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13/12/2023 | FRANCE | N°462978

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 13 décembre 2023, 462978


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 5 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir du décret n° 2022-134 du 5 février 2022 relatif au statut de praticien hospitalier ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



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Vu les autres pièces du dossier ;



Vu :

- la Constitution, no...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 5 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir du décret n° 2022-134 du 5 février 2022 relatif au statut de praticien hospitalier ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- le code de la santé publique, notamment son article L. 6152-5-1 ;

- la décision n° 2022-1027/1028 du 9 décembre 2022 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Le Conseil national de l'ordre des médecins ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins.

Considérant ce qui suit :

1. Le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 février 2022 relatif au statut du praticien hospitalier. Eu égard aux moyens soulevés, sa requête doit être regardée comme tendant à l'annulation des articles R. 6152-26-3 à R. 6152-26-6 du code de la santé publique, issus de ce décret. Ces dispositions sont prises pour l'application du II de l'article L. 6152-5-1 du code de la santé publique, aux termes duquel : " II. - Les praticiens mentionnés au 1° de l'article L. 6152-1 exerçant à temps partiel ne peuvent user de leurs fonctions hospitalières pour entrer en concurrence directe avec l'établissement public de santé dans lequel ils exercent à titre principal dans le cadre d'une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie. / La décision d'exercice à temps partiel du praticien peut comprendre une interdiction d'exercer une activité rémunérée dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l'établissement public de santé dans lequel il exerce à titre principal. / Dès que le non-respect de cette interdiction a été dûment constaté, dans le respect du contradictoire, il est mis fin à l'autorisation d'exercer à temps partiel. / Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat ". Par sa décision n° 2022-1027/20128 du 9 décembre 2022, Le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. Si le CNOM soutient qu'il n'est pas établi que l'ensemble des membres du Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé ont été régulièrement convoqués à la séance du 4 novembre 202, ni que le quorum a été atteint, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, et ne peut dès lors qu'être écarté.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

3. L'article R. 6152-26-3 du code de la santé publique, issu du décret attaqué, dispose que : " L'exercice d'une activité privée lucrative à l'extérieur de l'établissement dans les conditions définies par l'article L. 6152-4 et par l'article L. 6152-5-1 ne doit pas mettre en cause le bon fonctionnement du service ni nuire à l'accomplissement des missions définies aux articles L. 6111-1 à L. 6111-1-4 et L. 6112-1. ". Aux termes de l'article R. 6152-26-4 : " Le praticien hospitalier qui envisage d'exercer une activité privée lucrative à l'extérieur de l'établissement en informe par écrit le directeur de l'établissement dans lequel il exerce à titre principal deux mois au moins avant le début de cette activité et fournit les justificatifs attestant du lieu d'exercice de cette activité et du type de missions. ". Aux termes de l'article R. 6152-26-5 : " Lorsque le directeur d'établissement assortit sa décision d'une interdiction faite au praticien d'exercer une activité privée lucrative dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l'établissement public de santé dans lequel il exerce à titre principal, en application du II de l'article L. 6152-5-1, cette décision est prise après avis de la commission médicale d'établissement. ". Et aux termes de l'article R. 6152-26-6 : " Lorsque le directeur d'établissement constate le non-respect de l'interdiction prévue au II de l'article L. 6152-5-1, une convocation est envoyée à l'adresse d'exercice du praticien quinze jours au moins avant la date de l'entretien par tout moyen lui conférant date certaine. Le non-respect de l'interdiction peut être constaté par le numéro d'inscription à l'ordre précisant le lieu d'exercice. / La lettre indique le motif de la décision envisagée, comporte en annexe tous les éléments permettant d'objectiver le non-respect de l'interdiction et informe le praticien de la possibilité dont il dispose de présenter des observations écrites. / Le praticien convoqué peut se faire assister d'un défenseur de son choix. / A l'issue de l'entretien, auquel participe le président de la commission médicale d'établissement, le directeur d'établissement peut mettre fin à l'autorisation d'exercer à temps partiel du praticien. La décision est notifiée au praticien dans un délai d'un mois par tout moyen lui conférant date certaine. Cette décision est susceptible de recours devant le juge administratif. ".

4. En premier lieu, lorsqu'une autorisation d'exercice à temps partiel est assortie d'une interdiction d'exercer une activité rémunérée dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l'établissement public de santé dans lequel le praticien exerce à titre principal, la décision par laquelle le directeur d'établissement, lorsqu'il a constaté le non-respect de cette interdiction, met fin à l'autorisation d'exercice à temps partiel, ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition. Par suite, le moyen tiré de ce que les articles R. 6152-26-5 et R. 6152-26-6 du code de la santé publique méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines, faute de préciser les critères sur la base desquels l'interdiction d'exercice peut être prononcée ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, ainsi que l'a dit Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 décembre 2022, une telle interdiction d'exercice ne peut être décidée, sous le contrôle du juge, que dans les cas où les praticiens concernés sont susceptibles d'entrer en concurrence directe avec l'établissement public de santé, en raison de leur profession ou de leur spécialité et, le cas échéant, de la situation de cet établissement. L'article R. 6152-26-3 du code de la santé publique, issu du décret attaqué, précise en outre que l'exercice d'une activité privée lucrative à l'extérieur de l'établissement ne doit pas mettre en cause le bon fonctionnement du service public ni nuire à l'accomplissement des missions définies aux articles L. 6111-1 à L. 6111-1-4 et L. 6112-1. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret serait illégal faute de préciser les circonstances permettant l'édiction d'une interdiction d'exercer une telle activité lucrative ne peut qu'être écarté. Il en est de même, pour les mêmes motifs, des moyens tirés de ce que le décret attaqué porterait atteinte au principe de l'indépendance professionnelle des médecins, fixé par l'article R. 4127-5 du code de la santé publique, et au principe du libre choix de son praticien par le malade, et de son établissement de santé, reconnu à l'article L. 1110-8 du même code.

6. En troisième lieu, il ressort du II de l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, que, dès que le non-respect de l'interdiction d'exercer une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif a été dûment constaté, dans le respect du contradictoire, il est mis fin à l'autorisation d'exercice à temps partiel. L'article R. 6152-26-6 du code de la santé publique, issu du décret attaqué et pris pour l'application de ces dispositions législatives, prévoit que si le directeur de l'établissement public de santé constate, à l'issue de la procédure contradictoire, l'existence d'un manquement à cette interdiction, il lui appartient de mettre fin à l'autorisation d'exercice à temps partiel. Par suite, le CNOM n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué porte atteinte à l'égalité entre les praticiens, en ne précisant pas les critères à l'aune desquels le directeur est susceptible de mettre fin à l'autorisation d'exercice à temps partiel.

7. En quatrième lieu, le CNOM ne peut en tout état de cause utilement soutenir qu'une autre mesure que la révocation de l'autorisation d'exercice à temps partiel aurait été plus adaptée, dès lors que le principe en est fixé par les dispositions du II de l'article L. 6152-5-1 du code de la santé publique. En outre, le pouvoir réglementaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne prévoyant pas l'intervention des instances ordinales dans la procédure contradictoire préalable à une telle décision. Enfin, la circonstance que le non-respect d'une interdiction d'exercice puisse être constaté, préalablement à la procédure contradictoire, par le numéro d'inscription du praticien à l'ordre précisant le lieu d'exercice n'est pas de nature à en affecter la légalité.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête du Conseil national de l'ordre des médecins est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 novembre 2023 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 13 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

La rapporteure :

Signé : Mme Ségolène Cavaliere

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 462978
Date de la décision : 13/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 déc. 2023, n° 462978
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ségolène Cavaliere
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:462978.20231213
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