Vu la procédure suivante :
Mme M... B... et M. E... B..., agissant en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner, à titre principal, la commune de Ris-Orangis et l'Etat, à titre subsidiaire, la commune de Ris-Orangis seule, à titre encore plus subsidiaire, l'Etat seul, à leur verser la somme de 4 500 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'ils ont subi de même que leurs enfants du fait de l'illégalité des décisions refusant de scolariser ceux-ci dans une école de la commune puis les scolarisant dans une classe aménagée pour eux en dehors d'un établissement scolaire.
Par un jugement n° 1703269 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif a, premièrement, condamné l'Etat à leur verser la somme de 2 000 euros, avec les intérêts et la capitalisation des intérêts, deuxièmement, condamné la commune de Ris-Orangis au titre de l'illégalité fautive entachant la seconde décision, à leur verser la somme de 800 euros, avec les intérêts et la capitalisation des intérêts, troisièmement, mis à la charge de l'Etat et de la commune de Ris-Orangis le versement chacun de la somme de 400 euros aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, enfin rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par une ordonnance n° 19VE04129 du 4 février 2020, enregistrée le 5 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Versailles a transmis au Conseil d'Etat, en application des articles R. 351-2 et R. 811-1 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour par la commune de Ris-Orangis.
Par ce pourvoi, enregistré le 15 décembre 2019 au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 24 août 2020 et le 15 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Ris-Orangis demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de Mme et M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code de l'éducation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Ris-Orangis et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat, d'une part, de M. et Mme. B... et, d'autre part, du Collectif national Droits de l'homme Romeurope, du groupe d'information et de soutien de immigrés-e-s, de la Ligue Droits de l'homme, du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples et de l'Association The european Roma rights centre ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que des adultes, accompagnés d'enfants, de nationalité roumaine et d'origine rom, se sont installés sans autorisation dans le courant de l'année 2012 sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Ris-Orangis à proximité de la route nationale 7. Ces enfants, après que le maire eut, au mois de septembre 2012, d'abord refusé de les inscrire sur la liste des enfants à scolariser, ont été scolarisés dans un local de la commune de Ris-Orangis, attenant à un gymnase, à compter du 21 janvier 2013, ces modalités de scolarisation, hors de tout établissement scolaire, ayant pris fin le 19 février 2013, date à laquelle les enfants ont été, sur réquisition du préfet de l'Essonne, scolarisés dans des écoles de la commune. Mme et M. B..., dont les enfants C... F... et E... N... B..., étaient au nombre des enfants ainsi scolarisés, ont saisi le tribunal administratif de Versailles, en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs, d'une demande tendant à ce que la commune de Ris-Orangis et l'Etat soient condamnés à les indemniser tant de leurs préjudices propres que des préjudices subis par leurs enfants à raison du refus initial de les scolariser, puis de leur scolarisation dans les conditions qui viennent d'être exposées, en demandant que leur soit allouée la somme de 4 500 euros. Par un jugement du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Versailles a, premièrement, condamné l'Etat à verser à Mme B... et M. B... la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral subi du fait du refus illégal de scolariser leurs enfants opposé par le maire agissant au nom de l'Etat, deuxièmement, condamné la commune de Ris-Orangis à leur verser la somme de 800 euros, au titre du préjudice moral subi du fait de la décision fautive du maire, agissant au nom de la commune, de scolariser leurs enfants en dehors de locaux scolaires, ces deux sommes portant intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2017 et avec la capitalisation de ces intérêts, troisièmement mis à la charge de l'Etat et de la commune de Ris-Orangis le versement chacun de la somme de 400 euros aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la demande. La commune de Ris-Orangis se pourvoit en cassation contre ce jugement. Eu égard aux moyens qu'elle présente, elle doit être regardée comme demandant seulement l'annulation de ce jugement, sauf en ce qu'à l'article 3 de son dispositif, il met à la charge de l'Etat le versement de la somme de 400 euros aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les parties à l'instance de cassation :
2. Si le mémoire en défense produit en cassation indique être présenté, outre Mme B... et M. B..., qui étaient demandeurs en première instance, par M. D... G... et Mme I... G..., M. P... G... et Mme S... G..., M. Q... G... et Mme H... G..., M. R... G... et Mme K..., M. A... J... et Mme O... F..., ceux-ci n'étaient pas parties dans l'instance n °1703269 devant le tribunal administratif de Versailles et n'ont pas la qualité de parties en défense devant le Conseil d'Etat. A supposer qu'ils aient entendu présenter une intervention en défense, celle-ci n'est pas recevable, faute d'avoir été formée par un mémoire distinct du mémoire en défense produit par Mme B... et M. B.... Dans ces conditions, les conclusions présentées dans la présente instance par M. D... G... et Mme I... G..., M. P... G... et Mme S... G..., M. Q... G... et Mme H... G..., M. R... G... et Mme K..., M. A... J... et Mme O... F..., ne sont pas recevables.
Sur les interventions :
3. Le Collectif national Droits de l'homme Romeurope, le groupe d'information et de soutien de immigrés-e-s, la Ligue des droits de l'homme, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, l'Association The european Roma rights centre justifient d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du présent litige indemnitaire au maintien du jugement attaqué. Ainsi leur intervention en défense est recevable.
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi en tant qu'il comporte des conclusions tendant à l'annulation de l'article 1er du dispositif du jugement attaqué :
4. Le jugement attaqué, en l'article 1er de son dispositif, a condamné l'Etat à verser à Mme B... et à M. B... la somme de 2 000 euros après avoir retenu que le refus de scolarisation de leurs enfants qui leur avait été opposé par le maire de Ris-Orangis agissant, non au nom de la commune, mais au nom de l'Etat, était fautif. Par suite, et ainsi qu'il est soutenu en défense, la commune de Ris-Orangis ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Versailles condamnant l'Etat à verser une indemnité à Mme B... et M. B.... Ses conclusions tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué sont dès lors irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur le surplus des conclusions du pourvoi :
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après le refus du maire de Ris-Orangis, en septembre 2012, d'inscrire sur la liste, prévue à l'article L. 131-6 du code de l'éducation, les enfants nommés au point 1 séjournant sur le territoire de la commune, en vue de leur scolarisation dans les écoles maternelles et élémentaires de la commune, des échanges ont eu lieu entre celui-ci et les services départementaux académiques de l'éducation nationale de l'Essonne. En particulier, par un échange de courriels entre la directrice des services académiques de l'éducation nationale et le maire, en date du 15 janvier 2013, la directrice académique a indiqué confirmer la mise à disposition d'un enseignant spécialisé ayant les compétences requises dans la prise en charge des élèves à besoin éducatif particulier et a relevé que ceux-ci seront scolarisés dans un local dédié, mis à disposition par la mairie, disposant de sanitaires, de mobiliers adaptés et de matériels scolaires, le maire ayant pris, pour sa part, acte de ce que sera garantie la présence d'un personnel dédié et spécialisé, cette collaboration et la solution à laquelle elle a conduit étant rappelée dans une lettre du Défenseur des droits en date du 5 février 2013. Dans ces conditions, la décision, révélée par l'accueil et la scolarisation de ces enfants, dont les enfants de M. et Mme B..., dans un local aménagé, attenant à un gymnase, en dehors de toute enceinte scolaire à compter du 21 janvier 2013, qui ne s'inscrit pas dans le cadre des règles fixées d'une part, par les articles L. 131-5 et L. 131-6 du code de l'éducation, d'autre part, par les articles L. 212-1 et L. 212-7 du code de l'éducation et L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales, et qui résulte d'une étroite collaboration entre les services de la commune de Ris-Orangis et ceux de l'Etat, doit être regardée, dans les circonstances particulières de l'espèce, comme une décision prise conjointement par le maire de Ris-Orangis au nom de la commune et par l'Etat, ainsi que le juge d'ailleurs la décision n° 441979 de ce jour du Conseil d'Etat, statuant au contentieux. Il en résulte qu'en jugeant que la décision, révélée le 21 janvier 2013, devait être regardée comme prise seulement par le maire de Ris-Orangis au nom de la commune, le tribunal administratif s'est mépris sur la nature de la décision attaquée. Par suite, il y a lieu d'annuler, d'une part, les articles 2, 4 et 5 du dispositif du jugement du tribunal administratif de Versailles du 17 octobre 2019, d'autre part, l'article 3 du dispositif de ce même jugement en ce qu'il met à la charge de la commune de Ris-Orangis la somme de 400 euros à verser aux demandeurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la mesure de la cassation prononcée.
Sur le règlement au fond :
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par la commune de Ris-Orangis et le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :
7. En premier lieu, un requérant peut se borner à demander à une collectivité publique ou à l'administration réparation d'un préjudice qu'il estime avoir subi pour ne chiffrer ses prétentions et ne préciser les chefs de préjudice qu'il invoque que devant le juge administratif. Il en résulte que la circonstance que, par deux courriers en date du 29 décembre 2016, Mme B... et M. B... ont sollicité du ministre chargé de l'éducation nationale et du maire de Ris-Orangis la réparation des préjudices qu'ils estimaient avoir subis, de même que leurs enfants, du fait, notamment, de la scolarisation de leurs enfants dans un local aménagé hors de toute enceinte scolaire, sans chiffrer leur prétention, ni préciser la nature des préjudices en cause, est sans incidence sur la recevabilité de leur demande. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Ris-Orangis et le ministre chargé de l'éducation nationale, tirée de ce que le contentieux n'aurait pas été lié, au motif que la demande préalable n'était pas chiffrée et ne précisait pas la nature du préjudice allégué, ne peut qu'être écartée.
8. En second lieu, il résulte de l'instruction que la demande présentée par Mme B... et M. B..., qui est motivée, répond aux exigences posées par l'article R. 411-1 du code de justice administrative. La fin de non-recevoir opposée à ce titre par la commune de Ris-Orangis ne peut donc qu'être écartée.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la décision conjointe du maire de la commune de Ris-Orangis, au nom de la commune, et de l'Etat, révélée par l'accueil et la scolarisation, à compter du 21 janvier 2023, de douze enfants de nationalité roumaine et d'origine rom, âgés de cinq à douze ans, dont ceux des demandeurs, dans un local attenant à un gymnase municipal, aménagé en salle de classe au moyen d'équipements sommaires, hors de tout établissement scolaire et à l'écart des autres enfants scolarisés de la commune, alors que des places étaient disponibles dans des écoles de la commune, les privant ainsi en particulier de l'accès au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires ou périscolaires organisées au sein des écoles, méconnaît le principe d'égalité de traitement des usagers du service public, quelle que soit leur origine, et est entachée d'illégalité pour ce motif, ainsi que le juge d'ailleurs la décision n° 441979 de ce jour du Conseil d'Etat, statuant au contentieux. Cette décision entachée d'illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité solidaire de la commune de Ris-Orangis et de l'Etat à l'encontre des demandeurs, pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain pour eux.
10. En second lieu, il résulte de l'instruction que la scolarisation de C... et E... N..., enfants de Mme B... et M. B..., dans de telles conditions, a duré quatre semaines et que, durant cette période, comme l'atteste la lettre adressée en date du 5 février 2013 par le Défenseur des droits au maire de Ris-Orangis et rappelée par le préfet de l'Essonne dans ses réquisitions, les enfants n'ont pu bénéficier que d'une forme dégradée de scolarisation délivrée dans un cadre inapproprié, à l'écart des autres enfants accueillis dans les écoles de la commune, sans pouvoir accéder au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires et périscolaires organisées au sein des écoles de la commune. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme B... et M. B... et leurs enfants à raison de cette situation, en évaluant l'indemnité due, à ce titre, solidairement par la commune de Ris-Orangis et l'Etat, à la somme de 800 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2017. La capitalisation des intérêts a été demandée pour prendre effet le 28 avril 2018, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière. Il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande de capitalisation tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Ris-Orangis et de l'Etat la somme de 500 euros chacun à verser à la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat de Mme B... et M. B... sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la commune de Ris-Orangis à l'encontre de Mme B... et M. B... qui ne sont pas, dans le présent litige, les parties perdantes.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Collectif national Droits de l'homme Romeurope, du Groupe d'information et de soutien des immigrés-e-s, de la Ligue des droits de l'homme, du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples et de l'Association The european Roma rights centre est admise.
Article 2 : Les articles 2, 3 -en ce qu'il concerne la commune de Ris-Orangis- 4 et 5 du dispositif du jugement du tribunal administratif de Versailles du 17 octobre 2019 sont annulés.
Article 3 : La commune de Ris-Orangis et l'Etat sont condamnés solidairement à verser à Mme M... B... et à M. E... B... en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de T... F... et E... N... B..., la somme globale de 800 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2017, avec capitalisation des intérêts échus le 28 avril 2018 et à chaque échéance annuelle successive.
Article 4 : La commune de Ris-Orangis et l'Etat verseront à la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet la somme de 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la commune de Ris-Orangis et ses conclusions présentées en première instance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Les conclusions présentées en cassation par M. D... G... et Mme I... G..., Mme K... et M. R... G..., M. Q... G... et Mme H... G..., M. A... J... et Mme O... F..., M. P... G... et Mme S... G... sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la commune de Ris-Orangis, à Mme M... B... et à M. N... E... B..., à M. D... G..., premier dénommé des autres signataires du mémoire en défense, au Collectif national Droits de l'homme Romeurope, premier intervenant dénommé et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée à la Défenseure des droits.