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15/12/2023 | FRANCE | N°468710

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 15 décembre 2023, 468710


Vu la procédure suivante :



La Fédération des entreprises de boulangerie a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté n° 02 BCI 054 du 28 août 2002 réglementant la fermeture hebdomadaire de tous les points de vente de pain en Seine-et-Marne et d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne d'abroger cet arrêté, sous astreinte. Par un jugement n° 1809894 du 2 avril 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté cett

e demande.



Par un arrêt n° 20PA01683 du 5 septembre 2022, la...

Vu la procédure suivante :

La Fédération des entreprises de boulangerie a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté n° 02 BCI 054 du 28 août 2002 réglementant la fermeture hebdomadaire de tous les points de vente de pain en Seine-et-Marne et d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne d'abroger cet arrêté, sous astreinte. Par un jugement n° 1809894 du 2 avril 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 20PA01683 du 5 septembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la Fédération des entreprises de boulangerie contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 4 novembre 2022 et les 3 février, 12 juin et 13 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Fédération des entreprises de boulangerie demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la Fédération des entreprises de boulangerie ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la conclusion, le 14 mars 2002, d'un accord entre des organisations patronales et salariales de Seine-et-Marne concernées par la fabrication, la vente ou la distribution de produits panifiés, le préfet de Seine-et-Marne a, par l'article 1er d'un arrêté du 28 août 2002, imposé la fermeture au public, un jour par semaine au choix des intéressés, des établissements, parties d'établissements, magasins, fabricants artisanaux ou industriels, dépôts ou locaux de quelque nature qu'ils soient, couverts ou découverts, sédentaires et/ou ambulants, employant ou non des salariés, dans lesquels s'effectue, à titre principal ou accessoire, la vente au détail ou la distribution de produits panifiés, emballés ou non. Il a également prévu, à l'article 2 de cet arrêté, que les boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche devront fermer leur rayon pâtisserie, le même jour que celui choisi pour leur rayon pain. Par un courrier du 26 avril 2018, reçu le 30 avril 2018, la Fédération des entreprises de boulangerie a demandé à la préfète de Seine-et-Marne d'abroger cet arrêté. Par un jugement du 2 avril 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de la Fédération des entreprises de boulangerie tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet de la préfète de Seine-et-Marne. La Fédération des entreprises de boulangerie se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 septembre 2022 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant son appel contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 3132-29 du code du travail : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. (...) / A la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois. " D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. "

3. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour se serait méprise sur la portée des écritures d'appel de la Fédération des entreprises de boulangerie, laquelle n'invoquait que des éléments relatifs à la procédure préalable à l'édiction de l'arrêté du 28 août 2002, en jugeant que cette fédération avait entendu soulever un moyen de légalité externe, lequel était inopérant dans le cadre de la contestation d'un refus d'abroger un acte réglementaire.

4. En deuxième lieu, en permettant au préfet d'imposer un jour de fermeture hebdomadaire à tous les établissements exerçant une même profession dans une même zone géographique, les dispositions du code du travail citées au point 2 visent à assurer l'égalité entre les établissements d'une même profession, quelle que soit leur taille, au regard du repos hebdomadaire et ainsi à préserver les conditions du libre jeu de la concurrence entre ces établissements, qu'ils emploient ou non des salariés.

5. L'article 2 de l'arrêté en litige impose aux seules boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche de fermer leur rayon pâtisserie, le même jour que celui choisi pour leur rayon pain, cependant que les autres établissements qui commercialisent de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, ne sont pas contraints de fermer leur rayon pâtisserie un jour par semaine. En jugeant que l'arrêté litigieux n'engendrait pas de distorsion de concurrence entre les boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche, d'une part, et les autres établissements commercialisant de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, d'autre part, alors que la requérante faisait valoir, sans être utilement contredite, que ces établissements commercialisent les mêmes articles et se trouvent placés en concurrence directe sur un même marché, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération des entreprises de boulangerie est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant seulement qu'il se prononce sur ses conclusions dirigées contre le refus d'abroger l'article 2 de l'arrêté en litige, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi s'y rapportant.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la Fédération des entreprises de boulangerie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 5 septembre 2022 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il se prononce sur les conclusions de la requête de la Fédération des entreprises de boulangerie dirigées contre le refus d'abroger l'article 2 de l'arrêté du 28 août 2002 du préfet de Seine-et-Marne.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera à la Fédération des entreprises de boulangerie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des entreprises de boulangerie et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Vérot, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; Mme Anne Redondo, maître des requêtes et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 15 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 468710
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-03-02-02 1) En permettant au préfet d’imposer un jour de fermeture hebdomadaire à tous les établissements exerçant une même profession dans une même zone géographique, l’article L. 3132-29 du code du travail vise à assurer l'égalité entre les établissements d'une même profession, quelle que soit leur taille, au regard du repos hebdomadaire et ainsi à préserver les conditions du libre jeu de la concurrence entre ces établissements, qu’ils emploient ou non des salariés....2) Recours formé contre le refus d’abroger un arrêté pris sur le fondement de ces dispositions. ...Article 2 de l’arrêté en litige imposant aux seules boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche de fermer leur rayon pâtisserie, le même jour que celui choisi pour leur rayon pain, cependant que les autres établissements qui commercialisent de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, ne sont pas contraints de fermer leur rayon pâtisserie un jour par semaine. ...Cet arrêté engendre des distorsions de concurrence entre les boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche, d’une part, et les autres établissements commercialisant de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, d’autre part, dès lors que ces établissements commercialisent les mêmes articles et se trouvent placés en concurrence directe sur un même marché.


Publications
Proposition de citation : CE, 15 déc. 2023, n° 468710
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:468710.20231215
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