Vu la procédure suivante :
M. C... D... et Mme F... D..., M. H... B... et Mme K... B..., M. L... D... et Mme O... D..., M. A... G... et Mme J..., M. M... D... et Mme E... D..., M. N... D... et Mme I..., agissant en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler pour excès de pouvoir la décision, révélée le 21 janvier 2013, scolarisant, à compter de cette date, leurs enfants dans un local aménagé avec du matériel scolaire de la commune de Ris-Orangis. Par un jugement n° 1300665 du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Versailles a annulé cette décision.
Par un arrêt n° 17VE01568 du 25 mai 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la commune de Ris-Orangis contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 20 juillet et 21 octobre 2020 et le 15 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Ris-Orangis demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre solidairement à la charge de M. C... D... et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'éducation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Ris-Orangis et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat, d'une part, de M. C... D... et autres, et, d'autre part, du Collectif national des droits de l'homme Romeurope, du groupe d'information et de soutien des immigrés-e-s, de la Ligue Droits de l'homme, du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples et de l'Association The european Roma rights centre ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que des adultes, accompagnés d'enfants, de nationalité roumaine et d'origine rom, se sont installés sans autorisation dans le courant de l'année 2012 sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Ris-Orangis à proximité de la route nationale 7. Ces enfants, après que le maire eut, au mois de septembre 2012, d'abord refusé de les inscrire sur la liste des enfants à scolariser, ont été scolarisés dans un local de la commune de Ris-Orangis, attenant à un gymnase, à compter du 21 janvier 2013, ces modalités de scolarisation, hors de tout établissement scolaire, ayant pris fin le 19 février 2013, date à laquelle les enfants ont été, sur réquisition du préfet de l'Essonne, scolarisés dans des écoles de la commune. M. C... D... et d'autres parents de ces enfants ont demandé, en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs, au tribunal administratif de Versailles d'annuler pour excès de pouvoir la décision, révélée le 21 janvier 2013, de scolariser leurs enfants dans ces conditions. Par un jugement n° 1300665 du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Versailles a annulé cette décision, qu'il a regardée comme prise par le maire de Ris-Orangis, au nom de la commune. La commune de Ris-Orangis se pourvoit en cassation contre l'arrêt, en date du 25 mai 2020, par lequel la cour administrative d'appel a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement. Eu égard aux moyens qu'elle présente, la commune de Ris-Orangis doit être regardée comme ne demandant l'annulation que des articles 3 et 4 du dispositif de cet arrêt.
Sur les interventions :
2. Le Collectif national Droits de l'homme Romeurope, le Groupe d'information et de soutien des immigrés-e-s, la Ligue des droits de l'homme, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, l'Association The european Roma rights centre justifient d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêt attaqué. Ainsi, leur intervention en défense est recevable.
Sur les règles régissant la scolarisation des enfants dans les écoles maternelles et élémentaires et la répartition des compétences entre l'Etat et les communes à ce titre :
En ce qui concerne le droit à l'éducation :
3. Aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat. "
4. Aux termes de l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction ".
5. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 111-1 du code de l'éducation dans sa rédaction alors applicable : " Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté ". Aux termes de l'article L. 111-2 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l'action de sa famille, concourt à son éducation. (...) Pour favoriser l'égalité des chances, des dispositions appropriées rendent possible l'accès de chacun, en fonction de ses aptitudes et de ses besoins particuliers, aux différents types ou niveaux de la formation scolaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction alors applicable: " L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans. (...) ". A ceux de l'article L. 113-1 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Les classes enfantines ou les écoles maternelles sont ouvertes, en milieu rural comme en milieu urbain, aux enfants qui n'ont pas atteint l'âge de la scolarité obligatoire. / Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l'âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande ".
En ce qui concerne la répartition des compétences entre l'Etat et la commune pour la scolarisation des enfants soumis à l'obligation scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires :
6. D'une part, aux termes des trois premiers alinéas de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, dans sa rédaction alors applicable : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé, ou bien déclarer au maire et à l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, qu'elles lui feront donner l'instruction dans la famille. Dans ce cas, il est exigé une déclaration annuelle. / Les mêmes formalités doivent être accomplies dans les huit jours qui suivent tout changement de résidence ou de choix d'instruction ". Aux termes de l'article L. 131-6 du même code : " Chaque année, à la rentrée scolaire, le maire dresse la liste de tous les enfants résidant dans sa commune et qui sont soumis à l'obligation scolaire ".
7. D'autre part, en application des dispositions de l'article L. 212-1 du code de l'éducation et de l'article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal décide de la création et de l'implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d'enseignement public après avis du représentant de l'Etat dans le département. Aux termes de l'article L. 212-7 du code de l'éducation : " Dans les communes qui ont plusieurs écoles publiques, le ressort de chacune de ces écoles est déterminé par délibération du conseil municipal. Lorsque les dépenses de fonctionnement des écoles publiques ont été transférées à un établissement public de coopération intercommunale sur le territoire duquel il existe plusieurs écoles publiques, le ressort de chacune de ces écoles est déterminé par délibération de l'organe délibérant de cet établissement. L'inscription des élèves par les personnes responsables de l'enfant au sens de l'article L. 131-4 se fait conformément aux dispositions de l'article L. 131-5 ". Aux termes des sixième et septième alinéas de l'article L. 131-5 du code de l'éducation dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque le ressort des écoles publiques a été déterminé conformément aux dispositions de l'article L. 212-7, l'inscription des élèves, dans les écoles publiques ou privées, se fait sur présentation d'un certificat d'inscription sur la liste scolaire prévue à l'article L. 131-6. / Ce certificat est délivré par le maire, qui y indique l'école que l'enfant doit fréquenter ".
8. Il résulte des dispositions citées aux points 6 et 7 que lorsque le maire dresse, en application des articles L. 131-1, L. 131-5 et L.131-6 du code de l'éducation, la liste des enfants résidant sur le territoire de sa commune qui sont soumis à l'obligation scolaire, il agit au nom de l'Etat. En revanche, il agit au nom de la commune lorsqu'il décide de l'inscription d'un enfant dans une école de la commune en fonction de la sectorisation définie par délibération du conseil municipal et délivre le certificat d'inscription qui indique l'école que l'enfant doit fréquenter.
Sur l'arrêt attaqué :
9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après le refus du maire de Ris-Orangis, en septembre 2012, d'inscrire sur la liste mentionnée au point 6, les enfants mentionnés au point 1 séjournant sur le territoire de la commune, en vue de leur scolarisation dans les écoles maternelles et élémentaires de la commune, des échanges ont eu lieu entre celui-ci et les services départementaux académiques de l'éducation nationale de l'Essonne. En particulier, par un échange de courriels entre la directrice des services académiques de l'éducation nationale et le maire, en date du 15 janvier 2013, la directrice académique a indiqué confirmer la mise à disposition d'un enseignant spécialisé ayant les compétences requises dans la prise en charge des élèves à besoin éducatif particulier et a relevé que ceux-ci seront scolarisés dans un local dédié, mis à disposition par la mairie, disposant de sanitaires, de mobiliers adaptés et de matériels scolaires, le maire ayant pris, pour sa part, acte de ce que sera garantie la présence d'un personnel dédié et spécialisé, cette collaboration et la solution à laquelle elle a conduit étant rappelée dans une lettre du Défenseur des droits en date du 5 février 2013. Dans ces conditions, la décision, révélée par l'accueil et la scolarisation de ces enfants dans un local aménagé, attenant à un gymnase, en dehors de toute enceinte scolaire à compter du 21 janvier 2013, qui ne s'inscrit pas dans le cadre des règles rappelées aux points 6 à 8, et qui résulte d'une étroite collaboration entre les services de la commune de Ris-Orangis et ceux de l'Etat, doit être regardée, dans les circonstances particulières de l'espèce, comme une décision prise conjointement par le maire de Ris-Orangis au nom de la commune et par l'Etat. Il en résulte qu'en jugeant que la décision, révélée le 21 janvier 2013, devait être regardée comme prise seulement par le maire de Ris-Orangis au nom de la commune, au titre des compétences prévues par les dispositions citées au point 7, la cour administrative d'appel s'est méprise sur la nature de la décision attaquée.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la commune de Ris-Orangis est fondée à demander l'annulation des articles 3 et 4 du dispositif de l'arrêt du 25 mai 2020 de la cour administrative d'appel de Versailles.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la mesure de la cassation prononcée.
Sur le jugement attaqué :
12. Par son appel, la commune de Ris-Orangis doit être regardée comme ne demandant que l'annulation des articles 4 à 6 du jugement du 16 mars 2017 du tribunal administratif de Versailles.
13. Il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de Versailles a jugé que la décision, révélée le 21 janvier 2013, avait été seulement prise par le maire de Ris-Orangis au nom de la commune. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 qu'en statuant ainsi, il s'est mépris sur la nature de la décision du 21 janvier 2013. Les articles 4 à 6 du jugement du 16 mars 2017 doivent dès lors être annulés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête. Il y a donc lieu d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par M. C... D... et autres devant le tribunal administratif de Versailles, dans la mesure de l'annulation du jugement qui vient d'être prononcée.
Sur la demande de M. C... D... et autres :
En ce qui concerne l'exception aux fins de non-lieu à statuer :
14. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu, pour le juge de la légalité, de statuer sur le mérite du recours dont il était saisi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution.
15. Il ressort des pièces du dossier que si, postérieurement à l'introduction de la demande, les modalités de scolarisation, hors de tout établissement scolaire, des douze enfants précédemment nommés ont pris fin le 19 février 2013, date à laquelle ils ont été, sur réquisition du préfet de l'Essonne, scolarisés dans des écoles de la commune de Ris-Orangis, la décision litigieuse n'a en tout état de cause pas été retirée. Il n'en résulte donc pas que la demande présentée par M. C... D... et autres devant le tribunal administratif de Versailles ait perdu son objet, eu égard à ce qui a été dit au point précédent. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer doit être écartée.
En ce qui concerne la légalité de la décision attaquée :
16. La décision litigieuse, révélée par l'accueil et la scolarisation, à compter du 21 janvier 2023, de douze enfants de nationalité roumaine et d'origine rom, âgés de cinq à douze ans, dans un local attenant à un gymnase municipal, aménagé en salle de classe au moyen d'équipements sommaires, hors de tout établissement scolaire et à l'écart des autres enfants scolarisés de la commune, alors que des places étaient disponibles dans des écoles de la commune, les privant ainsi en particulier de l'accès au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires ou périscolaires organisées au sein des écoles, méconnaît le principe d'égalité de traitement des usagers du service public, quelle que soit leur origine. Les requérants sont donc fondés à soutenir que cette décision qui, ainsi qu'il a été dit, a été prise conjointement par le maire au nom de la commune de Ris-Orangis et par l'Etat, est illégale pour ce motif.
17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande, que M. C... D... et autres sont fondés à demander l'annulation de la décision révélée le 21 janvier 2013 qu'ils attaquent.
Sur les frais de l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. C... D... et autres qui, dans le présent litige, ne sont pas les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat de M. C... D... et autres, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Ris-Orangis le versement à la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet de la somme de 500 euros chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Collectif national Droits de l'homme Romeurope, du Groupe d'information et de soutien des immigrés-e-s, de la Fondation The European Roma Rights Centre, de la Ligue des droits de l'homme et du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples est admise.
Article 2 : Les articles 3 et 4 du dispositif de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 25 mai 2020 sont annulés.
Article 3 : Les articles 4 à 6 du dispositif du jugement du tribunal administratif de Versailles du 16 mars 2017 sont annulés.
Article 4 : La décision, révélée le 21 janvier 2013, du maire de Ris-Orangis prise au nom de la commune et de l'Etat, est annulée.
Article 5 : La commune de Ris-Orangis et l'Etat verseront chacun à la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet la somme de 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Les conclusions présentées par la commune de Ris-Orangis au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la commune de Ris-Orangis, à M. C... D..., premier dénommé pour l'ensemble des défendeurs, au Collectif national Droits de l'homme Romeurope, premier intervenant dénommé, et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée à la Défenseure des droits.