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18/12/2023 | FRANCE | N°473340

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 18 décembre 2023, 473340


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 17 avril, 17 juillet et 3 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 16 novembre 2022 l'ayant déchu de la nationalité française ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, son avocat, au titre des a

rticles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.





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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 17 avril, 17 juillet et 3 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 16 novembre 2022 l'ayant déchu de la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition.

2. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal.

3. M. A... a été déchu de la nationalité française par un décret du 16 novembre 2022 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, après avoir été condamné par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 décembre 2018 pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par l'article 421-2-1 du code pénal.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Lorsque le Gouvernement décide de faire application des articles 25 et 25-1 du code civil, il notifie les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de la nationalité française, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...). L'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification ou de la publication de l'avis au Journal officiel pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. A l'expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé est déchu de la nationalité française ".

5. Après avoir cité les textes applicables et énoncé que M. A..., qui a acquis la nationalité française en 2005, a été condamné par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 17 novembre 2017 à une peine de sept ans d'emprisonnement, assortie d'une période de sûreté de la moitié, peine portée à huit ans d'emprisonnement, assortie d'une mesure de sûreté des deux tiers et d'une interdiction de ses droits civils et civiques pour une durée de dix années, par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 décembre 2018, pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme courant 2013 et jusqu'au 4 août 2014, infraction prévue et qualifiée d'acte de terrorisme, le décret contesté énonce que la mesure de déchéance s'inscrit dans les délais fixés à l'article 25-1 du code civil, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la déchéance de la nationalité française aurait pour effet de le rendre M. A... apatride, et qu'enfin, eu égard tant à la nature et à la gravité des faits commis qu'à son comportement ultérieur, la sanction de déchéance de la nationalité française présente un caractère adapté et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée ni aux autres aspects de sa situation personnelle. Il en déduit que les conditions légales permettant de déchoir M. A... de la nationalité française doivent être regardées comme réunies. Dans ces conditions, le décret attaqué satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française.

6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour prononcer la déchéance de la nationalité française de M. A..., la Première ministre se serait exclusivement fondée sur la condamnation de la cour d'appel de Paris, sans procéder à un examen de l'ensemble des circonstances propres à sa situation et de son comportement ultérieur. Par suite, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait entaché d'erreur de droit et d'inexactitude matérielle faute d'avoir procédé à un examen particulier des circonstances de l'espèce doivent être écartés.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné aux peines mentionnées ci-dessus pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort des constations de fait auxquelles a procédé le juge pénal que M. A... a rejoint en Syrie, les rangs de l'organisation terroriste " Etat islamique ", suivi un entrainement de type militaire et participé aux opérations de ce groupe en tant que combattant.

8. Eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale, la sanction de déchéance de la nationalité française, qui a notamment pour effet de priver l'intéressé de ses droits civils et politiques en France, est légalement justifiée sans que le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits permette de remettre en cause cette appréciation.

9. En dernier lieu, un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. Au cas présent, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le décret attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 novembre 2023 où siégeaient : M. Jean-Yves Ollier, assesseur, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 18 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Jean-Yves Ollier

Le rapporteur :

Signé : M. Hadrien Tissandier

La secrétaire :

Signé : Mme Annie Di Vita


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 473340
Date de la décision : 18/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 déc. 2023, n° 473340
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hadrien Tissandier
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:473340.20231218
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