A... soutient, à titre subsidiaire, que le décret d'extradition pris à son encontre est devenu illégal à la suite de changements dans les circonstances de droit et de fait postérieurs à son édiction et demande pour ce motif au Conseil d'Etat de l'abroger, des conclusions à fin d'abrogation d'un décret d'extradition ne sont pas recevables.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. A... doit être rejetée. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....
Article 2 : La requête de M. A... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A....
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 décembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier et M. Benoît Delaunay, conseillers d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 21 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard