Vu les procédures suivantes :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 26 novembre 2018 par laquelle le préfet de la région Bretagne a refusé de retirer la décision du 27 juillet 2018 par laquelle il a accordé au groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Ruais une autorisation d'exploiter des terres situées sur les communes de Broons, Lanrelas, Plumaugat et Sévignac (Côte d'Armor). Par un jugement n° 1900344 du 1er mars 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21NT01202 du 21 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Nantes, sur appel de M. A..., a annulé ce jugement et les décisions des 27 juillet et 26 novembre 2018.
1°) Sous le n° 462416 :
Par un pourvoi, enregistré le 17 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A....
2° Sous le n° 462503 :
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mars et 21 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le GAEC de la Ruais demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le même arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A... et à la SCP Bauer-Violas-Feschotte-Desbois-Sebagh, avocat du GAEC de la Ruais.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, d'une part, le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Ruais, et, d'autre part, M. A..., ont présenté des demandes concurrentes afin de reprendre l'exploitation de terres d'une superficie de 54 ha 01 a 45 ca situées sur les communes de Broons, Lanrelas, Plumaugat, et Sévignac dans le département des Côtes d'Armor, précédemment exploitées par M. et Mme C.... Par un arrêté du 8 février 2018, le préfet de la région Bretagne a délivré l'autorisation sollicitée à M. A.... Par un nouvel arrêté du 27 juillet 2018, le préfet de la région Bretagne a délivré également au GAEC l'autorisation d'exploitation sollicitée. M. A... a, en vain, demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté préfectoral du 27 juillet 2018 ainsi que la décision du 26 novembre 2018 rejetant le recours gracieux qu'il avait formé contre cette décision puis a relevé appel devant la cour administrative d'appel de Nantes du jugement du tribunal administratif du 1er mars 2021 ayant rejeté sa demande. Par deux pourvois en cassation qui ont le même objet et qu'il y a lieu de joindre pour qu'il y soit statué par une seule décision, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, sous le n° 463416, et le GAEC de la Ruais, sous le n° 462503, demandent l'annulation de l'arrêt du 21 janvier 2022 par lequel la cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que les décisions préfectorales litigieuses.
2. D'une part, aux termes du III de l'article L. 312-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, applicable en l'espèce : " Le schéma directeur régional des exploitations agricoles établit, pour répondre à l'ensemble des objectifs et orientations mentionnés au I du présent article, l'ordre des priorités entre les différents types d'opérations concernées par une demande d'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2, en prenant en compte l'intérêt économique et environnemental de l'opération ".
3. D'autre part, en vertu du 1° du I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, applicable en l'espèce, sont soumises à autorisation préalable les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles mentionnés à cet article. Le second alinéa de l'article L. 331-3 du même code dispose que l'autorité administrative " vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée. " Aux termes du I de l'article L. 331-3-1 du même code dans la rédaction applicable en l'espèce : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; / (...) ". Aux termes du II de l'article R. 331-6 : " La décision d'autorisation ou de refus d'autorisation d'exploiter prise par le préfet de région doit être motivée au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1".
4. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est saisi de demandes d'autorisation concurrentes par un preneur en place ou un candidat à la reprise répondant à des ordres de priorités différents au regard des prescriptions du schéma directeur régional, le préfet fait en principe application de l'ordre de priorité fixé par le schéma pour rejeter la demande placée à un ordre de priorité inférieur. Il peut toutefois délivrer une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur si l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient.
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour statuer sur l'autorisation d'exploiter délivrée au GAEC de la Ruais, la cour administrative d'appel, qui a relevé que cette demande relevait, au regard des prescriptions du schéma directeur régional, d'un ordre de priorité inférieur à celle de M. A..., a jugé que les dispositions précitées des articles L. 331-1, L. 331-3 et L. 331-3-1 ne permettent au préfet de s'écarter de l'ordre des priorités fixé par le schéma directeur régional qu'à titre exceptionnel. Il résulte cependant de ce qui est dit ci-dessus que, saisie d'une demande relevant d'un ordre de priorité inférieur à celui d'une autorisation déjà délivrée, elle devait rechercher si l'intérêt général ou des circonstances particulières justifiaient que le préfet lui délivre une autorisation concurrente, sans que cette faculté ne soit ouverte qu'à titre exceptionnel. Le ministre chargé de l'agriculture et le GAEC de la Ruais sont dès lors fondés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, à soutenir que la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit qui justifie l'annulation de son arrêt.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros à verser au GAEC de la Ruais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du GAEC de la Ruais.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 janvier 2022 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : M. A... versera au GAEC de la Ruais une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, au groupement agricole d'exploitation en commun de la Ruais et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 25 octobre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan et M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat ; M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Alain Seban, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 12 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Alain Seban
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras